Il est des mots, des phrases, des prises de position, des concepts et des slogans qui, au moment où ils sont proposés,...
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ÉCLAIRAGE - Les 5 discours de René Moawad, entre son élection et sa mort : visionnaires et terriblement actuels Assassiné pour avoir semé, 16 ans plus tôt, les graines d’un 14 mars
le 28 novembre 2005 à 00h00
«Vive le Liban libre, indépendant, souverain ; le Liban pour tous ses fils, éternellement » ; « Nous allons faire du 22 novembre bien plus qu’une commémoration : une fête »… René Moawad, discours d’investiture/discours à la nation, 5 puis 21 novembre 1989.
Il est des mots, des phrases, des prises de position, des concepts et des slogans qui, au moment où ils sont proposés, énoncés ou même scandés, n’attirent pas particulièrement l’attention du peuple auxquels ils s’adressent. Simplement parce qu’on ne les imagine pas ailleurs que dans ces discours de circonstance, parce que ce sont les right words at the right place, parce qu’ils sont ultraprévisibles. C’est seulement avec le temps, un peu ou beaucoup plus tard, et à condition que l’histoire, un peu lunatique, ne leur refuse pas ce sympathique coup de pouce, que ces mots-là peuvent acquérir une résonance inouïe, s’extraire de leur simple signifiant et transformer leur auteur en un redoutable visionnaire ; que ces mots dits, hier très banals, se révèlent être, des années après, terriblement actuels, indémodables, et en totale adéquation avec l’évolution, la résurrection d’un pays.
René Moawad n’avait pu prononcer, au cours des dix-sept jours qui ont séparé son élection à la magistrature suprême de son assassinat, que cinq discours ou allocutions : à l’occasion de son investiture ; un autre devant les corps diplomatique et consulaire ; celui devant l’armée ; un quatrième devant les délégations populaires venues l’acclamer en son domicile d’Ehden ; celui, enfin, du 21 novembre, à la veille de l’indépendance. Cinq moments-clés de ce destin fracassé sur l’autel des intérêts sordides de ceux qui régnaient en maître et que terrifiait et dégoûtait toute velléité d’unité nationale libanaise ; cinq étapes incontournables dans l’élaboration de la « feuille de route » que devrait adopter le Liban s’il veut ressusciter ; cinq occasions de semer, aux yeux et aux tympans de ces mêmes Libanais et du monde, seize ans plus tôt, les germes, presque tous les germes, du 14 mars.
L’état des lieux qu’a dressé René Moawad le 21 novembre 1989 est saisissant d’actualité : « Nous savons tous dans quelle situation est le Liban aujourd’hui : la multitude de difficultés auxquelles il doit faire face, le nombre de crises dans lesquelles il se débat à la suite de toutes ces catastrophes consécutives qui l’ont frappé de plein fouet. » Mais l’ancien chef de l’État ne se contentait pas de diagnostiquer ; il s’acharnait aussi à livrer à la fois le remède et l’ordonnance, armé d’un raisonnement quasi mathématique : « Pas d’État, pas de nation, pas d’entité sans l’unité du peuple ; pas d’unité sans entente ; pas d’entente sans réconciliation. » Plus encore : « Je refuse la division. Le pari de ma vie est de réconcilier les Libanais, tous les Libanais, et cette réconciliation ne doit exclure personne, même ceux qui s’obstinent à s’autoexclure. La réconciliation appartient à tout le monde, et elle peut contenir tout le monde. » Des années avant l’automarginalisation du Hezbollah et d’Amal, des années avant l’autisme politique de Hassan Nasrallah, ces mots claquaient déjà comme une retentissante mise en garde.
Pour incarner cette entente, il avait misé sur un texte (qu’il savait) imparfait, mais qui était et de loin le moins mauvais des ciments nationaux : l’accord de Taëf. Sauf que le premier président de la République de l’après-Taëf ne se limitait pas à la simple et seule lettre de la nouvelle Constitution : son credo, son espérance (la démocratie, les libertés, l’État de droit et des institutions, l’indépendance, la souveraineté…) étaient déjà ceux que scanderont, un certain 14/03/05, des centaines et des centaines de milliers de ses compatriotes, place des Martyrs. La preuve par neuf : « Nous allons commencer à marcher vers l’indépendance, armés de notre unité, attachés à notre régime démocratique et aux libertés ; nous allons le faire d’une façon civilisée, parce que tel est le cachet de ce peuple, son message, son destin et son pari. Nous allons transmettre le message et gagner le pari. Pour le Liban… » Seize ans plus tôt, René Moawad sacralisait les spécificités du Liban et assénait un niet catégorique à tous ceux, voisins ou pas, que démangeait le fantasme d’un cancéreux clonage : « La nouvelle République sera celle des institutions ; je veillerai à redynamiser chacune d’entre elles, à ce qu’elles remplissent leurs missions, exercent leurs prérogatives, en harmonie et dans le partage des responsabilités. »
Le président martyr, hyperintuitif sans le savoir, ne s’était pas arrêté en si bon chemin, déterminé qu’il était à prouver que l’on pouvait être démocrate, libéral, respectueux de la loi et du droit, tout en accordant à l’armée nationale toute l’importance (et tout l’amour) du monde : « Le Liban est une République démocratique, basée sur les droits de l’homme et le respect des libertés, à commencer par la liberté d’expression et de pensée ; nous y sommes particulièrement attachés, loin de toute oppression, contrainte ou pressions. Et soyez sûrs que je continuerai à renforcer l’armée, aux côtés des FSI et de la Sûreté générale afin qu’elles participent efficacement à défendre ce système », avait-il dit le 16 novembre devant une délégation de la direction de l’armée. Et si Émile Lahoud avait été présent en ce jour, nul doute qu’il devait souffrir d’une surdité aussi totale que momentanée.
René Moawad a été assassiné le 22 novembre 1989. Quelques heures avant sa mort, il disait : « Le Liban doit commencer par améliorer ses relations avec les pays frères, et notamment la Syrie. Les liens et les intérêts qui existent entre le Liban et la Syrie imposent que l’on organise cette relation privilégiée : il faut développer la confiance, une coopération claire et sincère à tous les niveaux, dans le cadre d’un attachement mutuel à la dignité et à la souveraineté de chacun. Je suis persuadé que les bonnes et nobles intentions nous permettront de construire un avenir meilleur. » Quelques heures après sa mort, parvenaient ces mots : « Nous avons été douloureusement choqués par la nouvelle de l’assassinat du président Moawad. Ce crime ignoble commis le jour de l’indépendance du Liban a été concocté par ceux qui veulent du mal à ce pays, les ennemis de son unité. Ce crime ignoble doit nous pousser à redoubler notre soutien au Liban, afin qu’il puisse réussir à vaincre le mal et que son peuple puisse punir ces criminels au lourd passé. » Ces phrases, d’un indicible cynisme, étaient celles du président syrien de l’époque, Hafez el-Assad.
Et à l’époque, Detlev Mehlis s’occupait malheureusement d’autres choses, d’autres crimes…
Ziyad MAKHOUL
«Vive le Liban libre, indépendant, souverain ; le Liban pour tous ses fils, éternellement » ; « Nous allons faire du 22 novembre bien plus qu’une commémoration : une fête »… René Moawad, discours d’investiture/discours à la nation, 5 puis 21 novembre 1989.
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