Par Richard N. HAASS*
Au milieu des controverses qui entourent l’Iran et l’Irak, on ne prête guère attention à un événement majeur concernant un troisième pays dont le nom commence aussi par un I : l’Inde. Le Congrès américain va probablement se prononcer au cours de cette année sur l’Initiative de coopération pour le nucléaire civil entre les USA et l’Inde qui a été signée lors de la visite du président Bush à New Delhi en mars dernier. Cet accord ouvre la voie à des exportations de technologie et de matériel nucléaire américain vers l’Inde pour servir dans son programme de nucléaire civil. En échange, l’Inde a promis d’ouvrir 14 de ses 22 centrales nucléaires existantes ou prévues, ainsi que toutes les centrales qui seront construites dans l’avenir, à des inspections internationales.
Cet accord est important pour au moins deux raisons. Premièrement, il symbolise une nouvelle relation géopolitique entre les deux plus grandes démocraties de la planète qui étaient souvent dans des camps opposés durant la guerre froide. Il pourrait avoir une importance historique, car non seulement il contribue à resserrer les liens techniques et économiques entre les deux pays, mais il renforce aussi leur capacité à répondre aux défis qui se posent tant au niveau régional que mondial, et qui vont des risques de prolifération nucléaire au changement climatique.
Mais cet accord, qui pourrait être ratifié prochainement, attire l’attention pour une deuxième raison, bien plus polémique : il risque de favoriser, plutôt que de freiner, la prolifération des armes nucléaires. Les critiques lui reprochent de saper le traité de non-prolifération nucléaire (TNP) en laissant l’Inde disposer de l’arme nucléaire et en lui donnant accès au combustible et à la technologie nucléaire. Ils estiment que cet accord crée un système à deux poids et deux mesures qui accorde à certains pays le droit de posséder l’arme nucléaire, mais pas à d’autres. Ils ont raison, au moins partiellement. Un système à deux poids et deux mesures est bien à l’œuvre. Mais ce n’est pas nouveau. Le TNP, vieux d’une quarantaine d’années, est basé sur ce principe, puisqu’il accorde à seulement cinq pays (la Chine, la France, la Russie, le Royaume-Uni et les USA) le droit de posséder l’arme nucléaire, sans mention de durée. Le monde semble néanmoins avoir accepté que trois autres pays (Israël, l’Inde et le Pakistan) détiennent eux aussi l’arme nucléaire. Mais les critiques de la proposition d’accord USA-Inde se trompent en disant qu’un système à deux poids et deux mesures est mauvais dans le cas de l’Inde, parce qu’il ouvre la voie de l’arme nucléaire à des pays tels que la Corée du Nord ou l’Iran.
On ne peut pas mettre tous les pays sur le même plan. L’Inde est une démocratie, la transparence et l’État de droit y constituent la norme et le gouvernement indien fait tout ce qu’il peut pour combattre le terrorisme. Il n’y a aucune raison de croire que l’Inde va favoriser la prolifération du combustible, de la technologie ou de l’armement nucléaire en direction d’un quelconque pays ou groupe. Bien au contraire, elle s’est engagée à l’empêcher.
Cela n’est vrai ni de la Corée du Nord ni de l’Iran. Le premier de ces pays est le plus fermé, dictatorial et militarisé qui soit, avec un long passé d’exportations irresponsables de technologies dangereuses. L’Iran soutient officiellement des groupes terroristes et son président a menacé publiquement de détruire Israël. En ce qui concerne l’armement atomique, le monde a de bonnes raisons d’être bien moins tolérant à l’égard de la Corée du Nord et de l’Iran et de ne pas les traiter à égalité avec l’Inde, contrairement à ce qu’ils réclament.
La proposition d’accord USA-Inde présente toutefois un risque, celui d’inciter la Corée du Nord ou l’Iran à penser que c’est seulement une question de temps jusqu’à ce que le monde accepte qu’ils se dotent de l’arme nucléaire. Les USA et les autres pays doivent les détromper. La Corée du Nord semble avoir compris le message, car elle n’a fait aucun test nucléaire, alors qu’elle a probablement la capacité de le faire. La Chine, la voie de transit pour presque tout ce qui entre ou sort de Corée du Nord, sait que si la Corée du Nord franchit cette ligne rouge, elle risque une intervention militaire américaine. Cela pourrait également conduire le Japon et/ou la Corée du Sud à reconsidérer leur politique en matière d’armement nucléaire ; toutes choses qui vont à l’encontre des intérêts stratégiques de la Chine.
Malheureusement, aucun pays n’est en position de faire pression sur l’Iran comme la Chine peut le faire sur la Corée du Nord. La situation est d’autant plus difficile que le prix du pétrole atteint déjà des records et que les forces terrestres américaines sont mobilisées en Irak, ce qui diminue la crédibilité de la menace militaire américaine sur l’Iran. Néanmoins, les dirigeants iraniens seraient mal inspirés d’exclure la possibilité d’un recours à la force par les Américains et de continuer sur la lancée d’un programme nucléaire à coloration militaire.
Cela dit, une frappe préventive contre les installations nucléaires iraniennes n’est dans l’intérêt d’aucun des deux pays. Les risques en termes de perte en vies humaines, de représailles par l’Iran et de crise économique mondiale sont élevés. Non seulement les USA et l’Iran, mais le monde entier a tout intérêt à une issue diplomatique à la crise. Il faudrait pour cela que l’Iran accepte de limiter drastiquement l’enrichissement de l’uranium et place toutes ses installations nucléaires sous un contrôle international très étroit en échange d’avantages économiques et de garanties quant à sa sécurité. Si besoin est, des négociations directes USA-Iran pourraient être organisées pour parvenir à un tel accord.
La stratégie de l’Iran ne dépend pas de ce qui se passe entre les USA et l’Inde. Elle est surtout façonnée par des considérations de politique intérieure, par la capacité de la communauté internationale à présenter ou pas un front uni et par la plus ou moins grande volonté des USA de faire des propositions suffisamment attractives pour l’Iran, avec en toile de fond la possibilité de sanctions ou de frappes militaires en cas d’échec. L’enjeu ne peut pas être plus important. C’est l’Iran, et non pas l’Inde, qui doit nous préoccuper.
*Richard Haass préside le Council on Foreign Relations. Il est l’auteur d’un livre intitulé The Opportunity : America’s Moment to Alter History’s Course.
© Project Syndicate, 2006. Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz.
Veuillez vous connecter pour visualiser les résultats Par Richard N. HAASS*
Au milieu des controverses qui entourent l’Iran et l’Irak, on ne prête guère attention à un événement majeur concernant un troisième pays dont le nom commence aussi par un I : l’Inde. Le Congrès américain va probablement se prononcer au cours de cette année sur l’Initiative de coopération pour le nucléaire civil entre les USA et l’Inde qui a été signée lors de la visite du président Bush à New Delhi en mars dernier. Cet accord ouvre la voie à des exportations de technologie et de matériel nucléaire américain vers l’Inde pour servir dans son programme de nucléaire civil. En échange, l’Inde a promis d’ouvrir 14 de ses 22 centrales nucléaires existantes ou prévues, ainsi que toutes les centrales qui seront construites dans l’avenir, à des inspections internationales.
Cet...