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Actualités - OPINION

ANALYSE Limites et embûches de l’intercession conciliatrice religieuse Jean ISSA

N’y voyez aucune irrévérence : c’est quelque part un peu dommage, dirons-nous, que Bkerké, ce recours national unanimement encensé, ait tant d’aura, de prestige. On lui reconnaît une immense autorité morale. Sans voir qu’une telle qualité est bien plus humaine, pour ne pas dire laïque, que spirituelle. Par exemple, on l’attribue à un Gandhi, avocat de profession, ou à un Mandela, défenseur des droits de l’homme (noir). Mais jamais au souverain pontife : ce serait presque le rabaisser. Pourquoi dommage ? Pour trois petites raisons : – D’abord, il n’est jamais bon que le religieux ait à se soucier du politique. À s’introduire dans ce lexique pour en devenir une référence, un recours. Car c’est toujours un symptôme de mauvaise santé au niveau d’un pays. Nous ne disons pas nation, ce serait trop ambitieux en notre état, et en notre État, présents. D’ailleurs, au Liban, c’est en aide-soignants, en secouristes d’urgence, que l’on voit intervenir les chefs spirituels de toutes communautés. La plupart, à leurs corps défendant. À chacun son métier et les vaches seront bien gardées, chante le sage adage des alpages. Auquel fait écho ce vieux proverbe de chez nous : confie ta farine au boulanger, même s’il doit en rafler la moitié. – Ensuite, le halo de la prélature, cardinal et évêques associés, éclipse un peu les lumières des leaders qui aspirent à un rôle de guide politique (unique de préférence) de la collectivité. En les empêchant de s’épanouir franchement. C’est-à-dire en les forçant sinon à mentir, du moins à tenir un double langage. En privé, ou devant le premier cercle de leurs fidèles, pour exprimer ce qu’ils pensent vraiment. Et en public, pour s’ajuster sur les préceptes des pâtres apôtres. Ainsi bridés, ils s’en trouvent ralentis dans leur évolution ascensionnelle, qualitative autant que quantitative. C’est-à-dire qu’ils ne parviennent pas à gravir suffisamment d’échelons de pensée pour se transcender. Et atteindre enfin une stature, un statut, d’hommes d’État. À l’image du parcours, jadis, et pour ne citer qu’eux, d’un Rachid Karamé ou d’un Camille Chamoun. – Enfin, et peut-être surtout, la surélévation comparative du patriarcat l’emprisonne pratiquement dans un rôle de conciliateur impartial. Il n’a plus, moralement, les mains assez libres pour s’opposer de front, nommément, à tel ou tel qui lui paraîtrait dévier. Tandis qu’avant, par exemple, un Méouchy n’hésitait pas à partir en guerre contre un régime coupable, à ses yeux, de diviser chrétiens et musulmans au lieu de les rassembler. Autrement dit, et comme Mgr Sfeir le relève fréquemment, d’une façon ou d’une autre, Bkerké s’astreint, dans les conflits ambiants, à une neutralité bienveillante à l’égard de tous. Coreligionnaires rivaux en tête, bien entendu. Il se démunit ainsi, par obligation, de tout pouvoir d’arbitrer. Au besoin en tranchant le nœud gordien, sans regarder aux réactions. C’est que les leaders se sont enferrés trop loin pour pouvoir vraiment reculer sans y être puissamment aidés. Ainsi, l’encre de leur cosignature du pacte d’honneur n’avait pas encore séché que les contestataires se répandaient de nouveau en invectives virulentes contre le camp adverse. L’esprit Shogun, féodal médiéval et militarisé, anime encore visiblement certains leaderships. Eux qui ont eu, ou ont encore, des milices ou des troupes sous leurs ordres. Vont-ils s’étriper de nouveau sur le terrain ? On en est passé pas loin, récemment. Pour conjurer ce péril, il faut modifier donc les mentalités de base. Et cela ne peut se faire, répétons-le avec Bkerké, qu’en allant au fond des choses. En élevant le débat et en se fixant, avant tout, un objectif de nature nationale plutôt que confessionnelle. À savoir, s’entendre sur la trajectoire du Liban, sa neutralité positive, le rôle qu’il doit assumer, la place qu’il lui revient d’occuper dans la région. Et surtout, la nature coexistante de son âme. Paisible et conviviale, entre les communautés. Comme au sein de chacune d’entre elles…
N’y voyez aucune irrévérence : c’est quelque part un peu dommage, dirons-nous, que Bkerké, ce recours national unanimement encensé, ait tant d’aura, de prestige. On lui reconnaît une immense autorité morale. Sans voir qu’une telle qualité est bien plus humaine, pour ne pas dire laïque, que spirituelle. Par exemple, on l’attribue à un Gandhi, avocat de profession, ou à un Mandela, défenseur des droits de l’homme (noir). Mais jamais au souverain pontife : ce serait presque le rabaisser.
Pourquoi dommage ? Pour trois petites raisons :
– D’abord, il n’est jamais bon que le religieux ait à se soucier du politique. À s’introduire dans ce lexique pour en devenir une référence, un recours. Car c’est toujours un symptôme de mauvaise santé au niveau d’un pays. Nous ne disons pas nation, ce serait trop...