Les projets d’islamisation du mouvement intégriste Hamas, grand vainqueur des élections législatives palestiniennes, suscitent une inquiétude croissante au sein de la population palestinienne, qui redoute la fin de la diversité. «Le projet du Hamas d’imposer le voile islamique par la loi a suscité une grande inquiétude parmi les femmes. Certaines ont affirmé qu’elles quitteraient le pays si on les y obligeait », souligne Mona al-Farra, médecin, militante du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) et dirigeante du Croissant-Rouge palestinien. Myriam Farhat, nouvelle élue du Hamas à Gaza, a annoncé dans son programme électoral qu’elle allait proposer au Conseil législatif (Parlement) de voter une loi imposant le voile islamique. « Il ne fait pas de doute que le Hamas va tenter d’islamiser la société à travers les programmes scolaires, ou en restreignant les libertés politiques et sociales, mais il le fera progressivement, car, instruit de son expérience sur le terrain, il sait qu’il ne faut pas imposer, mais obtenir l’adhésion des gens », souligne Mme Farra. « Le programme du Hamas est clair, il stipule la modification des lois pour les rendre conformes à la charia, la loi islamique. Je ne crois pas à un bouleversement, mais je suis inquiet », déclare Issam Younès, directeur d’un centre des droits de l’homme, « Balance ». « Faire de la charia la source de la législation annulera toutes les autres sources. L’islamisation du droit équivaut à révolutionner le droit civil, les libertés publiques, le droit des partis, le droit d’association et les droits de la femme », souligne-t-il. Il craint que le Hamas ne tente de généraliser le « modèle » de l’Université islamique de Gaza, en imposant la séparation des filles et des garçons dans l’enceinte universitaire, et étendant cette ségrégation aux ministères et aux établissements publics. « Il est vrai que la société palestinienne de Gaza est très conservatrice. Mais le port du voile, bien que très étendu, n’est pas codifié par la loi, ce qui laisse une marge au pluralisme », souligne M. Younès. « La domination du Hamas sur le Parlement lui offre un terreau propice pour un durcissement de la législation », craint-il. « Depuis sa création il y a dix-huit ans, Hamas n’a pas vraiment exercé de pressions pour une islamisation de la société, en dehors de ses propres militants, mais je crains que la tendance ne s’inverse maintenant qu’il est majoritaire au Parlement », déclare Tayssir Moheissein, chercheur du Centre d’études sur le développement. « La mort a joué un rôle capital dans l’extension du voile. La tragédie palestinienne s’exprimait aussi dans le vêtement : les femmes ne pouvaient se parer de leurs atours, alors que la mort rôdait autour d’elles et de leurs proches », relève M. Moheissein. Il estime que l’islamisation se fera progressivement. « Depuis le début des années 1970, le Hamas s’est employé à banaliser son hégémonie idéologique à travers des institutions efficaces, comme les mosquées et les associations caritatives, et de solidarité sociale. Aussi, le Hamas va tenter de faire passer son projet d’islamisation avec souplesse, sans effrayer le courant laïc, aussi faible soit-il », ajoute M. Moheissein. Le chef de file du Hamas aux législatives, Ismaïl Hanyeh, un modéré, dont le nom circule comme futur Premier ministre, a tenté de rassurer : « Nous n’imposerons rien en matière de religion et nous ne tenterons pas de peindre la société de nos couleurs », a-t-il dit. Khalida Jarrar du FPLP prédit au Hamas de « grandes déconvenues s’il tente d’imposer son projet d’islamisation ». « La société palestinienne s’est développée sur le pluralisme et le respect de l’autre », et « malgré la faiblesse des partis laïcs et démocratiques, elle continuera à rejeter toute tentative d’hégémonie politique et idéologique », estime-t-elle. Safa KANJ (AFP)