Spécial Le Figaro
Sans obéir à une organisation centralisée, les cellules d’el-Qaëda se parlent, se copient et se placent sous la même bannière
Les connexions mondiales de la terreur
par Arnaud DE LA GRANGE
Le feu court sur le fil étiré des longitudes. De New York à Charm el-Cheikh, en passant par Bali, el-Qaëda poursuit une progression aussi géographique qu’apocalyptique. Les communiqués disent cette mondialisation. El-Qaëda est au Levant, selon les termes du communiqué revendiquant le carnage d’avant-hier, en Occident avec la fameuse « division Europe » des Brigades Abou Hafs al-Masri, signataire des attentats de Madrid et de Londres, et en Extrême-Orient, avec ses porte-bombes de la Jamaa islamiya.
Même drapeau, donc, et mêmes méthodes qui incitent de prime abord à conclure à une direction terroriste, donnant ses instructions pour porter le fer en Grande-Bretagne comme en Égypte. Les similitudes sont frappantes. Sur ces deux théâtres, comme en d’autres lieux de jihad, on retrouve commandos-suicides, attaques coordonnées, explosions simultanées. Pourtant, la plupart des experts ne croient pas à une coordination générale des attentats.
« Il y a désormais un peu partout un vivier de gens prêts à ces actions et ils n’ont pas besoin d’instructions, explique Alain Chouet, ancien responsable de la DGSE. L’exemple a été donné, et on suit le mouvement, avec plus ou moins de bonheur, comme l’a montré la deuxième vague d’attaques à Londres. » L’effet d’imitation joue. « On copie le savoir-faire des premiers, confirme Dominique Thomas, spécialiste des mouvements islamistes (1), les modes opératoires étant par ailleurs décrits dans le détail sur Internet ou dans l’Encyclopédie du jihad, un manuel attribué à el-Qaëda. »
Responsable du département de lutte antiterroriste à l’Institut de défense et de stratégie de Singapour (2), Rohan Gunaratna estime aussi que « rien ne permet de relier directement les différentes actions. Beaucoup de cellules sont apparemment autonomes, d’autres ont des liens opérationnels. Toutes, par contre, ont une relation idéologique ». Un schéma confirmé par des hommes issus de la mouvance el-Qaëda eux-mêmes. Dans un récent entretien au quotidien arabophone publié à Londres, al-Qods al-Arabi, Abou Jandal, un ancien garde du corps de Ben Laden, déclarait : « Tous les éléments d’el-Qaëda s’activent eux-mêmes. Quiconque a l’occasion d’attaquer le fait. C’est leur décision. Et peu importe qu’ils aient prêté allégeance à Oussama Ben Laden ou pas. »
La constitution de ces cellules commence à être mieux connue. Elles se forment sur des relations de voisinage, d’amitié et non pas, au départ, d’activisme. Les futurs terroristes habitent le même quartier, fréquentent le même campus universitaire, le même club sportif. « Vous avez des jeunes qui entretiennent un même rapport de rupture avec la société. Le groupe se forme et se radicalise localement, souvent sous l’influence d’un “gourou”, explique Olivier Roy, chercheur au CNRS (3), et puis vient en général l’homme de liaison, qui a ou a eu un lien direct avec Ben Laden ou un autre chef historique. » Lui est en général un ancien d’Afghanistan. Pour les attentats de Madrid de mars 2004, il s’agit du Franco-Marocain Abdelkrim al-Medjati, tué depuis en Arabie saoudite. À Londres, on recherche toujours cette figure-clé. On a parlé d’un Pakistanais ayant quitté le Royaume-Uni avant les attentats du 7 juillet. « Car ces gens-là ne se font jamais sauter », poursuit Olivier Roy.
Le nouveau visage d’el-Qaëda, celui qu’avait en fait rêvé de façonner Ben Laden dès l’origine, serait donc celui-là : pas de structure hiérarchique, organisationnelle, mais des gens qui se connaissent, se retrouvent, se parlent au téléphone comme les enquêtes le montrent. Des hommes qui, en cas de capture ou d’élimination, peuvent être remplacés facilement. « C’est pour cela que je suis gêné quand on parle de déficience des services de renseignements, commente encore Alain Chouet. Ces terroristes ne sont pas des permanents de la violence, ce qui les rend très difficiles à repérer. »
Pour la lutte antiterroriste, le constat est lourd de conséquences. « L’image est triviale, explique un de ses acteurs, mais nous nous conduisons comme avec un couple de chats, dont nous éliminons régulièrement les chatons. Cela ne l’empêchera jamais d’avoir une nouvelle portée tous les trois mois... » Une manière de dire que l’on s’attaque aux effets et non aux causes. Que le vivier des aspirants kamikazes, du Caire à Londres, est inépuisable. Les causes, elles, seraient politiques, avec notamment la gestion catastrophique des conflits au Moyen-Orient. Et la tolérance du financement de la mouvance islamiste par de l’argent saoudien, récupéré par les réseaux internationaux de la famille des Frères musulmans.
À côté de ces cellules nées spontanément et récupérées, on trouve aussi des groupes islamistes « franchisés », qui ont leurs propres raisons de se battre, mais les intègrent dans ce combat mondialisé. Le GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat) algérien, par exemple, auteur hier d’un surprenant communiqué de félicitations à Abou Moussab al-Zarqaoui. Le lieutenant d’el-Qaëda en Irak a en effet revendiqué samedi l’enlèvement de deux diplomates algériens à Bagdad. S’ouvre donc une curieuse ère de la terreur, où, d’un front à l’autre et par l’intermédiaire d’Internet, les groupes jihadistes se motivent, se copient et se congratulent.
(1) Auteur de : Hommes d’el-Qaëda (éditions Michalon).
(2) Auteur de : El-Qaëda, au cœur du premier réseau terroriste mondial (éditions Autrement).
(3) Vient de publier La Laïcité face à l’islam (Stock).
par Arnaud DE LA GRANGE
Le feu court sur le fil étiré des longitudes. De New York à Charm el-Cheikh, en passant par Bali, el-Qaëda poursuit une progression aussi géographique qu’apocalyptique. Les communiqués disent cette mondialisation. El-Qaëda est au Levant, selon les termes du communiqué revendiquant le carnage d’avant-hier, en Occident avec la fameuse « division Europe »...
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