Actualités - OPINION
LE POINT L’autre guerre
Par MERVILLE Christian, le 22 septembre 2006 à 00h00
Jetez un coup d’œil sur la carte : il est loin, ce Darfour, situé à l’extrémité occidentale du Soudan, adossé à la Libye, au Tchad et à la République centrafricaine. Enclave plutôt que province. Maintenant, notez que le sous-sol de ce territoire, grand comme la France et habité (à l’origine) par près de 8 millions de personnes, recèle des richesses pétrolières qui commencent à peine à faire l’objet d’une prospection effrénée, dans un pays qui est le septième producteur du continent, après le Nigeria, la Libye, l’Algérie, l’Angola, l’Égypte et la Guinée équatoriale. À partir de ces timides et très fragmentaires données, surtout ne pas se lancer dans des scénarios dignes d’un auteur de politique-fiction. La guerre dans cette partie du monde a toujours existé à l’état endémique, comme le paludisme, la malnutrition et aujourd’hui le sida. Déjà il y a quarante-quatre ans, l’agronome français René Dumont jugeait, dans un livre qui eut un retentissement énorme, que « L’Afrique noire est mal partie ». Depuis, c’est surtout sa partie orientale qui n’en finit pas de déraper.
S’agissant du Soudan, le monde commence à peine à découvrir, après des siècles d’indifférence, l’étendue du désastre en cours. Dans un article publié il y a quelque temps par le New York Times, le journaliste Nicholas Kristof relevait qu’en un an, la chaîne de télévision américaine ABC avait consacré au Darfour un peu moins de dix-huit minutes, nettement plus quand même que ses deux concurrentes : NBC (cinq minutes) et CBS (trois minutes), soit une infime fraction du temps dévolu, au cours de la même période, au chanteur Michael Jackson. Depuis, les médias se sont rattrapés. Au point que depuis deux semaines, il n’est question que des 300 000 morts et des deux millions et demi de déplacés que cette guerre a faits. Hier, l’émissaire onusien Jan Pronk refusait de délivrer le certificat de décès de l’accord de paix conclu entre Khartoum et une faction du Mouvement de libération dirigée par Minni Minnawi, reconnaissant toutefois qu’il était « à l’agonie ».
Dans le coma ? C’est le moins qu’on puisse dire. Dès les premiers jours du conflit, le pouvoir central s’est constamment opposé à tout ce qu’il considère comme étant une immixtion insoutenable dans ses affaires, à commencer par une intervention de l’ONU maintes fois annoncée et constamment repoussée. Jeudi encore, il a vu dans la décision de l’Union africaine de maintenir sur place, pour une durée de trois mois, sa force d’interposition – un contingent d’à peine 7 200 hommes, mal équipés et sous-financés – un nouveau prétexte pour éviter le déploiement de Casques bleus. Incurablement optimiste, Paris a fait savoir que la rallonge ainsi obtenue pourra être mise à profit pour arracher au général Omar el-Béchir un « oui » à la présence de troupes onusiennes. À la date du 31 décembre, le chef de l’État, ayant rejeté la résolution 1706 du Conseil de sécurité en date du 31 août dernier, aura les coudées franches pour bouter hors du pays les troupes étrangères, lancer une vaste offensive destinée à venir à bout de la rébellion et paralyser définitivement l’action des organisations de secours. Dès lors, le bilan des pertes en vies humaines ne cessera de s’alourdir, au rythme de 100 000 morts par mois, ce qui constituera la crise humanitaire la plus grave de l’histoire de la présente décennie.
Pendant ce temps, imperturbables, les autorités soudanaises continueront de soutenir la thèse de la rivalité ancestrale entre fermiers africains du Sud et tribus nomades du Nord pour expliquer les origines de la tragédie. Mais alors, pourquoi l’éruption du conflit a-t-elle coïncidé avec la découverte, en 1978 par la firme américaine Chevron, de pétrole dans le sud de la contrée ? Après cette date-charnière, les querelles autour des maigres réserves d’eau changèrent de visage (et de raison) avec la décision administrative de mettre juridiquement à l’abri des convoitises sudistes les nouveaux champs pétrolifères. Tout cela attisé par la soif d’or noir des nouveaux géants économiques comme la Chine et l’Inde. L’Agence internationale de l’énergie prévoit ainsi que ces deux pays devront, dès 2010, importer quotidiennement quelque 11,3 millions de barils, soit le cinquième de la demande mondiale.
On comprend dès lors que George W. Bush, après des années de silence, se soit décidé cette semaine à aborder la question, parlant d’un désastre à venir. En 1994, le génocide au Rwanda avait coûté la vie à 800 000 personnes, mais avait été occulté partiellement par d’autres questions internationales jugées alors comme étant plus importantes, comme celle de l’ancienne Yougoslavie. Aujourd’hui, c’est sur le dossier irakien que se focalise l’attention. Pendant que le Darfour se meurt.
Christian MERVILLE
Jetez un coup d’œil sur la carte : il est loin, ce Darfour, situé à l’extrémité occidentale du Soudan, adossé à la Libye, au Tchad et à la République centrafricaine. Enclave plutôt que province. Maintenant, notez que le sous-sol de ce territoire, grand comme la France et habité (à l’origine) par près de 8 millions de personnes, recèle des richesses pétrolières qui commencent à peine à faire l’objet d’une prospection effrénée, dans un pays qui est le septième producteur du continent, après le Nigeria, la Libye, l’Algérie, l’Angola, l’Égypte et la Guinée équatoriale. À partir de ces timides et très fragmentaires données, surtout ne pas se lancer dans des scénarios dignes d’un auteur de politique-fiction. La guerre dans cette partie du monde a toujours existé à l’état endémique, comme le...