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Actualités - OPINION

PERSPECTIVES - Le dialogue national initié par Berry sera le premier du genre en 30 ans, loin de toute influence étrangère directe Le rendez-vous du 2 mars, une opportunité de repenser à terme les fondements du système politique

Un « retour à soi ». Ou, pour être plus précis, une tentative de retour à soi. C’est en ces termes que l’on pourrait qualifier le dialogue national qui devrait, en principe, être enclenché le 2 mars prochain au Parlement, sous l’impulsion du président de la Chambre, Nabih Berry. Ce sera indéniablement la première fois en trente ans que les leaders libanais se retrouveront seuls, de leur propre initiative, pour débattre de dossiers hautement litigieux, loin de toute influence étrangère. La première expérience de dialogue interne, dans le Liban en crise, remonte au début de la guerre lorsque le chef du gouvernement, Rachid Karamé, annonce, le 24 septembre 1975, la formation d’un « comité national pour le dialogue ». Ce dernier regroupe alors vingt membres : les ténors politiques, ainsi que des personnalités de la société civile proches des forces actives de l’époque. Mais ce comité portera déjà les empreintes de Damas, puisqu’il avait été mis sur pied dans le sillage d’une médiation qu’avaient entreprise quelques jours plus tôt Abdel Halim Khaddam et le général Hikmat Chéhabi, respectivement ministre syrien des Affaires étrangères et chef du Second Bureau syrien au moment des faits, afin (prétendument) de mettre un terme aux combats déclenchés le 13 avril de la même année. Le comité, dans lequel l’opinion publique avait fondé beaucoup d’espoirs, tiendra quelques réunions mais fera rapidement chou blanc en raison de l’escalade militaire sur le terrain. Le Liban était déjà tombé, en effet, dans les griffes des puissances régionales, dont notamment la Syrie et l’OLP de Yasser Arafat. La tentative de dialogue national se renouvellera au début des années 80, sous le mandat du président Amine Gemayel, à la faveur des conférences de Lausanne et de Genève (1984). Celles-ci se tiendront toutefois, comme en 1975, sous très haute surveillance syrienne. Quant à la conférence de Taëf (1989), qui débouchera sur l’accord portant le même nom, elle sera étroitement encadrée, une fois de plus, par le régime de Damas, mais aussi par l’Arabie saoudite. Toutes ces velléités de débat interne n’aboutiront pas aux résultats escomptés, le jeu étant faussé à la base, dès le départ, par le tutorat étranger, essentiellement syrien, qui avait déjà pris la scène locale en otage. Les retrouvailles du 2 mars seront donc les premières du genre qui se tiendront non seulement loin du diktat étranger, mais surtout dans un contexte marqué par une baisse drastique de l’influence syrienne sur le pays du Cèdre. Une opportunité à ne pas manquer, même si la capacité de nuisance de la Syrie risque de se manifester d’ici là, une fois de plus, d’une façon ou d’une autre. Dans une première étape, ce dialogue devrait porter, comme l’a indiqué Nabih Berry, sur la question de la 1559 (ce qui inclut nécessairement le sort du président de la République et le problème épineux de l’armement du Hezbollah), les relations libano-syriennes et le dossier de l’enquête internationale sur l’assassinat de Rafic Hariri. Il serait toutefois déplorable – et totalement irrationnel – qu’un tel dialogue ne s’étende pas par la suite, rapidement et en profondeur, aux principales failles du système politique et constitutionnel en vigueur. L’expérience des dernières années, et surtout des derniers mois, a montré à quel point il est devenu impératif de repenser et redéfinir aussi bien la représentation des communautés au sein du pouvoir que le rôle et les prérogatives du président de la République, du chef du Législatif et du Premier ministre. Les lacunes sur ce plan sont légion. À titre d’exemple, la Loi fondamentale approuvée à Taëf ne prévoit aucune disposition, aucun mécanisme susceptible d’éviter au pays un blocage au niveau de l’Exécutif ou une profonde crise de régime en cas de conflit ouvert entre le président de la République d’une part, et un gouvernement soutenu par une forte majorité parlementaire d’autre part, à l’instar de la situation qui prévaut depuis les dernières élections législatives du printemps et la formation du cabinet Siniora. De manière similaire, la Constitution n’impose aucune contrainte de temps, aucun délai limite, à un Premier ministre désigné qui serait dans l’incapacité de former un gouvernement mais qui refuserait de se récuser, paralysant ainsi – de façon illimitée, s’il le souhaite – tout l’exercice du pouvoir. Ce fut notamment le cas lorsqu’à la fin de « l’ère syrienne », Omar Karamé, chargé de former le gouvernement, a paru vouloir prendre tout son temps, sans contrainte aucune, dans l’intention évidente d’aboutir à un ajournement des élections législatives qui s’annonçaient désastreuses pour le camp prosyrien, sous l’effet de la révolution du Cèdre qui était alors en marche. Les lacunes constitutionnelles se manifestent aussi au niveau du statut et des prérogatives du chef du Législatif dont le mandat fixé à quatre ans (autant que celui de l’Assemblée) a fait du président de la Chambre le troisième pôle incontournable du pouvoir effectif dans le pays, outrepassant ainsi son rôle de législateur en chef. Sans compter qu’il est pratiquement en mesure de geler sine die dans les tiroirs du bureau de la Chambre toute proposition de loi ou tout projet de loi, alors que le président de la République n’a aucun moyen légal d’en faire de même et ne bénéficie que d’une marge de manœuvre symbolique pour contester un texte de loi. Mais au-delà de ces considérations ponctuelles, c’est le débat ouvert par le Hezbollah au sujet du mécanisme de prise de décision au niveau de l’Exécutif, sous l’angle des rapports entre la majorité et la minorité, qui a posé le problème épineux – et explosif – de toute la philosophie du système politique libanais et des relations entre les composantes socio-communautaires du pays. Autant de dossiers fondamentaux qui ont été sciemment occultés au cours des trente dernières années et dont le règlement devrait être à la base du nouveau contrat social auquel se doivent de parvenir les forces vives locales. Les leaders et chefs des blocs parlementaires auront beaucoup de pain sur planche lorsqu’ils se rencontreront place de l’Étoile, le 2 mars prochain, à l’initiative de Nabih Berry. Encore faut-il qu’ils aient pris réellement, au préalable, la décision politique d’édifier, enfin, un État qui soit véritablement le reflet des réalités profondes de la société libanaise. Michel TOUMA
Un « retour à soi ». Ou, pour être plus précis, une tentative de retour à soi. C’est en ces termes que l’on pourrait qualifier le dialogue national qui devrait, en principe, être enclenché le 2 mars prochain au Parlement, sous l’impulsion du président de la Chambre, Nabih Berry.
Ce sera indéniablement la première fois en trente ans que les leaders libanais se retrouveront seuls,...