Rechercher
Rechercher

Actualités

Municipalités et associations caritatives tentent d’organiser l’aide aux réfugiés, mais les fonds manquent Beit Méry et Broummana pris d’assaut par les réfugiés

À voir le nombre impressionnant de voitures qui se pressent aux portes des supermarchés, qui sont garées devant les hôtels ou qui sillonnent les étroites ruelles embouteillées, on serait tenté de penser, l’espace d’un instant, que Beit Méry et Broummana ont retrouvé leur gloire d’antan. Bien triste gloire, car dans ces deux localités du Metn, des réfugiés par centaines ont remplacé les vacanciers, et les touristes du Golfe ont cédé la place aux familles libanaises déplacées. Qu’ils viennent du Sud, de la banlieue sud, ou d’autres quartiers de Beyrouth moins exposés, notamment Verdun ou Achrafieh, les nouveaux hôtes de ces centres de villégiature n’ont qu’une idée en tête, fuir les bombardements sauvages et trouver un lieu pour abriter leurs enfants. Dans les rues, de vieilles caisses brinquebalantes croisent des berlines immatriculées à trois chiffres, des familles nombreuses dans le plus grand dénuement côtoient de riches réfugiés. Encore mal remis de leurs émotions, les uns et les autres organisent leur quotidien. Un quotidien où la télévision occupe une place à part entière, fait d’incertitude et de tension, dans le souci du lendemain. Dans l’attente aussi, pour certains, d’un départ libérateur vers l’étranger. Dépassés par la situation et le flux inattendu de réfugiés, les autorités et les habitants des deux localités tentent de répondre aux besoins les plus pressants, avec les moyens du bord. À Beit Méry, alors que les hôtels et les appartements meublés affichent complets depuis plusieurs jours, plus d’une centaine de familles démunies de la banlieue sud de Beyrouth et du Liban-sud, arrivées au village durant le week-end, ont demandé l’assistance de la municipalité. Certaines n’avaient que les habits qu’elles portaient sur elles, d’autres avaient emporté avec elles leur poste de télévision, un réchaud à gaz, quelques couvertures et un peu de nourriture. Logés dans les salles de classes de la seule école publique du village, dans quelques maisons vides mises à leur disposition par la municipalité, et au centre hospitalier Saint-Élie de Roumieh, la majorité des réfugiés, estimés à plus d’un millier de personnes, ont passé la première nuit à même le sol et continuent de vivre aujourd’hui dans un dénuement quasi total, dans l’attente d’une meilleure organisation des aides humanitaires qui commencent d’ailleurs à se dessiner. Certes, des matelas, de la nourriture, des produits de première nécessité, du gaz et des médicaments ont bien été distribués, mais les quantités sont nettement insuffisantes et ont été inégalement réparties entre les familles. Résultat : ici, on remercie la municipalité et les associations du village, là on regrette de n’avoir reçu que des restes de nourriture ou de devoir dormir à huit personnes sur deux étroits matelas en éponge. Mais on se débrouille comme on peut avec résignation et parfois un brin de bonne humeur. Une adolescente demande si elle pourrait avoir un pyjama. Un petit garçon a le sourire aux lèvres. Il vient de se faire prêter une paire de baskets toute neuve, après avoir perdu les siennes dans la mêlée du départ. Deux fillettes se savonnent les pieds sous les fontaines d’eau potable de l’école, mais elles réalisent trop tard que l’eau est coupée. Une bouteille d’eau fera l’affaire. Absence du Haut Comité de secours « Le problème, explique le président de la municipalité de Beit Méry, Antoine Maroun, est que nous ne sommes pas préparés à une telle situation. Il devient difficile de se ravitailler dans la région et certains produits, comme le gaz, l’essence ou le mazout, commencent à manquer, car les transporteurs ont tout simplement peur de faire la navette, alors que les prix des produits alimentaires grimpent de manière vertigineuse. Le pire, regrette-t-il, est que le ministère de l’Intérieur interdit aux municipalités de dépenser le moindre sou pour venir en aide aux réfugiés avant de consulter le Haut Comité de secours. Lequel comité ne répond même pas au téléphone et nous laisse nous débattre dans notre situation. » Handicapée, les mains liées, la municipalité qui a, entre-temps, dressé des listes de tous les réfugiés nécessiteux, a fait appel