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Actualités - ANALYSE

Causerie de Georges Corm sur le thème : « Les événements en Irak, en Syrie et au Liban annoncent-ils le P-O éclaté ? » Pas de printemps arabe sans autonomisation de la pensée

Le titre du livre de Georges Corm paru en 1983, Le Proche-Orient éclaté, était-il prémonitoire ? L’ancien ministre des Finances, invité par l’Association des anciens de Sciences Po Paris, section Liban, pour une causerie sur le thème « Les événements en Irak, en Syrie et au Liban annoncent-ils le Proche-Orient éclaté ? », la développe. Mais s’il insiste sur la « dynamique de la décadence » dans laquelle est entré le monde arabe, c’est sans doute pour en appeler à un sursaut chez la jeunesse qu’il exhorte à oser le changement. « Pourquoi n’avez-vous pas arraché le micro le 14 mars aux leaders » de cette classe politique libanaise qui se reproduit depuis 1840 ? interroge-t-il. Pourquoi le 14 Mars s’est-il étiolé plutôt que de ressembler au Mai 68 français ? Dans un contexte d’atavisme politique prégnant et de perpétuation de la mainmise d’intérêts mafieux sur le pouvoir, avec toutes les nodosités paralysantes que cela suppose, M. Corm accorde peu de crédit au « printemps arabe ». Il reprend l’histoire de la région : depuis l’éclatement de l’Empire ottoman, le monde arabe, « entré dans l’ordre international de façon dispersé », commence à flirter avec une dynamique de décadence, chacune des nouvelles nations étant inféodée à une puissance européenne. Le nassérisme donne un temps l’illusion de briser cette dynamique, mais la « sahwa » islamique venue enterrer la « nahda » (la renaissance arabe) la remet dans le collimateur. Cette première a d’ailleurs été utilisée par les puissances occidentales pour lutter contre l’expansion du communisme : les moujahidine sont entraînés et armés en Afghanistan, puis en Bosnie, en Tchétchénie, au Kosovo. Plus récemment, c’est le succès de la dynamique sioniste, selon M. Corm, favorisé par l’expansion de la mystique judéo-chrétienne, opium de sociétés modernes en quête de sens, notamment anglo-saxonnes, qui participe de cette logique d’échec du monde arabe. À ce titre, M. Corm souligne que la culture de l’Holocauste a été mise en place par les évangélistes américains et que la force du projet sioniste vient, non pas du mythe d’une toute-puissance juive mondiale, mais précisément de ce qu’« il est porté par les États-Unis – dont la culture fortement religieuse n’est plus à démontrer ». Il relève au passage le leurre du discours actuel dominant sur les racines judéo-chrétiennes de l’Europe, lesquelles lui avaient toujours été enseignées comme étant gréco-romaines. En face donc de « la renaissance du judaïsme » corollaire de la nouvelle montée en puissance du protestantisme occidental, M. Corm constate l’échec autoentretenu du monde arabe, que celui-ci se soit frotté au nationalisme ou à l’islamisme. À ce titre, la rivalité entretenue par les Saoudiens (le wahhabisme) et les Iraniens (basée sur des concepts marxistes) pour la conquête des esprits n’a fait qu’accélérer la décadence. De même que le choix des gouvernements arabes de laisser la résistance à l’hégémonie américano-israélienne aux islamistes, plutôt que de le faire eux-mêmes, tel qu’il est attendu d’États souverains. Ce qui a valu au monde les « ben-ladinistes » par exemple, dont les actions terroristes touchent d’ailleurs plus les pays musulmans eux-mêmes (Indonésie, Égypte, Pakistan, Maroc, Yémen, Jordanie, Irak) que ceux contre l’impérialisme desquels ils étaient supposés lutter. M. Corm rappelle que le monde arabe a toujours été ouvert aux quatre vents, les armées étrangères y entrant et en sortant a leur guise, au plus grand mépris du droit international, qui s’y trouve totalement discrédité. Il cite pour exemple le ballet diplomatique qui se déroule actuellement au Liban où les ambassadeurs deviennent des acteurs de la vie politique du pays – ce qui n’est pas dans leurs attributions – et où nos dirigeants prennent les avions pour Paris ou Washington comme qui prendrait l’autobus. Et si cette région est « la moins respectée » du monde, c’est sans doute parce qu’elle n’a pas forcé le respect ; les locaux se divisant pour épouser avec fougue et passion les causes des autres : occidentale, arabe, islamique… plutôt que de songer quelle devrait être la leur. Si le religieux est un des facteurs explicatifs de cette décadence arabe, il est cependant loin d’être le seul. La focalisation sur ce thème divertit les esprits de l’essentiel : s’il n’y a pas de démocratie dans le monde arabe, c’est bien parce que le système repose sur des économies de rente. Les deux modèles sont simplement incompatibles : dans des sociétés encore non productives où les régimes détiennent la clé de distribution de la richesse, il ne peut y avoir de démocratie. Ainsi par exemple, M. Corm rappelle à ceux qui l’ont oublié – et ils sont nombreux – que la propriété privée est un droit fondamental et que « sa spoliation (comme on peut le voir, sans s’en émouvoir au Liban) est inacceptable ». « Sans grands principes moraux, il n’y a pas de droit public et pas de droit tout court », partant, pas de démocratie. D’ailleurs, à propos de la propriété, M. Corm rappelle la nécessité « pour un petit pays tel que le Liban de protéger sa terre », à l’instar de la Suisse ; l’ancien ministre s’inquiète justement de ce que personne ne s’inquiète des acquisitions saoudiennes qui vont crescendo au Liban… Pour qui sait voir au-delà du court terme, l’on ne peut s’empêcher de penser au drame palestinien ainsi engagé. Que l’on adhère ou pas aux thèses développées, ce que l’on retient au moins incontestablement de cette causerie, c’est la nécessité pour nous libanais « d’asseoir la politique sur un bloc culturel intelligent » ; de prendre le temps d’une analyse froide des problèmes de société plutôt que de signifier allégeance urbi et orbi à des dynasties dirigeantes qui, depuis longtemps, ont moralement démissionné de leurs responsabilités... L’ancien ministre invite à « une autonomisation de la pensée » et pour cela, à « se cultiver, dans une région du monde où les valeurs d’argent sont encore plus exacerbées qu’ailleurs ». Retrouver nos racines culturelles nous permettrait de nous retrouver. En attendant, il propose une réforme institutionnelle, dont certains grands points ci-dessous : élection présidentielle au suffrage universel avec garde-fous pour préserver la représentativité de chacune des communautés ; système électoral basé sur une représentation proportionnelle avec maintien de la répartition à égalité des sièges entre chrétiens et musulmans, mais sans sous-répartition à l’intérieur de ces deux groupes, et représentation des Libanais de l’étranger avec des listes propres ; suppression de l’arrêté de 1936 par lequel les communautés religieuses constituent la base de l’ordre public, celles-ci devant redevenir des organes de droit civil, etc. Nicole Hamouche

Le titre du livre de Georges Corm paru en 1983, Le Proche-Orient éclaté, était-il prémonitoire ? L’ancien ministre des Finances, invité par l’Association des anciens de Sciences Po Paris, section Liban, pour une causerie sur le thème « Les événements en Irak, en Syrie et au Liban annoncent-ils le Proche-Orient éclaté ? », la développe. Mais s’il insiste sur la « dynamique de...