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Actualités - ENTRETIEN

Assassinat Hariri - Entretien avec Aïda Azar, docteur en droit Juridictions internationales : mode d’emploi

De nombreuses voix, y compris celles du président français Jacques Chirac et du député Saad Hariri, se sont élevées pour réclamer la formation d’un tribunal pénal international destiné à juger l’affaire de l’assassinat de Rafic Hariri. Certains estiment qu’il suffit de porter le dossier devant la Cour pénale internationale, tandis que d’autres refusent de délester la justice libanaise. Pour mieux comprendre laquelle de ces formules est réalisable et dans quelles conditions, L’Orient-Le Jour a interrogé une spécialiste du droit international, Aïda Azar, vice-doyenne de la faculté de droit et des sciences politiques de l’Université Saint-Joseph. L’évolution des juridictions pénales internationales est si récente que le public ne s’y retrouve pas toujours. D’où la confusion qui règne dans les esprits libanais lorsqu’il s’agit pour les uns de réclamer un tribunal international ou pour les autres d’en refuser le principe, dans l’affaire de l’assassinat de Rafic Hariri. Docteur en droit, Aïda Azar rappelle qu’il faut distinguer deux types de juridictions pénales internationales. Deux Tribunaux pénaux internationaux (TPI) ad hoc ont été successivement créés en 1993 et 1994 pour juger les crimes commis en ex-Yougoslavie et au Rwanda. Depuis, une Cour pénale internationale (CPI) permanente est née lors de la conférence de Rome en 1998. La CPI est compétente pour juger des personnes accusées de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, de génocides ou de crimes d’agression (pour ce dernier cas, il s’agit d’une compétence de principe en attendant la définition exacte du crime). La CPI n’est pas compétente sur le terrorisme En théorie, depuis la création de la CPI, il n’est plus nécessaire de former des tribunaux ad hoc, qui avaient été mis sur pied en l’absence d’autre juridiction adéquate. Logiquement, si l’affaire Hariri devait être portée devant une juridiction internationale, il faudrait qu’elle le soit devant la Cour permanente. Plusieurs obstacles empêchent toutefois cette formule, selon Aïda Azar, spécialiste du droit pénal international. D’abord, le Liban n’est pas partie au statut de la CPI, faute d’avoir signé le traité de Rome, ce qui l’empêche de saisir la Cour lui-même. Ensuite, le Conseil de sécurité ayant déjà qualifié l’assassinat de Rafic Hariri d’acte terroriste, « matériellement, le crime n’entre pas dans la compétence de la Cour ». Pour contourner ces obstacles, il est possible que le Conseil de sécurité saisisse la CPI à la place du Liban, sachant que celle-ci peut juger les ressortissants d’un pays non signataire. Pour cela, il faudrait une volonté politique forte, qui marquerait un tournant à deux niveaux. Premièrement, Washington, membre permanent du Conseil de sécurité, n’est pas signataire du traité de Rome. Les États-Unis avaient choisi de s’abstenir lors d’un précédent cas, concernant le Soudan, mais on imagine mal une telle attitude dans un dossier où ils jouent un rôle de premier plan. Ce serait pour eux reconnaître implicitement la CPI. Deuxièmement, il faudrait que le Conseil de sécurité requalifie le crime, afin qu’il entre dans le cadre de la compétence de la Cour. Une éventualité envisagée par certains, mais que Aïda Azar estime très peu fondée juridiquement. Plusieurs obstacles au TPI Dans ces conditions, la vice-doyenne de l’USJ préfère écarter la solution d’un recours à la CPI. Pour autant, serait-il opportun d’envisager la création d’une juridiction spéciale ? Aïda Azar estime cette éventualité « techniquement réalisable », bien qu’elle suppose là encore une volonté politique internationale très affirmée. La formule suppose en effet aussi de franchir plusieurs obstacles. Un tribunal pénal international, composé de juges internationaux (non libanais), siégeant hors du Liban, fonctionnant suivant un règlement propre de procédure et auquel est rattaché un procureur, doit appliquer le droit international. Or, première difficulté, il n’existe pas à ce jour de convention générale sur le terrorisme, car les Nations unies ne sont pas parvenues à s’accorder sur une définition commune du concept. Impossible dans ces conditions pour un TPI d’intégrer le terrorisme à sa compétence matérielle, car, en droit pénal, il n’y a pas de crime sans loi qui le définit. Une façon de contourner le problème consisterait à se référer uniquement à une convention spécifique relative aux attentats terroristes à l’explosif, datant de décembre 1997, suggère Aïda Azar. De plus, rappelle-t-elle, les deux précédents TPI ont été créés dans des circonstances très particulières qui ne s’appliquent pas aujourd’hui au Liban : d’une part, l’absence, à l’époque, de Cour pénale internationale, d’autre part, l’état de délabrement du système judiciaire des deux pays concernés, sortant d’une guerre dévastatrice pour les institutions étatiques. Comment justifier alors la création d’un TPI, d’autant qu’il s’agit d’une opération particulièrement coûteuse, interroge la spécialiste. Étant donné ces difficultés, la création d’une nouvelle juridiction internationale ad hoc supposerait une détermination politique toute particulière. Elle n’est pas impossible dans le contexte politique international actuel : il s’agirait à la fois de souligner l’importance du dossier libanais pour la communauté internationale et de réaffirmer la priorité absolue accordée à la lutte antiterroriste, en établissant le premier TPI consacré au terrorisme. Le tribunal mixte, un bon compromis Faute de créer un tribunal pénal international, la constitution d’un tribunal mixte serait un « bon compromis », estime Aïda Azar, selon qui un précédent existe en la matière, au Sierra Leone. « Séduisante », cette formule permet de bénéficier des avantages d’un TPI, tout en évitant ses inconvénients. Un tribunal mixte serait intégré au système judiciaire libanais, il serait composé de juges locaux et internationaux, il pourrait siéger à l’étranger pour des raisons de sécurité (la solution de Chypre a été évoquée récemment) et il appliquerait le droit international, tout en faisant référence au droit libanais. Outre qu’elle estime bon d’associer la justice libanaise à un procès déterminant pour l’histoire du pays, Aïda Azar souligne que ce dernier point est intéressant dans la mesure où le code pénal libanais comporte une définition du terrorisme, contrairement au droit international. Si cette option est choisie, le Liban doit s’entendre avec les Nations unies sur la création de la juridiction ainsi que sur l’ensemble des procédures et des législations sur la base desquelles elle fondera son action. L’avantage en la matière est d’avoir la possibilité de tailler une procédure « sur mesure », en choisissant de puiser à la fois dans le droit international et/ou le droit libanais. Les conditions de jugement des étrangers devront notamment être précisées, sachant, par exemple, que les Tribunaux pénaux internationaux ont exclu jusqu’à présent le jugement par contumace. Le Liban devra également, le cas échéant, adopter une loi spécifique intégrant cette nouvelle juridiction à son système judiciaire. En attendant le choix d’une option ou d’une autre, pour l’instant, la seule juridiction compétente est la justice libanaise, rappelle Aïda Azar. Le Conseil de sécurité, à travers la résolution 1595, lui recommande simplement de tenir compte des conclusions de la commission d’enquête internationale. Sibylle RIZK

De nombreuses voix, y compris celles du président français Jacques Chirac et du député Saad Hariri, se sont élevées pour réclamer la formation d’un tribunal pénal international destiné à juger l’affaire de l’assassinat de Rafic Hariri. Certains estiment qu’il suffit de porter le dossier devant la Cour pénale internationale, tandis que d’autres refusent de délester la...