Enguerrand Quarton était mauvais élève: ce fut même un des pires cancres que son école eût connus. Il passa sa scolarité à regarder par la fenêtre et à se désennuyer : un grand artiste naquit de ces rêveries.
Le truc du petit Enguerrand, c’était d’embellir les marges; en vis-à-vis d’un abscons «pont aux ânes», il déroulait ses volutes d’encre et peuplait ses cours de personnages tantôt hilares tantôt râleurs, à la mesure des brimades professorales. Enguerrand commença en flibustier, cachant ses créations derrière un air appliqué qui n’abusait pas ses professeurs, avec la main gauche en protection d’un regard inquisiteur (se faire prendre coûtait cher; allez demander à un prof de théologie refoulant du goulot de s’intéresser à l’art!).
Le cours fini, Enguerrand effaçait ses tablettes et se promettait de ne plus recommencer. Mais la vision désespérante des déclinaisons latines et l’ennui qui lui venait à tous les coups ne tardaient pas à réveiller son sens artistique et il se mettait bientôt à gratter. Enguerrand progressait, mais sa concentration le trahissait. Un abbé scrutateur le pinça quelquefois. C’était grave: on lui promit la porte à la fin du cycle… ou du moins le paiement de la licence. Sans espoir, Enguerrand lâcha la bonde à son tempérament. Il perfectionna son trait. Son activité engloba tous les cours, ce qui le forçait à la variété (Platon n’avait pas sa place là où Averroès s’imposait).
De temps à autre, il ravissait ses condisciples d’une caricature. Elle faisait fureur, tant la finesse de son trait, alliée à un art de l’ellipse, révélait les petites misères de ses cibles. Par quel mystère fut-il remarqué par le supérieur, nul ne le sait. Peut-être simplement le supérieur était-il un homme bon, doué pour le rire et amoureux des arts? Il prit Enguerrand sous sa coupe et lui fit connaître les techniques du métier, comme il le mit en contact avec les meilleurs artisans du cru. C’est ainsi que le petit Enguerrand devint le plus grand enlumineur de son temps. C’est pourquoi je vous le dis, messieurs les proviseurs, pions, professeurs ou autres agents de sécurité scolaire: ne punissez pas l’élève qui s’ennuie et remplit un petit carré sur deux dans les marges, supportez les caricatures, tolérez les gribouillis; un grand artiste va prendre son envol!
http://www.enguerrandquarton.com/index.html
Maya GHANDOUR HERT
Veuillez vous connecter pour visualiser les résultats Enguerrand Quarton était mauvais élève: ce fut même un des pires cancres que son école eût connus. Il passa sa scolarité à regarder par la fenêtre et à se désennuyer : un grand artiste naquit de ces rêveries.
Le truc du petit Enguerrand, c’était d’embellir les marges; en vis-à-vis d’un abscons «pont aux ânes», il déroulait ses volutes d’encre et peuplait ses cours de personnages tantôt hilares tantôt râleurs, à la mesure des brimades professorales. Enguerrand commença en flibustier, cachant ses créations derrière un air appliqué qui n’abusait pas ses professeurs, avec la main gauche en protection d’un regard inquisiteur (se faire prendre coûtait cher; allez demander à un prof de théologie refoulant du goulot de s’intéresser à l’art!).
Le cours fini, Enguerrand effaçait ses tablettes et...