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Actualités - REPORTAGE

EXPLORATION - À la recherche de la Croix du Sud (II)* « Cavale » en solitaire aux confins de l’Afrique australe

Nabil Romanos, passionné de voyage, nous fait partager son expérience africaine à travers un périple qui l’a conduit successivement en Namibie et au Botswana, toujours à la recherche de la fameuse Croix du Sud. La Croix du Sud, cette belle constellation qui m’avait spirituellement guidé en Amérique du Sud, arrive chaque nuit en provenance d’Afrique. Avant d’enrichir le ciel de la pampa et des Andes, quand sa beauté n’est pas voilée par quelques nuages intempestifs ou éclipsée par une lune plus criarde, elle brille au-dessus de la brousse et des déserts africains, ignorant la misère du plus misérable des continents et offrant sa clarté aux pauvres comme aux riches, aux faibles comme aux puissants. Elle est aussi un point de repère familier pour le voyageur solitaire d’aujourd’hui, mais aussi pour ces marins phéniciens qui, naviguant pour le compte des pharaons égyptiens il y a presque 3 millénaires, n’avaient que les étoiles pour se guider pendant leur voyage historique, la première circonférence du continent africain. Liberté toujours Il y a une pub de véhicule 4x4 qui clame : « La liberté commence là ou les autres ne vont pas… forcément. » Partisan de ce slogan (mais pas du produit), au fil des années, j’ai visité le Nord du continent, puis l’Est et l’Ouest, mais c’est la partie septentrionale de l’Afrique qui incarne pour moi l’Afrique des superlatifs, peut-être à cause des spectaculaires chutes de Victoria, des innombrables éléphants, girafes et lions du parc Krüger, des énormes diamants arrachés des profondes mines, des baleines qui longent les interminables plages à l’est de Capetown, des territoires immenses traversés par les Bushmen du Kalahari ou colonisés par les Zoulous et des dunes de sable doré de Namibie, plus hautes que celle du Sahara. Pour ce dernier voyage, je voulais retourner en Namibie, dont je ne connaissais que le Sud, et visiter le Botswana pour la première fois. Politiquement, la Namibie et le Botswana sont on ne peut plus différents l’un de l’autre, le premier appauvri par une colonisation suivie par une guerre civile et le second, démocratique, prospère, et dont même la monnaie est poétiquement nommée « pula » ou pluie, chaque pula valant 100 « thebe » ou gouttes de pluie ! Par contre, les deux pays souffrent également d’un très haut taux de sida. Dans le delta de l’Okavango L’attraction principale du Botswana est le delta de l’Okavango, un immense réseau de rivières, marais, savanes et jungles, le tout parcouru par les « Big Five » (éléphants, hippopotames, rhinocéros, lions et léopards) ainsi que par une multitude de gnous, zèbres, girafes, guépards, buffles, antilopes, autruches, singes, hyènes, sans oublier crocodiles et oiseaux de tout genre. On n’a pas besoin d’être Indiana Jones pour apprécier les safaris au Botswana, puisque dans le camp où j’étais, les tentes individuelles étaient très luxueuses, avec un lit normal et une salle de bains privée avec douche et toilettes. Il suffit donc d’être un petit Crésus pour avoir tous les petits conforts de la vie en pleine brousse, ou un émule d’Hemingway pour s’asseoir sur la véranda et noter les impressions de la journée dans un petit carnet relié de toile ou de moleskine (histoire de faire plus authentique). Mais il faut aussi avoir de bons nerfs, puisqu’on dort séparé des animaux sauvages par la simple épaisseur d’une toile de tente. J’avoue qu’écouter les éléphants et hippopotames marauder lourdement autour de la tente, alors que de temps en temps des lions rugissent et des léopards feulent, peut potentiellement causer quelques soucis à trois heures du matin, et l’on n’est jamais sûr de ce qui peut se passer, même si ce genre d’invasion sauvage des tentes est quasiment inexistant. Vache folle avant, poule folle maintenant et à quand donc l’hippopotame fou ? Un scénario de vrai cauchemar, mais je suis bien – trop bien – réveillé. L’adrénaline m’envahit en quantité abondante mais absolument nécessaire pour faire circuler le sang glacé dans mes veines. Mon corps me dit de fuir, mais ma tête me dit de retenir mon souffle. Je me rappelle les ours grizzlis qui frottaient leurs grosses pattes contre ma tente en pleine toundra au Kamchatka et les conseils silencieux et suppliants de mon guide russe. Ces animaux sauvages sont presque tous les mêmes, non ? Rester immobile. Penser à autre chose, aux Champs-Élysées peut-être. Je me réconforte en essayant de me convaincre que je suis maintenant dans une meilleure position que dans le Kamchatka, ou je dormais dans un sac de couchage, sous une petite tente, par terre sur le sol gelé, par zéro degré, même en