Actualités - OPINION
Des ténors de la majorité réclament le retour de Hariri, pour parer aux risques d’escalade
le 16 novembre 2005 à 00h00
Des cadres de poids, au sein de la majorité parlementaire, se disent convaincus que nul ne recherche la rupture politique totale avec implosion du gouvernement et crise de pouvoir ouverte. Mais, en même temps, ces pôles soulignent qu’en cas d’escalade accentuée, les développements pourraient devenir incontrôlables. Ils estiment qu’il est grand temps que Saad Hariri revienne pour mieux faire contrepoids au camp des prosyriens, engagé dans une contre-offensive manifeste.
C’est que des sources sécuritaires soulignent, dans des rapports de circonstance, que les alliés de Damas se mobilisent à fond, le Hezbollah jouant les fers de lance en agitant le spectre d’un recours à la rue, l’intifada des pneus et du mazout dans la Békaa servant de premier avertissement. Le Hezb, faisant office d’opposition active, comme en atteste sa jonction de fait avec les aounistes, se saisit du dossier des revendications populaires socio-économiques pour accroître sa pression sur le gouvernement, sur son chef et sur la majorité parlementaire qu’il accuse, incidemment, de monopoliser un pouvoir de décision qui devrait être partagé.
Reproches
Oubliant que lorsqu’il en a eu l’occasion, il a su imposer ses choix à autrui (comme pour la réélection de Berry ou la désignation de Salloukh), le Hezb affirme que Siniora enfreint la règle essentielle des équilibres et du consensus. Il lui reproche de priver la communauté chiite de certains postes, citant comme exemples la nomination du nouveau directeur (du reste temporaire) de la Sûreté d’État, la mise à disposition du directeur général de l’Économie et les désignations au sein du cadre des Forces de sécurité intérieure. Pour faire bonne mesure, il reproche également à Siniora de s’être engagé à faire appliquer la 1559, comme Roed-Larsen l’affirme dans son rapport. Et, bien sûr, il l’attaque sur le tracé des frontières et sur sa demande d’établissement de relations diplomatiques avec la Syrie. La mobilisation chiite visant le président du Conseil et le Courant du futur met principalement en avant la devise de la protection de la Résistance et du rassemblement national qu’elle implique.
Regrets tardifs
Mais en face, on se défend en s’appuyant, en filigrane, sur la composante sunnite du paysage politique local. Des députés de la majorité regrettent, aujourd’hui, d’avoir accepté le marché conclu avec le tandem Amal-Hezbollah. Ils soulignent que la logique du changement, introduite par le 14 mars, aurait dû porter leur bloc à refuser la réélection de Berry à la présidence de la Chambre. Dans le même sens, ils estiment que, tout compte fait, il aurait été préférable de ne pas intégrer au gouvernement des ministres relevant des deux formations chiites. Surtout qu’elles ont exigé, et obtenu, les Affaires étrangères et la Sûreté générale. Poste sensible, traditionnellement réservé aux chrétiens, jusqu’à ce que le président Lahoud le fasse attribuer, mais au nom de la laïcité aconfessionnelle, au général Jamil Sayyed, aujourd’hui sous les verrous. De plus, la déclaration ministérielle a tenu compte des orientations du Hezbollah concernant les résolutions internationales. Pour les majoritaires cités, le prix payé (auquel il faut ajouter l’accord avec Lahoud) à seule fin de permettre à l’État de démarrer sans secousses se révèle exorbitant. Ils pensent maintenant, mais c’est bien trop tard, qu’il eût mieux valu clarifier les choses d’entrée de jeu et former un pouvoir cohérent, digne du 14 mars et d’un Liban assumant nettement, sans confusion ni double jeu, son indépendance retrouvée.
