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EXPOSITION - Cloués sur des chaises roulantes, ils dessinent sur la porcelaine, le verre et le tissu Des œuvres variées et étonnantes proposées par les handicapés de Beit-Chabab

Leur vie a été brisée quand ils étaient tout jeunes. Ils avaient 16, 19, 20 ou 22 ans quand ils ont su qu’ils passeront le reste de leurs jours cloués sur une chaise roulante, voire dans un hôpital pour handicapés. Blessés par balles durant la guerre, victimes d’un accident de la route ou d’une maladie incurable, ils ont été obligés de mener une autre vie, différente de l’existence à laquelle ils rêvaient… Paraplégiques ou tétraplégiques, une fois qu’ils ont appris à réapprivoiser leurs corps, encadrés par une équipe de volontaires, ils se sont mis à l’artisanat, exécutant des pièces d’exception. Aujourd’hui à 15 heures, l’exposition du Collège du Liban pour les handicapés – Hôpital de Beit-Chabab sera inaugurée. Elle se poursuivra durant trois jours, jusqu’au dimanche 11 décembre et sera ouverte au public de 10 heures à 20 heures. Organisée chaque année durant le mois de décembre, l’exposition présente des pièces élégantes et raffinées, de la porcelaine, du verre et du tissu peints à la main, des bougies, de petits objets en bois et des aquarelles. Des nappes et des serviettes, des théières, des tasses à café, des coupes, des assiettes, des carafes… bref, de beaux et fins objets à offrir ou à garder chez soi. Au fil des ans, les pièces confectionnées par les locataires de l’hôpital de Beit-Chabab ont gagné en renommée, la clientèle passant commande tout le long de l’année et les artisans de l’institution prennent part à diverses expositions notamment à l’hippodrome, à Faraya-Mzaar et à l’espace SD (uniquement pour les bougies). Créé dans l’urgence de la guerre en 1976, l’hôpital de Beit-Chabab a commencé par recevoir les personnes grièvement blessées, des jeunes gens pour la plupart. En 1978, des ateliers ont été créés pour que les personnes clouées sur des chaises roulantes meublent leur temps ; ils apprendront ainsi des métiers leur permettant de vivre et d’assumer leurs propres dépenses. L’idée avait été lancée par les religieuses qui tenaient l’hôpital, la relève a été ensuite assurée par des groupes de dames volontaires. Marie, Marie-Hélène, Linda, Houeida, Roukoz, Abdo et Béchara exposent tous des pièces qu’ils ont travaillées. Ils bénéficieront des produits de la vente. Marie est tétraplégique. C’est une rescapée de la guerre de la Montagne. Elle a reçu, à bout pourtant, une balle dans le cou quand elle avait 18 ans. Elle habitait Biré. Grâce à des attelles en plastique, elle parvient à manier le pinceau pour peindre des aquarelles. « J’ai toujours aimé la peinture… D’ailleurs un an après mon arrivée à l’hôpital, j’ai suivi des cours à l’Institut Michel Ange », raconte-t-elle. Marie, qui aimerait « apprendre d’autres techniques de dessin et se mettre peut-être à la peinture à l’huile », se souviendra toujours en détail des événements qui l’ont clouée à jamais sur son lit d’hôpital. Mais elle ne les raconte pas spontanément. À son interlocuteur, qui l’interroge sur ceux qui ont voulu l’assassiner, elle réplique d’un ton paisible : « Je suis chrétienne. Je leur ai pardonné depuis longtemps. » Dessiner avec les lèvres C’est à l’âge de quinze ans que Marie-Hélène a été atteinte de sclérose. Avant de devenir complètement paralysée, elle a suivi des études de philosophie et a obtenu son doctorat. Depuis quatre ans, elle est complètement paralysée et habite en permanence l’Hôpital de Beit- Chabab. Et c’est en fixant le pinceau entre ses lèvres qu’elle exécute des aquarelles. Marie-Hélène rêve d’avoir sa propre maison, d’engager une infirmière qui s’occupera d’elle en permanence. Si seulement la vente des aquarelles pouvait rapporter assez ! Marie-Hélène dessine des fleurs, des jardins, des montagnes et la mer… Les murs de sa chambre sont tapissés de ses propres tableaux représentant la grande bleue, qui lui manque terriblement. Cela fait exactement dix ans que Marie-Hélène n’a pas été au bord de la mer. Linda et Houeida dessinent sur du verre et de la porcelaine. Toutes les deux ont été victimes d’un accident de la route à l’âge de 16 ans. Houeida, qui est tétraplégique depuis treize ans, dessine – en tenant le pinceau de ses deux mains – de minuscules fleurs sur des services en porcelaine. Elle a appris la technique, il y a huit ans. Interrogée sur la minutie de son travail elle précise : « C’est l’ennui qui vous apprend la patience. » Linda est paraplégique. C’est une femme pleine de vie, hyperactive. Habitant en permanence depuis 24 ans l’Hôpital de Beit-Chabab, après son accident, elle a suivi des études de modélisme à l’Institut Michel Ange grâce au soutien du collège du Liban pour les handicapés. Actuellement, elle occupe le poste de secrétaire au sein de l’institution. Pour meubler son temps, elle fait de la peinture sur verre et sur porcelaine. Linda veut réaliser un rêve avec l’argent qu’elle pourrait économiser grâce aux ventes de l’exposition : voyager. Roukoz, Béchara et Abdo ont été blessés au cours de la guerre du Liban. Tous les trois assument leurs dépenses grâce au travail des ateliers. Et chacun d’eux a même pu s’acheter une maison. Roukoz, paraplégique, travaille à l’atelier de cire, confectionnant des bougies. Il y passe neuf heures au quotidien. « Les tâches à exécuter demandent parfois une grande force physique, surtout quand il faut manier de gros blocs de cire, de grandes bougies. Mais avec le temps, on acquiert la technique et ça devient facile », explique-t-il. Roukoz, qui est arrivé il y a 23 ans à l’hôpital de Beit Chabab, affiche un grand sourire quand il parle de son métier et des expositions auxquelles il participe. C’est à l’atelier de peinture sur tissu que Béchara travaille. Tétraplégique depuis 1977, il conduit sa propre voiture et il est financièrement indépendant, grâce au métier qu’il a appris à l’hôpital de Beit-Chabab. C’est à l’aide d’attelles qu’il porte dans les deux mains qu’il parvient à manier le pinceau, créant ainsi d’élégantes nappes et serviettes. Celui qui passe huit heures par jour à l’atelier raconte : « Lors de ma rééducation, j’ai voulu avoir une profession et non un passe-temps. C’est ce qui m’a poussé à la peinture. » Abdo, qui est arrivé il y a 21 ans à l’hôpital de Beit-Chabab, fait de la peinture sur porcelaine. Il travaille huit heures par jour et indique que cette activité lui a permis d’acheter une maison et une voiture. « Mais le travail est moins rentable actuellement », dit-il. À l’instar de tous les autres, il raconte que depuis deux ans les ventes ont baissé. Il espère que cette année l’exposition mobilisera davantage les acheteurs. Patricia KHODER


Leur vie a été brisée quand ils étaient tout jeunes. Ils avaient 16, 19, 20 ou 22 ans quand ils ont su qu’ils passeront le reste de leurs jours cloués sur une chaise roulante, voire dans un hôpital pour handicapés. Blessés par balles durant la guerre, victimes d’un accident de la route ou d’une maladie incurable, ils ont été obligés de mener une autre vie, différente de...