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Actualités - CHRONOLOGIE

L’Ordre des avocats rend un vibrant hommage à l’ancien Amid du Bloc national Juristes et politiciens perpétuent la mémoire de Raymond Eddé

Incroyablement de monde pour un souvenir, celui d’un homme qui s’est éteint doucement, discrètement, il y a quelques années, dans son lit, à des milliers de km de son sol natal : Raymond Eddé. Une mort pourtant d’une violence extrême, de la violence emprisonnée dans un projet condamné à être éternellement suspendu au bord de sa réalisation, condamné à rester ce qu’il est, ultime frustration. Et c’est justement dans ce qui ressemblait à un rituel que les admirateurs du Amid – qui ne pouvait qu’être admiré, même par ses ennemis – ont perpétué hier sa mémoire lors d’une cérémonie organisée à cet effet par l’Ordre des avocats de Beyrouth. Cérémonie religieuse par excellence, puisque l’on assistait à ce qui pourrait être appelé « le culte du parfait » dans l’homme politique qu’était Raymond Eddé, « qui n’a jamais fait de compromis », et dont la canonisation politique a été entamée bien avant son décès, le jour où il décida de quitter son pays pour ne pas devoir fuir sa conscience. Hommage posthume, doublé d’un léger serrement de cœur, à celui qui n’a pas eu le temps de voir son Liban libéré de toute présence armée étrangère. Cinq ans après sa disparition, le Amid n’a encore rien perdu de son célèbre charisme. Preuve en est l’affluence extraordinaire de personnalités politiques de tous bords, ministres, députés, juges et juristes, qui se sont pressés à la Maison de l’avocat pour écouter les intervenants parler, ne serait-ce qu’un instant, de celui qui ajoutait une couleur tellement spéciale à la vie politique libanaise. Étaient notamment présents le ministre Charles Rizk, représentant le président de la République, le député Abbas Hachem, représentant le président de la Chambre, et le ministre Khaled Kabbani, représentant le Premier ministre. C’est l’ancien président de la Chambre, le député Hussein Husseini, qui a commencé par prendre la parole pour parcourir les événements qui lui ont permis de mieux connaître Raymond Eddé. Ce fut d’abord le tristement célèbre accord du Caire (1969), que Eddé a combattu de toutes ses forces, pour des raisons que Husseini a méticuleusement énumérées, comme s’il les adoptait, trente-six ans plus tard. Et de poursuivre en évoquant la voix de Eddé qui raisonnait presque seule parmi les tirs de la guerre naissante, pour défendre une unité que peu de politiciens semblaient alors toujours vouloir, avant de s’arrêter au quasi-militantisme du Amid pour l’abolition, dans les années 80, de ce même accord, ainsi que celui du 17 mai. Soulignant la nécessité de construire un État moderne, il a conclu avec émotion, ce qui n’est pas peu pour un Hussein Husseini : « Nous devons aujourd’hui prouver que nous sommes capables de nous gouverner nous-mêmes. C’est la meilleure façon de rendre hommage à Raymond Eddé. » Le Amid et sa « femme » Le rédacteur en chef du Nahar, l’incontournable Ghassan Tuéni, a ensuite occupé la tribune pour raconter une série d’anecdotes sur sa relation avec le leader historique du Bloc national, puisque, pour lui, « on ne peut parler de Raymond Eddé avec tristesse, lui qui était synonyme de joie dans le monde de la politique ». Des anecdotes qui ont raconté l’histoire de Eddé avec la présidence de la République, cette « femme » avec laquelle il partageait une relation si ambiguë, lui qui savait tout aussi bien parler aux hommes, et notamment aux politiciens, qui se ruaient dans l’hémicycle pour l’écouter religieusement lorsqu’il prononçait l’un de ses très attendus discours. « À la veille de l’élection présidentielle, il est nécessaire de comprendre Raymond Eddé, et notamment sa philosophie de la présidence », a-t-il dit. Puis ce fut le tour du président du Conseil supérieur de la magistrature, le juge Antoine Kheir, qui, à travers une série d’images étalées sur plus d’un demi-siècle, a esquissé un émouvant portrait du Amid tel qu’il l’a connu. C’est-à-dire d’abord du très jeune Raymond Eddé, qui venait d’assumer le poids politique de la famille à la fin des années quarante, et qu’un certain Antoine Kheir, qui n’avait alors que sept ans, allait féliciter sur les épaules d’un parent, à la suite de l’élection de son frère Pierre Eddé au siège du Metn-Baabda. Est ensuite intervenue l’image d’un Raymond Eddé législateur, qui avait fréquemment recours à la science du jeune juriste qui n’était pas encore devenu juge, pour affiner des textes qui souffraient de leur arabe très imparfait, puis celle de Eddé vieillissant, attendant le grand magistrat sur les portes de son hôtel parisien. Et l’image de la fin : un Raymond Eddé porté par des milliers de bras, et qui rentrait, trop tard hélas, dans sa maison paternelle de Beyrouth, sous une nuée d’applaudissements qui cachaient une nerveuse émotion. « J’ai vu le culte du Liban chez Raymond Eddé », conclut M. Kheir, donnant ainsi la parole à un avocat du cabinet Eddé, Samir Baroudi, qui a montré le Amid dans sa robe de juriste, un juriste qui sait humaniser sa logique implacable par un humour intarissable. Avocat, Eddé était également législateur, tel que l’a décrit le bâtonnier Sélim Osta qui a énuméré les nombreuses lois qui portent ou auraient dû porter le nom de Raymond Eddé. « Même si vous n’avez pas été élu bâtonnier, vous l’étiez par votre science. Même si vous n’avez pas été élu président, vous l’étiez par votre vision et votre intégrité », a-t-il solennellement dit. Le mot de la fin est revenu au successeur de Raymond Eddé à la tête du Bloc national, Carlos Eddé, qui a souligné l’attachement de son oncle à son métier d’avocat « qu’il disait avoir lui-même choisi », contrairement à sa carrière de politicien. Et de se déclarer enfin satisfait de voir toutes les positions jadis défendues par Eddé devenir aujourd’hui celles du pouvoir libanais, comme la question de la délimitation des frontières avec la Syrie. Encore une fois, la vision de Raymond Eddé aura donc prévalu, un peu trop tard pour sa personne peut-être, mais tout à fait à temps en ce qui concerne le Liban. Et, pour lui, c’était l’essentiel. Samer GHAMROUN

Incroyablement de monde pour un souvenir, celui d’un homme qui s’est éteint doucement, discrètement, il y a quelques années, dans son lit, à des milliers de km de son sol natal : Raymond Eddé. Une mort pourtant d’une violence extrême, de la violence emprisonnée dans un projet condamné à être éternellement suspendu au bord de sa réalisation, condamné à rester ce qu’il est,...