Mohammed Helal se souvient. « Sous le roi Farouk, les prisons n’étaient pas si terribles. Ma famille pouvait m’apporter des repas. Après, sous Nasser puis sous Moubarak, c’est devenu inhumain. » Pour Mohammed Helal, l’un des seize membres du « Bureau de la guidance », l’instance dirigeante des Frères musulmans, l’incarcération fait partie d’un cursus militant...
Actualités - REPORTAGE
Spécial LE FIGARO Les « Frères » ébranlent la politique égyptienne
Par PRIER Pierre, le 27 janvier 2006 à 00h00
Pierre PRIER
Mohammed Helal se souvient. « Sous le roi Farouk, les prisons n’étaient pas si terribles. Ma famille pouvait m’apporter des repas. Après, sous Nasser puis sous Moubarak, c’est devenu inhumain. » Pour Mohammed Helal, l’un des seize membres du « Bureau de la guidance », l’instance dirigeante des Frères musulmans, l’incarcération fait partie d’un cursus militant entamé en 1948. Le vieux monsieur, qui reçoit dans un appartement de Mansoura, au cœur du delta du Nil, avoue « plus de 80 ans », dont 60 de militantisme et 10 de prison. Acteur des rapports complexes de la confrérie avec le pouvoir, le voilà au centre d’un nouveau bouleversement. À l’issue de législatives marquées par la violence, les Frères musulmans, tous étiquetés « indépendants », sont passés de 17 à 88 sièges sur 444.
Sans leur « autolimitation », ils seraient sans doute majoritaires. Les islamistes n’ont présenté des candidats que dans un tiers des circonscriptions. « Nous ne voulions pas provoquer le pouvoir », admet Mohammed Habib, l’un des « guides suprêmes adjoints » dans le bureau de la confrérie, au centre du Caire. « Nous voulions donner une chance à l’opposition laïque ». Celle-ci s’est effondrée. Victime des fraudes habituelles, mais aussi de sa proximité avec le régime.
Définir les contours d’un parti
Prudents, les islamistes savent qu’ils auraient probablement déclenché une nouvelle vague de répression en ramassant immédiatement tous les dividendes de leur popularité. Mais ils se retrouvent seuls au Parlement devant le Parti national démocratique (PND) au pouvoir, qui n’a pas obtenu son score habituel malgré les cordons de policiers barrant l’accès des bureaux de vote dans les circonscriptions favorables aux islamistes. Le paysage politique égyptien tient désormais du théâtre d’ombres. La confrérie, seule force d’opposition crédible, n’a pas le droit de former un parti, ni même d’exister officiellement, étant « interdite, mais tolérée ».
Que faire de cette victoire historique en pointillé ? Les islamistes ont bien l’intention d’utiliser l’Assemblée comme tribune. « Notre priorité, c’est d’activer cette institution endormie », dit Essam el-Arian, le porte-parole des Frères musulmans, récemment libéré. Le PND a déjà réagi. « Le résultat, c’est que nos députés vont être plus présents au Parlement, et qu’il y aura plus de discipline dans le parti », explique Mohammed Kamel, professeur à l’Institut de sciences politiques de l’université du Caire et proche de Gamal Moubarak, fils et héritier présomptif du président.
Leur score spectaculaire oblige les Frères à accélérer leur réflexion politique. Ils ne peuvent plus se contenter d’« islamiser la société par le bas » grâce à leurs institutions religieuses, hôpitaux ou clubs de sport. Ni même d’exercer leur influence à travers les syndicats.
« Notre but lointain, reconnaît Mohammed Helal, le vieux monsieur de Mansoura, c’est de rétablir l’ère des premiers successeurs du Prophète, les quatre “califes bien guidés ”. » Un projet qui s’adresse au monde : « On ne va pas occuper la France. On lui proposera seulement l’islam. » Mais en attendant cette « parousie », il faut se colleter avec la réalité nationale. Le fondateur égyptien de la confrérie en 1928, Hassan el-Banna, est mort sans avoir élaboré une vraie doctrine politique ni préciser la nature de « l’État islamique ».