plein été… Ah oui, ça marche, je me sens mieux maintenant, tout chaud dans mon lit de luxe en pleine brousse africaine. La fatigue l’emporte finalement, après des minutes, des heures, ou des siècles, je ne sais plus, et je sombre dans le sommeil profond des innocents (façon de parler). Pour votre gouverne, même pour se balader dans le camp juste à la tombée de la nuit, pour admirer les constellations plus brillantes que des diamants dans le ciel, dont bien sûr l’inévitable et magnifique Croix du Sud, ou pour aller dîner au bord du delta, on devait se faire escorter par des guides ou des rangers armés. Pendant le jour, nous nous sentions nettement plus libres de nous déplacer sans danger, car les prédateurs vont chasser des mets plus appétissants que les humains, facile à comprendre. Comme à Venise Je me rappelle d’une belle balade à travers le delta de l’Okavango, dans un canoë creusé dans un tronc d’arbre et poussé par un guide à l’aide d’une longue pagaie, devant un coucher de soleil réellement extraordinaire. Exactement comme dans le Grand canal à Venise il y a quelques années. Sauf que cette fois-ci je voyageais seul, le rameur était un Noir en treillis de brousse, il ne savait pas chanter, et nous côtoyions des rives où se prélassaient crocodiles et hippopotames, des éléphants arrachaient les branches des arbres et les mâchaient bruyamment, les girafes cueillaient délicatement les feuilles que les éléphants ne pouvaient pas atteindre et les oiseaux revenaient vers leur nid en formation d’escadrilles avant la tombée de la nuit. Observateurs pensifs de cet exode massif et en même temps police routière, les marabouts regardaient ce magnifique spectacle qui se répétait chaque soir ; de temps en temps, ils levaient une de leurs ailes imposantes, comme pour donner la priorité de passage (toujours ignorée). Mais Dieu, que le coucher du soleil était splendide, alors que le ciel s’embrasait en un incendie gigantesque traversé par les nuées d’oiseaux de retour au foyer, les Oiseaux de Feu ! Dans le Kalahari et le Kaokoland Pour les marins, la Namibie évoque surtout la Skeleton Coast, côte brumeuse et inhospitalière, ponctuée par les épaves des bateaux échoués. La capitale namibienne, Windhoek, petite mais haute en couleur (et en élévation, puisqu’à 1700 mètres d’altitude), est l’ancien centre du pouvoir colonial allemand dans l’Afrique du Sud-Ouest. L’Allemagne a perdu toutes ses colonies africaines à la fin de la Grande Guerre, mais la Namibie garde encore un très évident cachet allemand, au contraire des autres anciens territoires allemands comme le Togo, le Cameroun et la Tanzanie. Je ne suis pas prêt d’oublier ma surprise le jour où je me suis trouvé devant l’intersection de la rue Bismarck avec l’avenue du Kaiser Wilhelm à Swakopmund, noms qui n’avaient pas changé depuis la fin du XIXe siècle, mais qui sont reconsidérés actuellement, nationalisme africain oblige, mais aussi pour distraire le public des graves problèmes sociaux. Par contre, les authentiques mets de la brousse (bush meat) ont peu en commun avec la lourde cuisine allemande, et je me suis régalé de carpaccio d’onyx et de zèbre, ainsi que de crocodile grillé, par un juste retour des choses. Mais c’est l’intérieur du pays qui fascine par sa richesse ethnique et paysages naturels, d’une beauté sauvage et spectaculaire, un territoire où se côtoient les Damara, les San ou Bushmen, les Européens, les Herero et leurs cousins les Himba. La traversée du Damaraland s’est faite dans la confusion au début, puisqu’il m’a fallu du temps pour m’habituer à conduire à gauche sur les routes désertes, mais je me suis retrouvé plus tard assurant le lien routier entre les principaux points de la région. L’Afrique manque cruellement de moyens de transport et presque tous les locaux faisaient de l’auto-stop. Comme j’avais loué une camionnette Toyota, j’avais beaucoup de place, surtout à l’arrière cargo du véhicule. À un moment, j’avais un total de 12 auto-stoppeurs empilés dans la Toyota. Les grands sourires reconnaissants des écoliers (dont certains devaient parcourir 20 à 30 kilomètres par jour, souvent à pied) et des femmes chargées de lourdes emplettes ont été plus que suffisants pour récompenser le Bon Samaritain que je voulais être. Au pays des Bushmen Des paysages uniques jalonnaient ma route, dont la Forêt pétrifiée, où gisent de vieilles plantes gigantesques et des arbres de 34 mètres datant d’il y a 260 millions d’années et complètement pétrifiés avec le temps ; les pétroglyphes préhistoriques de Twyfelfontein, une galerie naturelle d’art rocheux datant de 6 000 ans : les Bushmen (décidément, ils sont partout) y avaient sculpté les représentations des animaux qu’ils chassaient pour survivre dans ce terrible désert qu’est le Kalahari ; les Montagnes