Actualités
REPORTAGE - Cachés pendant les années de régime baassiste, deux frères réapprennent à vivre Les « prisonniers volontaires » de Bagdad
le 28 novembre 2005 à 00h00
Lorsque, pour la première fois en 23 ans, Saad et Ibrahim al-Qaïssi ont quitté leur maison dans le quartier bourgeois de Karrada à Bagdad, peu après la chute du régime de Saddam Hussein, ils se sont vite égarés et depuis ils réapprennent à vivre. Pendant toutes ces années, les deux frères vivaient cachés dans une petite chambre, par crainte des services de renseignements de l’ancien régime.
« Pour deux adultes comme nous, c’était embarrassant de demander notre chemin pour rentrer chez nous », raconte Saad, 47 ans, dont les vêtements datant des années 1970 ont suscité des moqueries dans la rue. « Lorsque nous sommes revenus au sein de la société, nous devions être très prudents dans nos contacts avec les gens », poursuit Ibrahim, 45 ans. « Nous devions savoir si les personnes que nous avions connues avaient gardé leurs opinions ou avaient changé avec toutes ces guerres et les sanctions » internationales. Saad déplore l’insécurité qui règne dans le pays, lui qui a vécu pendant plus de 20 ans dans la crainte des services de sécurité qui tenaient l’Irak d’une main de fer.
Leur emprisonnement volontaire a commencé après l’arrestation de leur sœur Sabiha en 1980, sous prétexte que son époux était un membre présumé du parti chiite Daawa, dont le chef Ibrahim Jaafari est aujourd’hui le Premier ministre. Leur père et leur frère Mohammed ont ensuite été arrêtés sous la même accusation. Les deux frères ont alors compris qu’ils devaient disparaître.
« Nous nous sommes arrangés pour que nos prénoms ne soient plus jamais mentionnés à la maison », explique Saad. « Nos déplacements étaient très limités. Nous passions la plus grande partie de notre temps dans cette chambre », dit-il, en montrant l’espace réduit, avec trois lits, dont celui de leur frère Mohammed, et de nombreux livres.
Pour garder la forme, ils faisaient les cent pas dans la chambre et parfois montaient et descendaient les escaliers entre les deux étages de la maison. « Nous avons souvent déprimé », admet Saad. « Mais nous avons fait face en adoptant un proverbe qui dit que le livre est le meilleur ami en tout moment. » Ils consultaient les livres de médecine quand ils étaient malades. En 1996, leurs conditions de vie se sont améliorées lorsque les arbres de leur jardin sont devenus assez grands pour leur permettre d’y sortir, de nuit, sans être repérés.
Leur mère, Zahra al-Badri, a pris soin d’eux pendant tout ce temps. « Je racontais aux gens que Saad était parti à la recherche de son père et n’était jamais revenu, et qu’Ibrahim n’était jamais rentré de l’école », lance cette femme, qui a travaillé comme couturière pour subvenir aux besoins de ses enfants. En 1984, des responsables de la sécurité lui ont dit que son époux, sa fille et ses fils, même Saad et Ibrahim, avaient été exécutés. Mais les visites des services de renseignements ont continué. « Ils venaient une ou deux fois par semaine », dit Ibrahim. « Puis ça a été une ou deux visites mensuelles. Cela a continué jusqu’à un mois avant la chute du régime. » Zahra a alors décidé qu’il était temps pour ses fils de sortir de leur cachette. « Je vivais dans la peur et je n’ai été soulagée que lorsque les Américains ont envahi le pays. »
Désormais, les deux frères ont remis leur garde-robe à jour et tentent de survivre dans un pays meurtri par la violence. Saad a repris son travail dans la raffinerie de Doura, dans le sud de Bagdad, et son frère ses études d’ingénieur. Et, ils profitent de leur temps libre. « Quand on perd sa liberté, on se rend compte de son importance », note Saad.
Mais, pour leur mère, la peur est toujours présente. « Je m’inquiète pour eux, à cause des explosions. Quand ils sortent, je ne suis jamais sûre qu’ils vont revenir », dit-elle.
Ahmad FADAAM
et Nafee ABDEL JABBAR (AFP)
Lorsque, pour la première fois en 23 ans, Saad et Ibrahim al-Qaïssi ont quitté leur maison dans le quartier bourgeois de Karrada à Bagdad, peu après la chute du régime de Saddam Hussein, ils se sont vite égarés et depuis ils réapprennent à vivre. Pendant toutes ces années, les deux frères vivaient cachés dans une petite chambre, par crainte des services de renseignements de...
Les plus commentés
La famille d’un Libanais juif, enlevé en 1984, en appelle à Israël pour connaître son sort
« Tout ça en une journée de travail » : une photo de Morgan Ortagus tenant une roquette fait le buzz
Trump s'engage à « acheter et posséder » la bande de Gaza