Il m’a fallu une nuit sans sommeil, une journée avec mon portable fermé et un soulagement profond pour pouvoir vous écrire cette lettre et alléger ma conscience.
Oui, j’avais promis à mes camarades de fac de les retrouver comme prévu. J’avais transmis les consignes à tout le monde, mais je n’ai pas pu vous rejoindre et je ne le regrette plus.
Tout a commencé après la grande bagarre à la fac pour cette photo de Pierre Gemayel que les FL voulaient accrocher, ce que nous avions essayé d’empêcher. En pleine bousculade, j’ai vu un de mes camarades l’œil au beurre noir. Et une petite voix intérieure, qui se fait de plus en plus entendre depuis quelque temps, me dire : « Cette photo mérite-t-elle tout ça ? » Quelques minutes plus tard, je pensais à ce que raconterait l’étudiant couché dans l’ambulance qui l’emmenait aux urgences à ceux qui lui demanderaient d’où lui vient sa blessure. Je me suis souvenu d’un cousin qui me racontait fièrement comment les restes d’éclats d’obus syriens dans son corps, souvenir de la bataille d’Achrafieh en 78, actionnaient les systèmes d’alarme des aéroports à chaque fois qu’il les traversait et des explications qu’il devait donner aux policiers et douaniers français, certificat médical à l’appui. Il n’y avait pas là de quoi avoir honte, au contraire.
Et puis, tout ça pour une photo, une élection ou une conférence ! Que laissons-nous pour les grands thèmes et visions que nous avons de notre pays et ce que nous rêvions d’en faire une fois le pouvoir entre nos mains. Non, plutôt être traité de lâche par des sots surexcités, mais me sentir « libéré » comme je le ressens en écrivant ces lignes. Et ne croyez surtout pas que je vais changer de camp, mais je me situe dorénavant en observateur averti, critique de toute notre classe politique corrompue et prompte dans sa grande majorité à retourner sa veste, rêveur d’un avenir plus glorieux et plus fier que celui tracé par des héritiers incompétents. Je ne suis pas encore à égale distance de tous, puisque pendant longtemps je vous plaçais au-dessus de la mêlée et que quelque chose au fond de moi m’empêche encore d’entrevoir l’éventualité que nous avions parfois eu tort.
Oui, passé les premiers moments de culpabilité, je me suis senti exalté par ce nouveau sentiment de liberté : libre de critiquer tout le monde ! Libre de ne pas adhérer à ces analyses démagogiques qu’on nous faisait avaler et d’accepter le fait que les motivations derrières certains faits historiques n’étaient peut-être pas celles qu’on voulait bien nous faire croire. J’ai ôté mes œillères et je ne regarde plus la situation par le trou de la serrure. Libre et surtout soulagé aujourd’hui de ne pas avoir été, hier et cet après-midi, dans « la même tranchée » et complice des PPS, Hezbollahis et Marada, parmi lesquels je ne me sens pas à ma place et pour un projet politique auquel je ne m’identifie pas. Eux d’ailleurs n’en reviennent pas de la facilité avec laquelle nous étions devenus alliés. Je vous avoue que la pureté et l’enthousiasme des premiers sit-in de la révolution du Cèdre me manquent, et ne plus y participer me gêne. Je vous en veux d’ailleurs de plus en plus pour ça.
Dois-je pour autant être puni pour désertion ? Soyez assuré qu’avec ce sentiment d’indépendance retrouvé, je me sens hermétique et intouchable par toutes les insultes ou accusations que mes ex-camarades du CPL pourront proférer.
Oui, mon général, j’ai désobéi, et vous savez ?... Je ne suis pas le seul !
Tony KHOURY
Article paru le samedi 9 décembre 2006
étudiant à l’USJ
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Il m’a fallu une nuit sans sommeil, une journée avec mon portable fermé et un soulagement profond pour pouvoir vous écrire cette lettre et alléger ma conscience.
Oui, j’avais promis à mes camarades de fac de les retrouver comme prévu. J’avais transmis les consignes à tout le monde, mais je n’ai pas pu vous rejoindre et je ne le regrette plus.
Tout a commencé après la grande bagarre à la fac pour cette photo de Pierre Gemayel que les FL voulaient accrocher, ce que nous avions essayé d’empêcher. En pleine bousculade, j’ai vu un de mes camarades l’œil au beurre noir. Et une petite voix intérieure, qui se fait de plus en plus entendre depuis quelque temps, me dire : « Cette photo mérite-t-elle tout ça ? » Quelques minutes plus tard, je pensais à ce que raconterait l’étudiant couché dans...
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