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Actualités - OPINION

LE POINT L’ombre de Saigon

Pas plus que leurs grands frères yankees, les Britanniques n’aiment être surpris en flagrant délit de manquement à leurs devoirs. D’où, dans la bouche de ces inventeurs de l’« understatement », les petites phrases censées calmer l’inquiétude de ceux qui seraient tentés d’en éprouver. Comme cette explication, plutôt étonnante, avancée par Tony Blair aux Communes et reprise peu après par son porte-parole pour justifier sa décision de rappeler bientôt 1 500 des 7 100 Tommies servant actuellement en Irak : « Le prochain chapitre à Bassora sera écrit par les Irakiens eux-mêmes. » Ce qui, traduit en langage moins diplomatique, donnerait à peu près ceci : « Messieurs les Anglais, tirez-vous les premiers ! » Et honni soit qui mal y pense ! Ce n’est pas le signal d’une débandade générale puisqu’on vous dit que tout va on ne peut mieux au pays d’entre les deux fleuves. Quelle meilleure preuve que l’annonce faite hier par le 10 Downing Street d’un retrait partiel et l’accueil réservé à cette initiative par les principaux intéressés ? – « Un geste, a dit Sami al-Askari, porte-parole du Premier ministre Nouri al-Maliki, qui correspond au souhait de notre gouvernement et de tous les pouvoirs politiques dans le pays. » Ce qui est sans doute vrai, mais pas pour les mêmes raisons. Comment dites-vous ? George W. Bush a décidé il y a quelques jours d’envoyer en renfort 21 500 soldats supplémentaires ? Histoire sans doute de montrer au monde que « la coalition demeure intacte », ainsi que vient de le proclamer à Berlin la secrétaire d’État Condoleezza Rice, et aussi que les USA sont « déterminés à achever leur mission avec les honneurs », comme l’a dit au Japon le vice-président Dick Chenney. Voilà qui devrait rassurer les principaux intéressés, les alliés de l’Amérique et l’opinion internationale qui commençaient à s’interroger sur le sérieux de l’engagement de la seule superpuissance encore présente sur la scène mondiale après l’effondrement de l’Union soviétique et en attendant l’émergence de la Chine. Tout de même, ils sont nombreux aujourd’hui ceux qui jugent qu’elle a trop duré, cette aventure mésopotamienne et que les perspectives d’un règlement s’amenuisent au fil des jours. Savez-vous qui a prononcé cette phrase lourde de sens : « Je sens que nous sommes incapables d’atteindre les objectifs que nous nous étions assignés. En conséquence, nous devons nous désengager » ? Ne répondez pas Colin Powell ou John Murtha, vous perdriez. Le propos est de Dean Acheson, chef de la diplomatie à la fin des années quarante, au sujet de la guerre du Vietnam, et cité par le président Lyndon B. Johnson dans ses Mémoires intitulés The Vantage Point. À l’époque aussi on pensait que les généraux de Saigon avaient accompli quelques progrès militaires et même qu’ils avaient repris l’initiative. On sait ce qu’il advint de cet optimisme. Cinq ans plus tard, en 1973, les Américains abandonnaient leurs protégés sudistes à leur triste sort et se retiraient. Le 30 avril, les Nordistes faisaient leur entrée dans l’ancienne capitale. Certes, il est trop souvent question de ce précédent dès lors que l’on évoque le désastre en cours, alors que – on ne le répétera jamais assez – il faut apprendre à se méfier des parallèles historiques. Sur les rives de l’Euphrate, les GI ne sont pas seuls à se battre contre un ennemi invisible, imprévisible, implacable. L’Alliance compte toujours non moins de sept contingents étrangers, engagés au départ dans une tâche ayant pour triple objectif la chute du tyran Saddam Hussein (mission accomplie), l’instauration dans le pays d’une démocratie qui servirait de modèle à l’ensemble de la région (on l’attend toujours), enfin la lutte contre le terrorisme (lequel ne s’est jamais aussi bien porté). Mais force est de constater que sur les 40 000 soldats britanniques envoyés sur place en mars 2003, ils n’étaient plus que 9 000 il y a deux ans et leur nombre doit retomber à 5 500 dans un avenir qui reste à déterminer. De noter aussi qu’on retient par le col de leur vareuse les Japonais pour éviter de les voir regagner leur archipel, que les Danois suivent un exemple qui tend à se généraliser puisque les Lituaniens, eux aussi, s’en vont. Le nouvel apport décidé par la Maison-Blanche suffit peut-être pour pallier une telle déficience ; il ne saurait dissiper le doute qui s’installe dans les esprits, ni permettre de lutter efficacement contre le mouvement des mères – imitées par de nombreux généraux – lancé il y a des mois sur le thème « Bring them home. » Ces voix, l’Administration républicaine ne veut pas les entendre, convaincue qu’elle est de la justesse de sa croisade et de la nécessité, au lendemain de la perte des dernières législatives, de gagner la prochaine présidentielle. C’est dire que la politique, tout comme le cœur, a des raisons que la raison ne connaît pas. Christian MERVILLE
Pas plus que leurs grands frères yankees, les Britanniques n’aiment être surpris en flagrant délit de manquement à leurs devoirs. D’où, dans la bouche de ces inventeurs de l’« understatement », les petites phrases censées calmer l’inquiétude de ceux qui seraient tentés d’en éprouver. Comme cette explication, plutôt étonnante, avancée par Tony Blair aux Communes et reprise peu après par son porte-parole pour justifier sa décision de rappeler bientôt 1 500 des 7 100 Tommies servant actuellement en Irak : « Le prochain chapitre à Bassora sera écrit par les Irakiens eux-mêmes. » Ce qui, traduit en langage moins diplomatique, donnerait à peu près ceci : « Messieurs les Anglais, tirez-vous les premiers ! » Et honni soit qui mal y pense !
Ce n’est pas le signal d’une débandade générale puisqu’on...