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Des litiges territoriaux, mais aussi une présence militaire syrienne L’armée à Qaa : une présence insuffisante face à l’épineux dossier des frontières
Par EL HAGE Anne Marie, le 04 mars 2006 à 00h00
Bienvenue à Qaa, dernier village libanais de la Békaa-Nord avant le poste-frontière de Jousseh el-Amar, en Syrie. Dans ce village paisible et agricole, l’armée libanaise s’est installée, il y a deux jours, à proximité de la frontière. Un village qui continue, depuis la guerre, de se vider de sa population, après le dramatique massacre, mais aujourd’hui à cause du manque d’universités, et surtout du manque de perspectives. Les maisonnettes, simples et sans prétention, souvent inachevées, témoignent des difficultés économiques auxquelles fait face la population. Une population exclusivement grecque-catholique, initialement composée de 12 000 habitants, mais dont le nombre n’atteint pas les 4 000 aujourd’hui. Aux alentours du village où sont regroupées les habitations et quelques écoles, les terrains s’étalent à perte de vue, laissés à l’abandon. Seules quelques taches verdoyantes sont la preuve de l’obstination de certains irréductibles. Depuis quelques années, les Qaaiotes ont abandonné l’agriculture : longtemps assoiffés et isolés durant la guerre par leurs compatriotes libanais et néanmoins adversaires des villages avoisinants, ruinés par la concurrence des produits agricoles syriens, ils sont réduits aujourd’hui à l’exode vers la ville, après avoir en vain tenté de résister contre cette fatalité, en pompant l’eau des puits. Ceux qui refusent de partir n’ont d’autre choix que de s’enrôler dans l’armée libanaise ou d’intégrer la fonction publique. Le commerce et la contrebande les aident aussi à boucler le mois. D’ailleurs dans ce village si paisible, où les loisirs et les tentations sont rares, les habitants se suffisent de peu. Avec leurs voisins syriens, les relations sont complexes, mais elles n’en restent pas moins cordiales, commerciales, et souvent familiales, car les mariages sont courants entre Qaaiotes et Syriens. Alors aujourd’hui, même si les habitants accueillent avec soulagement et fierté la présence de l’armée, même si les litiges concernant les terres sont multiples entre eux et l’État syrien, ils n’en espèrent pas moins entretenir des relations cordiales avec leur voisin de toujours. La seule perspective de développement pour ce village aujourd’hui presque désert ? Profiter de l’immense espace non exploité et reboiser les terres afin de revendre le bois des arbres, propose le président de la municipalité. Mais encore faudrait-il que l’État lotisse les terres et facilite la tâche à la municipalité pour permettre à Qaa de revivre enfin.
Ce village longtemps ignoré des autorités accueille depuis deux jours les soldats de l’armée libanaise. Officiellement, c’est pour lutter contre la contrebande et pour fermer les points de passage illégaux que celle-ci s’est déployée en différents points de la frontière libano-syrienne, notamment à l’entrée de Qaa, dans la région de Macharih el-Qaa et plus loin, au Midane, à Qald es-Sabeh, à Haoucharyeh, à Qanafez, mais aussi à Wadi Shahout et Ersal. Mais l’objectif véritable semble dépasser le problème de la contrebande, et le tracé des frontières ne serait pas étranger à cette présence, la Syrie ayant grignoté des milliers de m2 de terres appartenant à ce village, durant sa longue présence.
Résultat, dans la région de Qaa, ces milliers de m2 de terres sont aujourd’hui source de litige entre les deux pays, alors que les gardes-frontières syriens, baptisés « Hajjani » ne se privent pas d’avancer en territoire libanais, d’installer des postes permanents sur les pentes de l’Anti-Liban et de tirer sur tout ce qui bouge, histoire de décourager les curieux ou même les agriculteurs.
