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Actualités - ANALYSE

ÉCLAIRAGE - Les horloges font tic-tac, tant pour Damas que pour Lahoud Les comptes à rebours ont déjà commencé

Même lorsqu’elle n’est pas remontée, qu’elle se tient tranquille, qu’elle ne donne ni les heures ni les minutes, qu’elle ne crache pas le temps qui passe à des yeux qui n’arrivent plus à s’en détacher, une horloge, accrochée à un mur ou posée bien en évidence sur une commode ou une cheminée, a quelque chose d’intrinsèquement et de profondément dérangeant. Ce petit quelque chose devient carrément inquiétant à cet instant T, lorsqu’une main (invisible ou pas) la remet en marche, lorsque le premier tic-tac se fait entendre. D’autant plus angoissant que l’on ne sait pas à quel moment ce tic-tac s’arrêtera, à quel moment le destin se nouera, à quel moment ce pour quoi cette horloge a été mise en marche se réalisera. Le brave Hitchcock avait mis tout cela en images : quand, en plein milieu d’un dîner, une bombe, placée sous la table sans que personne ne le sache, explose, cela est du ressort de la surprise ; quand tous les convives savent qu’il y a une bombe sous la table autour de laquelle ils sont en train de dîner mais n’ont aucune idée du moment où elle va exploser, cela s’appelle du suspense. Encore plus fort quand les invités entendent le tic-tac. Et aujourd’hui, pour Damas comme pour Émile Lahoud, il semblerait bien, malgré toutes les apparences, que quelque chose qui ressemble à un compte à rebours vient de commencer. Malgré les apparences… Parce que celles-ci, en ce moment, sont lourdes. À première lecture, on dirait qu’ils sont en train de marquer des points, beaucoup de points, Damas et Émile Lahoud. Et pourtant… La Syrie est retorse, et ses SR, imprégnés jusqu’à la moelle de Stasi, n’ont (plus) rien à perdre. Aussi acculée soit-elle, la « famille régnante » n’en reste pas moins capable de calculer froidement, d’échafauder ce qu’elle estime être de fulgurantes contre-attaques, de tisser ce qu’elle pense être des pièges mortels, de fabriquer des effondrements juridiques. De mettre en scène des mascarades grand-guignolesques, et en plusieurs actes qui plus est. Le canardage syrien, aussi vain soit-il, est multidirectionnel, et la constance de Damas est saisissante : tout est bon à utiliser depuis le blocus imposé aux frontières libanaises en mai dernier. À commencer par les résidus de ses services, naturalisés libanais par le bon soin du régime, prorogé, leurs agents libanais (PSNS, Baas, CGTL, etc.) ainsi que le cheval de Troie idéal, le Hezbollah. Émile Lahoud est imperméable. À tout. À commencer naturellement par son isolement international et son hallucinante marginalisation locale. Soit cet homme jouit d’une admirable force de caractère, qu’il est capable, comme les plus grands, de se nourrir et de tirer sa puissance du mépris des autres, même – surtout – quand ces autres se dénombrent par centaines de milliers, soit il est totalement dépourvu d’amour-propre. Soit il est convaincu du bienfait pour le Liban de sa présence à Baabda, ce qui le met à l’égal, au niveau de l’abnégation du moins, d’un abbé Pierre ou d’une Mère Teresa, soit il n’est qu’obstination et vanité. Soit il est réellement persuadé, comme il l’a fait dire hier, d’être l’incarnation de la légalité constitutionnelle, et le dépositaire de la confiance de Hassan Nasrallah et de Michel Aoun, soit il prend le monde entier pour un nid géant de crétins. Dans un cas comme dans l’autre, Émile Lahoud a décidé que peu lui chaut le regard de l’autre, et qu’il ne bougera pas de son bunker, tellement déserté qu’il en devient aseptisé (notamment quand Émile Rahmé, Wi’am Wahhab ou Wadih el-Khazen sont grippés), avant novembre 2007. Envers et contre tous, envers et contre une réalité sans appel, qui fait de lui un savant mélange d’Elisabeth II (sans les joyaux de la couronne) et de Marie-Antoinette, quand cette pauvre Autrichienne assénait son sordide mais original « Il n’y a pas de pain ? qu’ils mangent donc des biscuits. » Il n’empêche, les comptes à rebours ont commencé. Les apparences, celles-ci du moins, ne trompent plus personne. La Syrie, qui a demandé hier la révision des conclusions de la commission Mehlis, semble avoir oublié que Kenzo Oshima, Ellen Loj et Mihnea Motoc, les ambassadeurs japonais, danois et roumain aux Nations unies, commenceront bientôt leur travail au sein du comité de supervision des sanctions contre la Syrie si celle-ci ne coopère pas ; elle a surtout oublié à qui elle a affaire : Detlev Mehlis. À supposer que celui-ci soit totalement niais, qu’il n’ait pas pensé une seule seconde que le bon Houssam pouvait être un sous-marin envoyé par Damas ou qu’il n’ait basé son rapport que sur lui, la « famille » a-t-elle pu penser une seule seconde que sa mise en scène du témoin ait pu duper qui que ce soit ? Dans quinze jours, le juge allemand devra faire son rapport. Sauf qu’il serait tout à fait probable qu’il se manifeste bien avant, et qu’il demande l’arrestation d’une partie des témoins syriens qui auront été valser à Vienne. Sans oublier ce fameux rapport, qui risque de plus en plus, au fur et à mesure que Damas accumule les erreurs, d’être encore plus retentissant que le premier. Quant à Émile Lahoud, il doit compter depuis hier avec quelque chose de fondamental : les mots dits hier par le patriarche maronite à un organe de presse jordanien. Éminemment sage, le patriarche a refusé par avance tout recours à la force pour déloger l’indécollable locataire du palais, mais il a dit que s’il y a un moyen légal pour ce faire, « eh bien, allons-y », ajoutant que si la perpétuation à Baabda du chef de l’État, « extrêmement critiqué par la population », fait du tort au pays, il faudra que ce dernier démissionne. Autre écueil pour Émile Lahoud, et de taille, à l’horizon : Michel Aoun. Arrivera bien un jour où le général sera conscient que cet état de fait ne peut plus durer ; sans parler que s’il le voulait, il pourrait essayer de convaincre (notamment la majorité parlementaire) des bien-fondés, cette fois, de sa présence à Baabda. Sans oublier que se profile à l’horizon l’événement de Noël, une rencontre Joumblatt-Aoun, quelque part où les deux hommes, incontournables que les Libanais le veuillent ou non, pourront avoir toute la latitude de jouer cartes sur table. Sans oublier non plus qu’une horloge censée sonner en faveur de la résurrection d’un pays finit toujours par sonner. Et qu’au bout des tic-tac, ce n’est pas un coucou qui en sort. Ziyad MAKHOUL

Même lorsqu’elle n’est pas remontée, qu’elle se tient tranquille, qu’elle ne donne ni les heures ni les minutes, qu’elle ne crache pas le temps qui passe à des yeux qui n’arrivent plus à s’en détacher, une horloge, accrochée à un mur ou posée bien en évidence sur une commode ou une cheminée, a quelque chose d’intrinsèquement et de profondément dérangeant. Ce petit...