Convertis au pluralisme
La direction actuelle a décidé, pour la première fois dans l’histoire de la branche égyptienne, de définir les contours d’un futur parti. C’est la tendance minimaliste, attribuée à la « vieille garde », qui a gagné. « La confrérie restera comme elle est, explique Mohammed Helal. Nous aurons à côté d’elle un parti politique ayant comme référence l’islam. Ses membres seront des Frères musulmans, mais il ne portera pas notre nom. La minorité voulait fondre la confrérie dans un “ Parti des Frères musulmans ”. »
Le débat n’est pas terminé. Les Frères s’accordent à appeler de leurs vœux un parti « ouvert et tolérant » et au « respect de la citoyenneté ». Essam el-Arian a même proposé un parti « d’inspiration religieuse » et pas seulement islamique, qui pourrait accueillir des coptes. Mais les militants trahissent un certain noviciat dans le maniement des concepts politiques. Au syndicat des pharmaciens de Mansoura, les dirigeants, eux aussi récemment emprisonnés pendant plusieurs mois, discutent ferme. Saber Zoher, candidat malheureux victime d’un dépouillement des votes folkloriques, verrait bien l’Égypte comme « un pays civil ayant comme référence l’islam, comme en Turquie ». La Turquie, ce n’est pas ce que l’on veut, corrige le secrétaire général du syndicat, le Dr Gamal Moustapha al-Achri. « Là-bas, il y a l’ignorance de l’islam. En outre, le parti d’Erdogan a des relations avec Israël, ce qui est impossible pour nous. Enfin, si elle adhère à l’Europe, la Turquie va devoir respecter ses règles sur la liberté individuelle. » Pour le vieux Mohammed Helal, la société turque est déjà trop libre : « Beaucoup de choses interdites par l’islam y sont permises. Le port du voile est réglementé, les relations sexuelles en dehors du mariage ne sont pas condamnées, et j’en passe. »
Ces échos inquiètent Milad Hanna, vieux militant de gauche et intellectuel copte, qui a fait sensation en annonçant qu’il quitterait le pays si les Frères prenaient le pouvoir. Il ne croit pas aux bonnes intentions de la confrérie, malgré ses multiples rencontres et séminaires organisés récemment avec les Coptes. « Une fois qu’ils seront au pouvoir, ce sera un pays à parti unique, et les gens comme moi seront derrière les barreaux. »
L’universitaire allemande Ivesa Lübben, spécialiste de la mouvance islamique, croit au contraire que les Frères musulmans sont bousculés par la réalité : « Leur conversion au pluralisme n’est pas une tactique. Ils pensent qu’il est inévitable dans la complexité de sociétés modernes. » Les Frères musulmans égyptiens souhaiteraient imiter la branche jordanienne : fonder un parti « appendice » du mouvement, ouvert à tous, mais dans lequel les Frères garderaient officieusement une forte majorité. De toute façon, le problème ne se pose pas immédiatement. Avant de déposer les statuts de leur formation, les islamistes demandent l’abrogation de la loi actuelle, qui restreint les activités des partis. Une façon, pour les Frères, de ne pas affronter immédiatement le pouvoir.
Pierre PRIER
Mohammed Helal se souvient. « Sous le roi Farouk, les prisons n’étaient pas si terribles. Ma famille pouvait m’apporter des repas. Après, sous Nasser puis sous Moubarak, c’est devenu inhumain. » Pour Mohammed Helal, l’un des seize membres du « Bureau de la guidance », l’instance dirigeante des Frères musulmans, l’incarcération fait partie d’un cursus militant...
Mohammed Helal se souvient. « Sous le roi Farouk, les prisons n’étaient pas si terribles. Ma famille pouvait m’apporter des repas. Après, sous Nasser puis sous Moubarak, c’est devenu inhumain. » Pour Mohammed Helal, l’un des seize membres du « Bureau de la guidance », l’instance dirigeante des Frères musulmans, l’incarcération fait partie d’un cursus militant...
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