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Actualités - ANALYSE

ÉCLAIRAGE - Jusqu’à quand et jusqu’où Amal acceptera-t-il de se laisser phagocyter par le parti de Dieu ? Damas met en scène le chantage du siècle – sans savoir qu’elle en sera la première victime ?

C’est de la physique pure – et la science a ceci de beau qu’elle est implacable, cruelle ; contrairement aux montagnes, aucune foi ne peut la bouger. Lorsque l’on met à chauffer une casserole de lait, la température du liquide grimpe lentement, sûrement, jusqu’à ce que le liquide bout, puis déborde de partout. Le lait est pratiquement tout perdu. À moins, évidemment, que l’on éloigne la casserole des flammes. Jour après jour, à chaque fois un peu plus, qu’ils soient chefs d’État, Premiers ministres, chefs de la diplomatie, dirigeants d’organismes planétaires ou régionaux, seizièmes adjoints, peu importe, la totalité des membres de la communauté internationale est en train d’inviter, de presser la Syrie, de l’appeler, de la supplier ou de l’enjoindre à coopérer « pleinement et sans conditions » avec Detlev Mehlis. Sans résultats – pour l’instant. Lentement, sûrement, Damas est en train d’entrer droit dans le mur : nécessairement, arrivera le moment où cette communauté internationale cessera de répéter, de ressasser la même chose, et passera aux sanctions. L’éventail de ces mesures est très large, et ni Moscou ni Pékin ne pourront s’y opposer. La famille syrienne régnante (Bachar el-Assad, Maher el-Assad, Bouchra el-Assad Chawkat, Assef Chawkat et Riad Maalouf) le sait. Le bon docteur Bachar a beau jouer les matamores, il le sait. Il sait aussi, ou croit savoir, dans tous les cas il l’a dit, que « quoi qu’il fasse », c’est-à-dire même s’il ampute la famille (le pourrait-il seulement, s’il le voulait ?) pensant ainsi la préserver, on lui demandera plus encore. Quoi ? D’abdiquer ? De quitter le trône, transformant ainsi l’Assadie en embryon de démocratie ? Il est possible qu’il en soit persuadé, même si les couloirs de la planète sont loin encore de bruisser de cette façon. Mais le suicide de Ghazi Kanaan, l’abandon sine die des réformes internes, le lâche emprisonnement de Kamal Labaouani pour « atteinte à l’image de la nation » poussent à croire que le régime syrien, au-delà de la paranoïa propre à tous les totalitarismes, a peur. Et qu’il veut montrer qu’il a peur, tout en bandant les muscles au maximum et en les étalant, comme jeudi dernier à l’Université de Damas, et en postillonnant contre ceux par qui le malheur est arrivé : le Liban et la majorité au pouvoir. Le problème, c’est que le refus d’envoyer les six officiers se faire cuisiner au QG onusien de Monteverde relève de tout sauf d’une question de souveraineté nationale, ou, pire encore, de la fielleuse allusion d’un Farouk el-Chareh, accusé de « mensonges » par le juge allemand, sur la volonté syrienne de préserver la stabilité du Liban. Ce n’est même pas une question d’amour-propre ultrabafoué, même si l’image de ses six hommes qui ont gouverné et ruiné le Liban pendant des années arrivant la queue entre les jambes, en quasi-accusés, en plein Metn-Nord pour répondre à Mehlis, a de quoi donner des sueurs glacées au plus petit des fonctionnaires syriens. Non : le problème, c’est simplement que Assef Chawkat refuse de se rendre au Liban sans… Maher el-Assad. Detlev Mehlis est redoutable. Peu importe finalement les points de savoir ce qui se passe réellement dans les alcôves des palais damascènes, et quelles sont les véritables raisons de la suicidaire obstination syrienne. Parce que le fait est là : préférant une pseudo-résistance à cette anarchie fantasmée, la famille a choisi la plus criminelle, la plus facile et la plus risquée des tactiques. Le chantage. Le schéma est très simple, archiconnu pour quiconque connaît un peu la famille ; tous les acteurs de cette sinistre mise en scène sont en place, chacun a retenu texte et partition, les décors et les costumes sont bien entendu les mêmes. Le maître-chanteur, c’est Damas ; la victime, le blackmailed, c’est la communauté internationale ; l’outil, c’est le Hezbollah (avec, dans les seconds rôles, Amal et Émile Lahoud, et tant mieux si Michel Aoun aide, même si c’est la dernière chose qu’il souhaite, même si c’est sans le savoir) ; l’objet du chantage, enfin, c’est la stabilité du Liban. Dès qu’il s’agit de semer le trouble et de nuire au Liban, la Syrie est orfèvre. Depuis quelques jours, c’est la mobilisation tous azimuts, des deux côtés de Masnaa. Au lendemain du discours de Bachar el-Assad, un bijou en matière de venin et d’appels à la sédition interne au pays des 18 communautés, Farouk el-Chareh entre en scène, habitué qu’il est à jouer les Cassandre pompier-pyromane. Sa mise en garde contre les dangers des manifs et des manifs opposées si l’on fait plier la Syrie est un must : faites les malins et vous verrez comment on montera le chiite contre le sunnite. Les pressions sur le Hezb et Amal pour qu’ils quittent le gouvernement se multiplient depuis 48 heures. Le germe de la révolution du mazout ne vient pas du QG de Hassan Nasrallah, mais de Damas. Et tant qu’à faire, le Hezb n’a qu’à profiter de Michel Aoun, qui, finalement, ne fait que son travail d’opposant. Et il le fait bien, tellement bien, que le parti de Dieu n’a qu’à se baisser pour ramasser les fruits, et claquer la porte du gouvernement en faisant croire qu’il adopte les idées d’un autre. Le seul hic, c’est que la Syrie a beaucoup de chances pour être sinon la seule du moins la principale victime de son chantage. À supposer que le Hezb retrouve l’opposition, rien ne prouve que Amal fera de même, surtout lorsque l’on connaît la hantise de Nabih Berry : la dilution de son parti dans la masse jaune. L’insubmersible locataire de Aïn el-Tiné, qui n’a pas la rue, n’abandonnerait probablement jamais la seule chose qui lui reste, c’est-à-dire la participation au gouvernement. Et à supposer que le Hezb claque la porte, ce qui affaiblirait encore davantage Émile Lahoud, rien n’empêche Fouad Siniora de désigner des ministres chiites appartenant à la troisième voie. La majorité chiite n’aura qu’à s’inspirer de l’expérience chrétienne pendant quinze ans : la quasi-totalité des ministres chrétiens de l’époque ne représentait pas la rue. Prise à son propre piège, la Syrie ? Probablement… Surtout que la planète entière n’attend que cela pour lui tomber dessus. Surtout qu’elle semble avoir trouvé beaucoup plus fort qu’elle : Fouad Siniora, tant que sa gigantesque popularité restera transcommunautaire. Cela ne tient qu’à lui. Ziyad MAKHOUL
C’est de la physique pure – et la science a ceci de beau qu’elle est implacable, cruelle ; contrairement aux montagnes, aucune foi ne peut la bouger. Lorsque l’on met à chauffer une casserole de lait, la température du liquide grimpe lentement, sûrement, jusqu’à ce que le liquide bout, puis déborde de partout. Le lait est pratiquement tout perdu. À moins, évidemment, que l’on...