aux nombreuses associations du village, notamment la Croix-Rouge libanaise, Caritas, ainsi que le Comité des dames de Beit Méry, qui se sont aussitôt mises à pied d’œuvre. Mais les fonds manquent cruellement. Le président de la municipalité de Broummana, Pierre Achkar, a refusé de se laisser dépasser par une telle situation. « Nous n’avons pas le temps de nous soucier des lois, en période de drame humanitaire. Notre village a reçu 150 réfugiés du Liban-Sud, totalement démunis, que nous avons aussitôt logés à l’école publique du village et que la municipalité prend à sa charge avec l’aide des associations locales. Les lois humanitaires doivent savoir dépasser celles instaurées par les hommes », observe-t-il avec détermination, précisant que nul ne sera sanctionné pour avoir distribué du lait aux enfants ou des médicaments aux personnes âgées. De leur côté, les hôtels et appartements meublés du village sont sursaturés. « Mais la clientèle se renouvelle régulièrement, explique M. Achkar, car les Libanais de l’étranger s’abritent provisoirement dans nos régions avant de rentrer chez eux, en France, en Australie ou ailleurs. Un départ organisé dans le stress et les larmes, par peur du danger. » Le difficile approvisionnement Tant bien que mal, la population s’adapte, elle aussi, à cette crise aussi inattendue qu’indésirable. Les supermarchés sont pris d’assaut. La clientèle s’approvisionne sans penser aux autres. Elle ne néglige rien et prend tout ce qui lui passe sous la main, même des produits de luxe ou des produits qui lui sont inutiles. Lait, pain, farine, sucre, riz, viande, mais aussi crevettes, chocolat, whisky, tabac… rien n’est négligé. C’est par centaines que l’on commande les caisses d’eau potable. Les rayons se remplissent et se vident à une allure vertigineuse. Mais certains resteront vides, car l’on apprend déjà que les dépôts d’une importante société de distribution situés à Kfarchima ont été bombardés et ravagés par un incendie. Certaines marques de lait ou de riz commencent déjà à manquer. Les propriétaires des supermarchés de la région déplorent cette situation : « Je suis profondément déprimé et je regrette de dire que je ne suis pas content de voir mon travail s’améliorer dans ces conditions », remarque Mikhaël Béchara, propriétaire du supermarché Béchara à Broummana. « C’est carrément la folie, précise-t-il encore. Les gens se ruent sur les marchandises dans le désordre le plus total, et achètent les produits même lorsqu’ils n’en ont pas besoin. Les employés, eux, sont épuisés. » Même son de cloche au supermarché de Beit Méry, Supermarco. « Nous avons quintuplé notre chiffre d’affaire, explique le directeur, Tarek Zeit. Mais les gens achètent tellement de choses à la fois qu’il nous est impossible de suivre. Nos fournisseurs continuent d’assurer la marchandise nécessaire, mais ce n’est jamais en quantité suffisante. Même s’il n’y a pas de pénurie alimentaire à l’heure actuelle, les gens paniquent. Cela ne présage rien de bon pour les semaines à venir, si les produits de première nécessité venaient réellement à manquer, ou si les prix venaient à flamber », déplore-t-il encore. Tout en payant son énorme facture à la caisse, une cliente lance, avec dérision : « Le Libanais n’est jamais mort de faim durant les pires moments de la guerre, mais mieux vaut être prévoyant. » Difficile dans cette ambiance, pour le moins déprimante, de se remémorer les beaux jours de Beit Méry ou Broummana, tant la peur du lendemain taraude chaque hôte, chaque réfugié, chaque habitant. Anne-Marie EL-HAGE

À voir le nombre impressionnant de voitures qui se pressent aux portes des supermarchés, qui sont garées devant les hôtels ou qui sillonnent les étroites ruelles embouteillées, on serait tenté de penser, l’espace d’un instant, que Beit Méry et Broummana ont retrouvé leur gloire d’antan. Bien triste gloire, car dans ces deux localités du Metn, des réfugiés par centaines ont remplacé les vacanciers, et les touristes du Golfe ont cédé la place aux familles libanaises déplacées. Qu’ils viennent du Sud, de la banlieue sud, ou d’autres quartiers de Beyrouth moins exposés, notamment Verdun ou Achrafieh, les nouveaux hôtes de ces centres de villégiature n’ont qu’une idée en tête, fuir les bombardements sauvages et trouver un lieu pour abriter leurs enfants.

Dans les rues, de vieilles caisses...