Le problème de Qaa rappelle quelque peu celui des fermes de Chebaa, mais ici, pas d’ennemi israélien, pas de résistance pour défendre le territoire, ni même pour le récupérer. Pas d’État libanais non plus soucieux de son propre intérêt, ni de celui de son peuple. Tout juste une population libanaise totalement impuissante face à son voisin syrien. Une population qui possède des titres de propriété officiels délivrés par la direction du cadastre de la République libanaise, mais qui n’a plus accès à ses terres, désormais occupées par les Syriens. Seul le président de la municipalité, Nicolas Matar, est aujourd’hui à l’écoute des habitants de Qaa. Épaulé par l’historien et professeur à l’Université libanaise, Issam Khalifé, il multiplie les preuves et les titres de propriété qu’il présente aux autorités, tout en expliquant la situation.
Cadastrés mais non lotis
« Le premier problème est d’ordre législatif et concerne le tracé des frontières », indique Nicolas Matar. « Il touche deux grands biens-fonds, portant les numéros 7 et 43. Le bien-fonds 7 qui concerne la région de Qaa Jouar Ma’yia et qui s’étend, selon les doyens des habitants, jusqu’au couvent Mar Élias est la propriété de citoyens libanais. Les vieux agriculteurs racontent qu’ils plantaient cette terre, autrefois. Aujourd’hui, cette terre est interdite d’accès aux Libanais, alors qu’ils possèdent des titres de propriété officiels signés des autorités libanaises. Les Syriens y ont même construit un village qu’ils habitent, baptisé Jousseh el-Amar. Alors que le bien-fonds 43, qui concerne la région de Qaa Bayoun, est la propriété de la République libanaise. Baptisée Kara par les Syriens, cette région n’est pas habitée, mais elle fait l’objet d’une activité agricole et d’une présence régulière syrienne. »
Quant au second problème, il concerne la présence armée syrienne sur des terres reconnues officiellement par les deux parties comme appartenant au Liban. « Les gardes-frontières occupent carrément des terres libanaises sous prétexte de lutter contre la contrebande, invoquant également des raisons sécuritaires. Depuis que l’on parle de tracé des frontières, ils ont d’ailleurs élargi leur présence, déplore le président de la municipalité. Un problème qui est cependant plus important à Ras Baalbeck et à Ersal », constate-t-il.
Nicolas Matar explique également que les terres de Qaa faisant l’objet de litige avec la Syrie sont cadastrées mais non loties, de même que de nombreux terrains à proximité de la frontière. Les propriétaires des terrains sont donc identifiés, mais les lots ne sont pas distribués. « Malgré les multiples requêtes de la municipalité au mohafez de la Békaa, depuis près de 8 ans, aucune initiative n’a été prise jusque-là, déplore le président de la municipalité de Qaa, alors que ce problème a été résolu à Ersal et Ras Baalbeck, quelque temps après la mort de Rafic Hariri, même si de nombreux litiges entre propriétaires libanais et syriens n’ont toujours pas été résolus. »
La présence de l’armée libanaise dans la région de Qaa est-elle la preuve de l’intérêt que portent les autorités libanaises pour cette zone longtemps ignorée par l’État ? Il est probablement trop tôt pour le dire, car la présence de l’armée, quoique rassurante pour les populations, ne suffit pas à elle seule à montrer le sérieux de l’État libanais dans le problème du tracé des frontières, ou dans la lutte contre la contrebande.
Un sérieux qu’il sera difficile d’apprécier tant que les postes des douanes et de la Sûreté générale resteront situés à 10 km de la frontière, tant que les ouvriers syriens continueront surtout de se faufiler illégalement au Liban, au vu et au su de tous, sans que personne ne réagisse…
Anne-Marie EL-HAGE
Bienvenue à Qaa, dernier village libanais de la Békaa-Nord avant le poste-frontière de Jousseh el-Amar, en Syrie. Dans ce village paisible et agricole, l’armée libanaise s’est installée, il y a deux jours, à proximité de la frontière. Un village qui continue, depuis la guerre, de se vider de sa population, après le dramatique massacre, mais aujourd’hui à cause du manque d’universités, et surtout du manque de perspectives. Les maisonnettes, simples et sans prétention, souvent inachevées, témoignent des difficultés économiques auxquelles fait face la population. Une population exclusivement grecque-catholique, initialement composée de 12 000 habitants, mais dont le nombre n’atteint pas les 4 000 aujourd’hui. Aux alentours du village où sont regroupées les habitations et quelques écoles, les terrains...