noires, d’origine volcanique ; les Orgues rocheux, formés de centaines de colonnes de basalte pressées ensemble et qui font penser à la Chaussée des géants en Irlande du Nord, mais au lieu de sortir de l’Océan Atlantique, celles-ci émergent du désert africain. Même les hôtels étaient uniques, dont celui de Sesfontein, sorti tout droit d’un film sur la Légion étrangère, puisque c’était un fort militaire au style Sahara, construit en 1896 pour héberger le commandement impérial allemand, et récemment transformé en hôtel. Très confortable par ailleurs, confirmant que les militaires savent bien vivre eux aussi, et même avec une petite piscine pour le général, en plein désert. Aux pays des Himba Loin, très loin dans l’arrière-pays de la Namibie, les semi-nomades Himba vivent au Kaokoland qui s’étend jusqu’à l’Angola. Le chemin vers le Kaokoland est bordé par des forêts d’acacias, où les cigognes font leur nid, et par d’énormes baobabs, ces arbres mystérieux qui semblent pousser tête en bas et qui longent des routes défoncées par les pluies occasionnelles mais violentes. Ce n’est pas un 4x4 qu’il faut ici, mais un VTT. Le Kaokoland est l’une des régions les plus inaccessibles du monde, d’une beauté sauvage et primitive, où l’on peut parcourir des centaines de kilomètres sans voir âme qui vive. Des paysages sans fin, des horizons illimités, peu de végétation, des gazelles, quelques rhinocéros et, ici et là, les campements des Himba au corps d’ocre. Ces Himba semi-nomades et énigmatiques, qui hantent les coins reculés du Kaokoland, préfèrent la liberté à l’assimilation et à la conformité, et vivent de troupeaux dont ils changent les pâturages, au gré des saisons et suivant la pluie parfois abondante, mais toujours éphémère. Les femmes Himba ont été justement comparées aux amazones mythiques, avec leur haute silhouette cuivrée, leur charpente aussi solide que du bois d’ébène, leur pagne en peau de chèvre, les seins nus et à peine cachés par de lourds bijoux faits de cuir, de cordelettes, d’acier et parfois de coquillages, si rares dans cette région éloignée de la mer, et donc précieux. Le tout est peint dans cette couleur ocre qui est l’image de marque des Himba. La couche ocre, qui enduit corps et cheveux, bijoux et ceintures, est faite de poudre extraite de la roche d’une montagne sacrée, ensuite mélangée avec de la graisse ou du beurre, ou même, en ces temps modernes, avec de la vaseline qui dure plus longtemps. Pour la petite histoire, bien des missionnaires ont essayé pendant des siècles et sans succès d’inculquer un peu de « décence » aux femmes pour qu’elles se couvrent la poitrine, mais le danger réel pour la culture des Himba n’est plus bien loin. Ces Himba que j’avais trouvés loin dans l’arrière-pays m’ont honoré en chantant et dansant à leur manière traditionnelle. Combien de temps encore peuvent-ils survivre à l’attrait de la civilisation ? Déjà leurs hommes qui revenaient des pâturages et se dirigeaient vers notre groupe étaient apparemment plus influencés par le monde moderne, quelques-uns portant des pantalons (mais pieds nus), l’un d’entre eux exhibant même une montre, objet complètement inutile dans leur vie gérée par la pluie et le beau temps et qui, d’ailleurs, ne fonctionnait pas. L’Etosha des safaris Rares sont les touristes qui font l’effort de rechercher les authentiques Himba dans leur milieu naturel, mais à des centaines de kilomètres plus loin, le parc national d’Etosha est la destination obligatoire de tout visiteur en Namibie. Etosha est un de ces grands parcs, comme Krüger ou le Serengueti, incroyablement riches en vie animale et en émotions de safari, tel ce matin où trois lions ont attaqué et dévoré une girafe. Etosha a même son grand « lac » de sel, complet avec des mirages miroitants, mais les pluies qui commençaient ont menacé d’embourber tout véhicule qui quittait les routes bien goudronnées du parc. Avec les premières pluies apparaissent les moustiques, pas ceux qui agacent, mais les vraiment méchants qui répandent la malaria. Confiant comme toujours dans ma bonne étoile – la Croix du Sud, l’auriez-vous deviné – je n’avais apporté aucun médicament pour la prévention de la malaria. Par chance, le début de la pluie coïncide avec mon retour à la vie normale, loin de l’Afrique. Hakuna matata, no problem, comme on se plaisait à répéter dans Le roi lion. Nabil Élias ROMANOS * Voir L’Orient-Le Jour du jeudi 19 janvier.
Nabil Romanos, passionné de voyage, nous fait partager son expérience africaine à travers un périple qui l’a conduit successivement en Namibie et au Botswana, toujours à la recherche de la fameuse Croix du Sud.
La Croix du Sud, cette belle constellation qui m’avait spirituellement guidé en Amérique du Sud, arrive chaque nuit en provenance d’Afrique. Avant d’enrichir le ciel de la...