Nuances
D’autres pôles sunnites relèvent cependant pour leur part que l’on a peut-être bien fait, dans le fond, de rechercher l’entente avec le Hezbollah et avec Amal, étant donné que, bon gré, mal gré, ils monopolisent la représentation politique chiite et tiennent les masses, comme on dit. Mais ces modérés jugent quand même qu’une erreur a été commise au départ, dans ce sens qu’il aurait fallu négocier pied à pied les conditions du tandem, et non pas y souscrire sans discussion. Ils notent qu’en tenant la dragée haute aux prosyriens proclamés, on les aurait sans doute moins portés à se montrer encore aussi exigeants aujourd’hui. Moins incisifs, pour ne pas dire moins agressifs.
Globalement, comme le souligne un diplomate arabe, force est de constater que le clivage oppose principalement les collectivités politiques musulmanes, plus précisément les sunnites aux chiites. Le climat est d’autant plus délétère que, sur incitation à peine voilée de Damas, le Hezbollah tente de faire pression sur le gouvernement par un recours à la contestation populaire, dans son fief de la Békaa. D’autres prosyriens tentent à leur tour d’agiter le Nord, toujours au nom du mazout. Et des manifestations sont ainsi annoncées pour demain jeudi, lors de la tenue du Conseil des ministres.
L’assistance
Nombre d’observateurs craignent que les frictions ne se répercutent gravement sur la situation socio-économique, financière et monétaire du Liban au moment où il se prépare pour la conférence d’assistance internationale prévue pour la mi-janvier. Un rendez-vous qui risquerait d’être reporté, voire torpillé. Pourquoi ? Parce que, répondent des ministres, le risque d’un éclatement du cabinet grandit de jour en jour. Et qu’en tout cas, on peut craindre que les prosyriens ne rajoutent à leur plan de campagne des thèmes relatifs au rejet des réformes administratives, budgétaires et financières envisagées par l’équipe du président Siniora, notamment au sujet de la suppression d’indemnités somptuaires, de conseils et de caisses dispendieux, véritables pompes à fric, comme on dit familièrement. Ou au sujet des privatisations.
Médiation discrète
Cependant, certains professionnels restent persuadés que le Hezbollah, et d’ailleurs il le dit, ne voudra pas faire sauter le gouvernement, même si les Syriens le souhaitent. Parce qu’il redoute, comme il l’indique, que le pouvoir ne soit trusté par le camp d’en face, au profit, selon ses termes, des Américains. D’autre part, ajoutent les mêmes sources, il lui faut doser entre ce qu’il veut donner à la Syrie en termes de politique de confrontation négativiste et la culture de ses propres intérêts locaux, la quête de la réalisation de demandes politiquement importantes. Pour ces pôles, il est clair que le Hezbollah reste apte à un dialogue local et qu’il est disposé à reprendre langue avec Saad Hariri, lors de son retour. Ainsi qu’à entretenir des contacts suivis avec Joumblatt, Aoun, Gemayel et les Forces libanaises, entre autres.
Ces personnalités estiment que, dans un esprit national bien compris, les forces politiques chrétiennes doivent jouer les traits d’union, rapprocher les vues des sunnites et des chiites, dans le cadre d’un dialogue élargi. Mais bien évidemment, cela suppose que ces forces se retrouvent d’abord entre elles, sans parler présidence. Et c’est là une autre histoire, comme une autre gageure.
Philippe ABI-AKL
Des cadres de poids, au sein de la majorité parlementaire, se disent convaincus que nul ne recherche la rupture politique totale avec implosion du gouvernement et crise de pouvoir ouverte. Mais, en même temps, ces pôles soulignent qu’en cas d’escalade accentuée, les développements pourraient devenir incontrôlables. Ils estiment qu’il est grand temps que Saad Hariri revienne pour mieux...
Les plus commentés
Un officier de la Finul blessé dans l'attaque d'un convoi dans la banlieue sud de Beyrouth
L’Iran ferme son espace aux avions libanais tant que Beyrouth refuse les siens
Au moins 25 personnes arrêtées après l'attaque contre un convoi de la Finul