AMMAN, de Habib CHLOUK
Une grave réflexion sur la présence chrétienne en Orient, voilà en résumé ce que font depuis lundi, à Amman, les patriarches catholiques orientaux, réunis en congrès au couvent de la Visitation des religieuses du Rosaire, à Amman. Après la vue d’ensemble brossée par le patriarche latin de Jérusalem Michel Sabbah, qui n’était déjà pas rassurante, les patriarches ont continué à évaluer mardi soir et hier l’état de la justice et de la paix, et plus simplement de la démocratie, dans chacun des pays arabes où se trouvent des communautés chrétiennes.
Et le tableau est rien moins que réjouissant. Après avoir parlé du Liban et de la Syrie, les patriarches ont pris connaissance hier de rapports portant sur la situation en Égypte, en Irak, en Jordanie et ont effectué une première lecture de leur déclaration finale, qui sera diffusée vendredi soir, à la conclusion de leurs travaux.
L’Orient-Le Jour a pu prendre connaissance du document sur le Liban présenté au congrès. Le document atteste que, « sur les plans des droits politiques et des libertés publiques, les chrétiens du Liban, aussi bien sur le plan individuel que collectif, sont dans une situation que peuvent leur envier tous les chrétiens des pays voisins ».
Et pourtant, ce tableau est traversé d’ombres menaçantes. Le document parle de « tares honteuses » ayant affecté les modalités d’application de la loi au cours des trente dernières années et la « loi d’urgence permanente » que constitue l’existence de tribunaux militaires, dont la compétence doit revenir aux tribunaux civils. Le rapport cite aussi les graves violations des droits des familles de prisonniers détenus illégalement en Syrie, ainsi que l’interdiction aux fonctionnaires de s’associer pour défendre collectivement leurs droits.
L’émigration
Vient ensuite le grave problème de l’émigration, ou encore de cette hémorragie humaine qui affecte la société libanaise, sous l’effet de la crise économique et « dont il ne sert à rien de dire qu’elle affecte également toutes les communautés », selon le document. Selon ce document, les difficultés économiques de la famille chrétienne sont aggravés par « l’inquiétude particulière qui les saisit devant la montée de l’islamisme radical dans la région et le déséquilibre démographique croissant en faveur des musulmans, du fait d’un déséquilibre dans les taux de natalité et, surtout, de la loi de naturalisation de 1994 qui a accordé la nationalité libanaise à 300 000 personnes, dont l’immense majorité est constituée par des musulmans syriens et palestiniens ».
Le document attire aussi l’attention sur le grave phénomène de la vente de leurs terrains par les populations chrétiennes, « même dans les régions rurales traditionnellement chrétiennes, à des acheteurs non chrétiens et même non libanais ». Pour faire face à ce phénomène, les Églises avaient préconisé la constitution d’une « caisse foncière » qui achèterait les biens-fonds proposés à la vente par des chrétiens, en attendant qu’ils trouvent un acheteur chrétien. Mais ce plan a échoué, constate le document, qui demande à l’Assemblée des patriarches et aux députés chrétiens, en compensation de l’échec des tentatives déployées pour corriger les déséquilibres de la loi de naturalisation, de s’efforcer d’obtenir que la nationalité libanaise soit acordée aux émigrés d’ascendance libanaise assurée, ainsi que le droit de vote.
Malgré tout…
Toutefois, malgré tous les droits dont jouissent les chrétiens du Liban, ces derniers ne sont pas certains de continuer à en jouir « si l’équilibre des forces change », ajoute le document. Conscients qu’un débat de civilisation oppose en ce moment deux modèles de sociétés, et en attendant que le modèle consensuel se généralise dans le monde arabe, les chrétiens du Liban se voient dans l’obligation de préserver leur importance numérique et leur présence temporelle effective, parallèlement à leur vitalité spirituelle et à leur fidélité à l’annonce évangélique.
Une série de résolutions devaient couronner le débat. Ces résolutions portent sur l’instauration d’une caisse foncière, une demande officielle de naturalisation des émigrés, une demande officielle de subventionnement de l’école catholique, la création d’un forum libanais de penseurs chrétiens, puis d’un forum arabe, l’enseignement obligatoire de la doctrine sociale de l’Église dans les écoles et universités catholiques, la création d’une caisse catholique d’aide aux paroisses, la création d’une assemblée permanente pour les relations avec l’islam (modéré), partenaire spirituel avant d’être partenaire politique. Mardi soir, présidant une messe dans la cathédrale melkite de Amman, en présence d’une délégation représentant le roi Abdallah, le patriarche grec-catholique Grégoire III avait eu l’occasion de dénoncer, dans son homélie, « l’effrayant complot visant à vider la région de ses chrétiens », invitant chrétiens et musulmans arabes à se solidariser pour y faire échec. « Nous refusons que nos pays deviennent des patries pour le fondamentalisme, la violence, le terrorisme, le meurtre, l’extrémisme et les guerres de religion », a encore dit Grégoire III.
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