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«Play», de Samuel Beckett, à l’Irwin Hall (LAU) Un trio infernal pour un humour noir grinçant
Par DAVIDIAN Edgar, le 08 décembre 2005 à 00h00
Enfumé, l’Irwin Hall à la LAU est assailli par une jeunesse caquetante et jacassante. Agitation coutumière avant le lever de rideau d’une production estudiantine. Paradoxalement, en l’occurrence Play (Jouez) de Samuel Beckett, le roi des silences éloquents! Courte pièce en anglais où un trio infernal déploie sa logorrhée verbale pour un humour noir grinçant. Mise en scène originale et audacieuse de Arifa Bseiso pour cet opus «hystérisé» et d’une dérision aux confins de la caricature outrancière.
Clownerie «robotisée» de trois personnages habitant la scène le temps d’un déballage fou et mécanisé. Le mari momifié, entre deux femelles aux appétits gloutons et impitoyables, a le visage recouvert de cellophane et ne s’exprime qu’à travers un enregistrement. Les formes de la femme, cachée derrière une sorte de mannequin en bois, ont le galbe d’une vamp provocante avec des cheveux dénoués à la Rita Hayworth. La maîtresse, occupant le troisième espace de l’aire scénique, est tout autant une femme fatale avec des contours d’une torride sensualité. Grimées comme pour un conte de Hoffmann (pour ne pas dire deux respectueuses en mission de tapin!), les deux protagonistes échangent des propos venimeux en regardant droit le public, parfois aveuglé par de spots. Trois pantins-épouvantails, reliés par des rouleaux de scotch comme pris dans les rets d’une toile d’araignée, reflètent une angoisse intolérable et des attitudes parfois mortuaires. Densité tragique d’un bavardage souvent dépourvu de signification, provoquant de la part du spectateur étonnement et rire.
Pris entre le feu des échanges de propos «récriminatoires», insultant ou parfois complice des deux femmes, l’homme tempère ou fait rebondir une situation explosive où, finalement, nul n’a son compte. Autrefois théâtre d’avant-garde et bastion du théâtre de l’absurde, aujourd’hui, c’est-à-dire un demi-siècle après sa rédaction, tout en gardant intactes son appartenance et sa valeur subversive, cette pièce se range aussi dans le sillage d’un modernisme classique par son énoncé et son expression.
L’art de déconstruire
personnages et langage
Faussement hermétique, cette pièce, corrosive, acide, prétendument comique, dénonce les problèmes et les malaises du couple, les préoccupations des femmes et l’étendue du désir masculin. Tout en catimini, en filigrane, en dents de scie et en brouillant les pistes. Prix Nobel de littérature en 1969, Beckett, passé maître dans l’art de déconstruire ses personnages et le langage, offre ici un brillant numéro de sa performance dramaturgique. Êtres diminués, les personnages «beckettiens» sont des épaves moribondes. Trois antihéros qui se livrent sans merci une guerre futile et vaine et où l’infirmité et l’échec de chacun sont évidents et d’une cuisante amertume. Interminables monologues ou dialogues oiseux pour traduire les déplorables et désastreux états d’âme des conjugalités branlantes. Lente décomposition où rien ne se passe mais, comme dit le dramaturge irlandais né à Dublin, «quelque chose suit son cours…». Cruauté, masochisme, un soupçon de sadisme dans ce rituel rendu au plus grotesque (recourant curieusement parfois aux guignols) de sa représentation avec un maquillage de carnaval, appuyé par un jeu vidéo projeté en fond de scène. Images provocantes de la pellicule oscillant entre clinquant kitch de «fashion» et certaines insistances érotiques qui, sans toucher au «hard», l’effleurent.
Humour noir dans ce huis clos à trois banalisé. Mais aussi humour cocasse et trivial sans pour autant proposer de solution au désarroi de vivre et d’aimer. Aimer, conjugué inlassablement au passé. On l’a compris, on attend tous quelque part Godot… Au quotidien, comme en amour…
Pas de grâce de style, encore moins de descriptions ou d’anecdotes, mais une suite nerveuse de phrases décousues, balancées comme une machine dont on ne trouve plus le bouton d’arrêt par deux tigresses en papier et un étalon bâillonné. Et c’est pour cela que lorsque la pièce se termine, les trois personnages restent pétrifiés sous les feux de la rampe tandis que le public quitte les sièges…
Les acteurs (Maya Shiba, Jehan Bseiso, Ziad Srouji avec la voix de Raja Khoury) se tirent d’affaire, mais avec un débit battant les records de la diction. On rêve de ce jour où les étudiants en dramaturgie à la LAU sauront enfin «poser» la voix et arrondir l’angle de leur diction dans la langue de Shakespeare. Excellent décor, tout en symbolisme triangulaire et pyramidal, pour servir une incisive œuvre à trois voix, courte mais percutante.
Edgar DAVIDIAN
Enfumé, l’Irwin Hall à la LAU est assailli par une jeunesse caquetante et jacassante. Agitation coutumière avant le lever de rideau d’une production estudiantine. Paradoxalement, en l’occurrence Play (Jouez) de Samuel Beckett, le roi des silences éloquents! Courte pièce en anglais où un trio infernal déploie sa logorrhée verbale pour un humour noir grinçant. Mise en scène...
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