Actualités - OPINION
L’appel de Otri sur un tracé des frontières La glace est rompue, mais elle risque encore de se briser…
Par ABI AKL Philippe, le 24 novembre 2005 à 00h00
Un virage à 180°. Ce même Otri qui, il y a quelques jours à peine, non seulement refusait de prendre Siniora au bout du fil, mais le faisait claironner sur les toits pour bien marquer son dédain, l’a brusquement relancé. Une lettre puis une conversation téléphonique d’une heure et quart, pas moins. Un tour d’horizon des problèmes de l’heure et des principaux chapitres du contentieux bilatéral. Surnommé « force tranquille », le président du Conseil libanais a poliment, fraternellement même, exposé autant de griefs publics que de reproches personnalisés concernant les positions récentes de la Syrie, pour le moins hostiles.
Mais l’entretien ne s’est pas arrêté là. Selon des sources fiables, le chef du gouvernement syrien aurait accepté le principe d’un tracé des frontières pour régler divers litiges territoriaux. Mais à la condition expresse d’exclure la contrée de Chebaa du processus. Sous prétexte qu’elle n’est pas accessible aux topographes, vu qu’elle reste sous occupation israélienne.
Cette exception peut sans doute susciter nombre de commentaires sceptiques quant au changement de cap apparent de la Syrie. Sur le terrain, comme sur le plan juridique ou encore politico-diplomatique, quand on parle tracé de frontières, Chebaa s’impose d’elle-même comme une évidente priorité. Justement parce que c’est un territoire occupé. De plus, c’est le point le plus facile à régler, puisque Damas ne conteste pas la libanité de l’enclave.
Surprise
Quoi qu’il en soit, pour le moment, et c’est bien naturel, on se focalise à Beyrouth sur la soudaine ouverture syrienne. D’autant plus (agréablement) surprenante qu’elle fait, plutôt rapidement, suite à la diatribe littéralement outrageante du président Bachar el-Assad offensant Siniora (autant que Saad Hariri, si on comprend bien), en le traitant d’« esclave aux ordres d’un esclave aux ordres ». En réaction, et comme on sait, l’intéressé n’a voulu retenir de ces propos que le côté attaque politique, considérant du reste qu’il cible bien plus le Liban indépendant que la présidence du Conseil ou sa personne.
Cette page heurtée semble maintenant tournée. Mais pourquoi et comment ? La toute première réponse est que les pays arabes sunnites les plus influents, nommément l’Arabie saoudite et l’Égypte, sont très rapidement intervenus auprès du régime syrien pour calmer le jeu. Dans le propre intérêt de Damas d’ailleurs. En lui faisant remarquer, non sans pertinence, que pour desserrer l’étau du python royal international qui commence à l’étouffer, il lui faut évidemment donner du mou. Donc, ne plus tant faire le dur. Collaborer avec la commission Mehlis et se rapprocher du Liban, bénéficiaire, si l’on peut dire, de la 1636.
Damas a donc plus ou moins suivi ces pressants conseils. Si sa collaboration avec Mehlis n’est pas encore démontrée dans les faits (il faudra attendre les suites de l’éventuel interrogatoire des six), son rapprochement avec Beyrouth semble en ordre de marche.
Admonestation
L’on apprend ainsi de source fiable que les Saoudiens, sans mentionner le discours d’Assad (ils n’en avaient pas besoin), ont fait savoir aux Syriens qu’ils trouvent inadmissible qu’un chef de gouvernement arabe refuse de prendre au téléphone un homologue aussi respectable que Siniora. Pour faire bonne mesure, ils ont rappelé combien la découverte de la vérité sur l’assassinat du président Hariri (qui avait aussi la nationalité saoudienne) leur tient à cœur. Ajoutant qu’ils ne voient objectivement aucune raison justifiant la détérioration des relations syriennes avec le Liban, pays frère s’il en est.
Mais l’intervention conciliatrice des Saoudiens, comme de Moubarak, n’est pas une médiation de fond. C’est-à-dire qu’elle ne propose aucune coopération, et encore moins un arbitrage, pour le traitement des dossiers conflictuels qui empoisonnent les relations libano-syriennes. Il est ainsi très clair, relève un pôle local influent, que la normalisation des rapports reste tout d’abord conditionnée par deux facteurs liés à l’assassinat du président Hariri. D’abord, pour le fond et à terme, que la Syrie n’y soit pas impliquée, directement ou par cadres sécuritaires interposés. Ensuite, ponctuellement, qu’elle joue totalement franc jeu avec Mehlis.
Entraves
Sur un plan plus général, l’attitude syrienne négative qui a suivi le retrait du 26 avril a manifestement influé sur la scène locale et y a nettement entravé toute évolution vers une entente nationale véritable. Le climat du 14 mars en a été perturbé, comme en attestent tant les détails du cérémonial que les différentes prises de position politiques liées à la célébration de l’indépendance. Les composantes de la majorité parlementaire ont assisté à la parade militaire, dans le centre-ville, pour applaudir l’armée et son commandement, qui n’avait pas répondu aux souhaits de certains, jadis, d’interdire ou de réprimer le 14 mars. Mais cette majorité parlementaire a boycotté la réception de Baabda pour montrer, à l’instar d’ailleurs des chancelleries occidentales, que la prorogation reste considérée comme un fait accompli sans substance de légitimité. Le message s’adressant, finalement, bien plus au meneur de jeu que reste la Syrie qu’au maître de céans.
Une Syrie dont le principal atout local semble être désormais le puissant tandem chiite Hezbollah-Amal. Berry a défendu Damas, dehors. Et à l’intérieur, les cadres du Hezb se sont relayés pour assurer un rôle de bouclier, tant en actes (comme l’incroyable retrait de ministres) qu’en discours virulents.
Conditions
Ces dirigeants ont confirmé qu’ils refusent la 1559. Et ils précisent que si dialogue intérieur il doit y avoir, ce ne sera pas sur l’armement du Hezb, mais sur les moyens de l’utiliser en vue de protéger le Liban. Ils affirment qu’ils ne reçoivent d’instructions de personne. Et leur affrontement armé avec les Israéliens semble effectivement montrer qu’ils ne sont pas au diapason d’une Syrie qui semble jouer la détente. Mais une question technique se pose en l’occurrence : un pays qui fournit de l’armement ne garde-t-il pas un droit de regard quelconque sur son usage ?
Là, on revient en fait aux doutes qu’émettent nombre de pôles locaux quant aux intentions syriennes. Le Hezbollah est l’allié de Damas. Il soutient, au sujet des affrontements récents au Sud, qui lui ont coûté quatre martyrs, tandis qu’un soldat israélien était tué, qu’il n’a fait que riposter. Mais Gambari l’onusien ainsi que les Français affirment que c’est bien le Hezb qui a ouvert le feu en premier. Pourquoi ? Et contre les intérêts de qui, de la Syrie au moment où elle s’efforce de montrer patte blanche ?
Les sceptiques s’interrogent donc. En estimant que Damas souhaite peut-être troubler la partie et montrer que la carte du Liban-Sud, front semi-ouvert commode, reste bien entre ses mains. À partir de ces hameaux de Chebaa que la Syrie s’abstient d’homologuer comme libanais.
Philippe ABI-AKL
Un virage à 180°. Ce même Otri qui, il y a quelques jours à peine, non seulement refusait de prendre Siniora au bout du fil, mais le faisait claironner sur les toits pour bien marquer son dédain, l’a brusquement relancé. Une lettre puis une conversation téléphonique d’une heure et quart, pas moins. Un tour d’horizon des problèmes de l’heure et des principaux chapitres du...
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