VIENT DE PARAÎTRE - « L’histoire de Chicago May » de Nuala O’Faolain, prix Femina étranger 2006 Parcours chaotique d’une femme libre

Un roman bondissant comme un film d’action. Un film de gangster, visité un peu par l’esprit de Bonnie and Clyde, la folie meurtrière et la violence gratuite en moins… À quelques degrés près ! Ce roman, couronné par le prix Femina étranger 2006, est l’œuvre de Nuala O’Faolain, écrivaine née en 1942 à Dublin en Irlande et passée au rang des auteurs célèbres et célébrés. Il s’agit de L’histoire de Chicago May (édition Sabine Wespieser-443, traduction de l’anglais par Vitalie Lemerre), roman que la presse et le public ont plébiscité. Après des études de lettres, Nuala O’Faolain travaille à la BBC à Londres, et embrasse par la suite la carrière de journaliste et de chroniqueuse dans le quotidien Irish Times. Mais sa vraie vie est ailleurs. Son rendez-vous avec la littérature se préparait en douce… Deux livres d’inspiration autobiographique allaient lui ouvrir les portes de la notoriété et de la gloire. En librairie donc, ses deux premiers ouvrages (On s’est déjà vu quelque part ? et J’y suis presque) qui rencontrent très vite succès et considération. Et depuis, la plume est toujours aux aguets, les pages en attente d’être noircies et l’inspiration pourchassée avec la ténacité d’un collectionneur de papillons… Aujourd’hui, pour son quatrième et dernier opus, Nuala O’Faolain s’empare d’un thème d’une brûlante actualité : la liberté de la femme. Une liberté gagnée durement, payée encore plus chèrement. Elle exhume des archives, avec dévotion, respect et une chaleureuse sympathie, l’histoire du parcours chaotique de Chicago May. Un parcours saisissant, bouleversant. Un parcours où courage, originalité et liberté font un curieux mariage. Pas commun du tout et surtout guère de tout repos. Destin d’une jeune Irlandaise qui, en 1890, s’enfuit de chez elle pour devenir une criminelle notoire en Amérique sous le nom justement de Chicago May. À ce roman épicé mais jamais cru, les déboires de l’amour, le crime et un destin d’une femme qui découvre avec volupté le XXe siècle dans son souffle de liberté. Une liberté enivrante, exaltante. Ingrédients explosifs pour un roman palpitant comme une grenade qu’on dégoupille et où l’on découvre (parfois avec quelques étonnements ou effarements) les multiples visages de l’éternel féminin. Les multiples facettes d’une incorrigible séductrice Braqueuse, prostituée, arnaqueuse, voleuse, danseuse de revue musicale (une palette étendue de talents et de personnalités), May est sans nul doute une force de la nature et un phénomène des identités instables. Une tornade qui fait tourner la tête des hommes et entretient énergiquement leur turbine à rêves. Et voilà que de Chicago à Paris, en passant par Le Caire, Londres, New York et Chicago, elle mène grand train, et accumule les conquêtes et les échecs. Au Nebraska, elle rencontre les frères Dalton (assez de points communs entre cette redoutable aventurière et les frangins qui jouent du pistolet comme on croque du chocolat !), et à Philadelphie, où elle meurt en 1929, Chicago May incarne, avec un brio de séductrice fatale, une figure féminine peu acceptée encore à l’époque. Autant de terreau, humant la bonne terre imprévisible dans sa générosité ou sa sécheresse, pour enrichir la dernière narration de Nuala O’Faolain, elle aussi exilée aux États-Unis. Règlements de comptes avec la société, « l’establisment » et la condition humaine à travers personnages romanesques interposés ? Sans nul doute, peut-être, mais l’enjeu n’est pas seulement là. Il y a aussi le besoin de témoigner, d’assumer son identité, de parler de la solitude, de forcer l’obscurantisme des interdits… Tout cela, Nuala O’Faolain le dit avec cœur et respect. Respect du destin de l’être, quel qu’il fût. Pas une biographie, ce livre (malgré les photos tirées de sources crédibles et sérieuses), mais une manière de « percevoir » l’autre. Écoutons plutôt les derniers propos de Nuala O’Faolain pour expliquer son entreprise : « Il existe des idéologies qui s’emploient à dénier à des femmes comme May une humanité commune avec le reste d’entre nous. Elle fut exclue de toutes les communautés. Elle fut rayée des souvenirs. Eh bien, je veux l’y ramener et je veux qu’elle soit telle qu’elle était. C’est pourquoi je l’ai suivie, cherchant les indices qu’elle sème, examinant patiemment ce qu’elle veut dire, faisant encore plus scrupuleusement attention à son histoire qu’elle ne l’a jamais fait elle-même. J’ai couru derrière elle tout en sachant que je n’arriverais pas à la rattraper… À tout ce qu’elle a fait, j’ai été attentive, et regarder quelqu’un avec attention est le début de l’amour. C’est un entraînement à l’amour. Une vieille prostituée fatiguée repose dans une sépulture anonyme. Mais, voyez-vous, on vous a conduits jusqu’à elle. Nous savons déjà comment nous sentir proches des gens que nous aimons et comprenons, mais il est un territoire au-delà de ce que nous connaissons déjà, et des voyages de pionnier à entreprendre pour y aller. Là-bas, des gens attendent dans l’ombre. Que le rayon de l’attention brille là-bas. L’obscurité recule. » Voilà les derniers propos de l’auteure et du livre. Une biographie menée tambour battant, écrite avec sensibilité et un ardent besoin de défendre une cause difficile, mais émouvante, convaincante. Une belle évocation d’une femme « à la crinière d’or rouge » qui ne reculait devant rien pour réaliser ses rêves les plus fous. Une biographie remuante qui fait échec et mat au plus truculent des romans qu’on aimerait porter aussi à l’écran… Edgar DAVIDIAN «L’histoire de Chicago May» de Nuala O’Faolain est en vente à la Librairie al-Bourj.