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Actualités - OPINION

OPINION Réflexions sur l’avenir politique du Liban

La réflexion sur l’avenir politique du Liban est empreinte d’ambiguïtés et il n’est pas facile de donner des réponses simples et toutes faites. Il est toutefois possible d’éviter les travers qui ont caractérisé les approches idéologiques qui ont cours dans ce pays : l’islamisation, le laïcisme idéologique, l’accent mis sur les conflits communautaires ou l’instrumentalisation de la démocratie du nombre. Par contre, il faudrait préciser les contours d’une approche juste, démocratique et opérationnelle. Ces contours se définissent comme suit : la reconnaissance du pluralisme libanais, les normes d’un État de droit, l’alternance démocratique et la mobilité des élites, une gouvernance opérationnelle qui aille au-delà de la logique paralysante des rapports de force, une souveraineté territoriale effective. Mais avant d’aborder les recettes en cours et le problème des solutions alternatives, il faudrait commencer par définir la nature du système politique libanais, qu’on qualifie sommairement de confessionnel sans pour autant préciser ce que cela signifie au juste. S’agit-il d’un État religieux ou d’un pluralisme socio-politique basé sur un module religieux ? Quels rapports peut-il avoir avec la culture politique musulmane, fondée sur l’absence de distinction entre le politique et le religieux ? Quelles dynamiques politiques l’ont-elles rendu possible ? Autant de questions susceptibles de nous renseigner sur la complexité des enjeux lorsqu’il s’agit de réformer le système politique libanais. Le confessionnalisme libanais est une forme « sui generis » de démocratie consociative dont le but est d’aménager les rapports entre les communautés confessionnelles sur une base égalitaire, inclusive et opérationnelle qui devrait prévenir toutes sortes de « tyrannie de la majorité » et assurer une gestion réelle de la chose publique. Ce système dans ses origines anthropologiques et historiques se propose de remédier à l’asymétrie contractuelle qui régit les rapports entre chrétiens et musulmans en pays d’islam. Il s’agit de l’unique exception au régime de « dhimmitude » qui a abouti à des formes multiples de discrimination qui vont à l’encontre de la citoyenneté, telle qu’on l’entend dans les démocraties occidentales. L’autre aspect qu’il faudrait souligner est que le confessionnalisme libanais véhicule un pluralisme protéiforme sociopolitique, culturel et linguistique dont il a permis l’expression à des niveaux multiples de choix institutionnels, culturels, éducationnels et de modes de vie. Il a rendu possible la distinction de principe entre État et société civile et, de fait, prévenu la mise en place d’un autoritarisme pareil aux systèmes politiques de la région. En outre, il faudrait souligner que ce pluralisme confessionnel – de par le clivage spécifique à la culture politique musulmane entre l’État territorial et la notion idéologique de la « oumma » – peut servir de prolongement à des politiques de puissance multiples et rendre caduque toute forme de souveraineté territoriale ; l’imbrication étroite entre conflits régionaux et locaux a été d’ailleurs une constante de la vie politique libanaise depuis la formation de l’État du Grand Liban en 1921. Les propositions de changement en cours ne sont pas forcément réformistes pour les raisons que je vais succinctement récapituler avant de proposer des éléments éventuels de réforme. L’islamisation est loin d’être l’issue, parce qu’elle nous ramène à une logique de domination de type religieux à laquelle le système actuel est venu remédier. Quant au laïcisme idéologique, il a perdu sa pertinence pour avoir méconnu les enjeux multiples du pluralisme confessionnel libanais, et proposé un contre-modèle idéologique fondé sur des schémas de nivellement religieux, culturel et idéologique, et d’étatisme diffus qui remet en question les distinctions entre l’État et la société civile ainsi que le régime des droits et libertés qui lui était associé. L’insistance sur la démocratie du nombre n’est que le revers de stratégies multiples de domination, plutôt que l’expression d’une volonté de réforme en vue d’une meilleure performance de la démocratie libanaise. Il faudrait enfin mentionner le point de vue de certains modernisateurs qui font fi des données historiques et contextuelles, et se fient uniquement à leurs sensibilités et à leurs registres d’interprétation. Une perspective de réformes concrètes devrait se baser sur des faits et des principes dûment vérifiés et délibérément consentis par les parties concernées, loin de tout diktat idéologique et de tout volontarisme politique évoluant dans le vide ou induit par des ressentiments. Ces principes peuvent être définis comme suit : – Il faudrait reconnaître la légitimité historique du confessionnalisme libanais, sa contribution à la formation de l’entité nationale, ainsi qu’à la modernisation et la libéralisation politique et culturelle du pays ; mais il ne faudrait pas omettre le fait qu’il a été utilisé à des fins sectaires qui ont profondément nui à l’évolution de la démocratie libanaise. – La normalisation au Moyen-Orient, grâce à une solution négociée des conflits et à l’avènement d’une ère de réformes démocratiques sérieuses et généralisées, serait pour beaucoup dans la dépolarisation intercommunautaire. Le phénomène Ben Laden n’a pas de quoi rassurer les chrétiens ou impulser la sécularisation de la vie politique et sociale au Liban et au Moyen-Orient. – L’État devrait se baser sur la notion d’objectivité de principe qui l’aiderait à se doter d’une autonomie institutionnelle et juridique qui s’imposerait aux acteurs préétatiques moyennant une plate-forme citoyenne égalitaire, inclusive et créatrice d’allégeance. L’État devrait également se moduler sur la base d’un paradigme procédural qui garantisse sa neutralité vis-à-vis des systèmes de croyances religieuse, philosophique ou morale et protège le droit des citoyens à vivre leurs convictions en dehors de toute contrainte idéologique, quelle qu’elle soit. – La notion de droit collectif – garant des droits communautaires et garde-fou contre les stratégies de domination de groupes – porte partiellement atteinte aux droits individuels et impose des restrictions aux libertés individuelles. Il faudrait effectuer les amendements juridiques nécessaires afin d’éliminer les incompatibilités entre les deux notions sur la base d’un ordre juridique basé sur la Charte universelle des droits de l’homme qui est l’ultime garant de la compatibilité des droits collectifs avec les droits individuels. La question du mariage civil sélectif et le droit de changer de religion chez les musulmans illustrent parfaitement cette problématique. – La nécessité de mettre au point un système de représentation basé sur une loi électorale paritaire sur le plan confessionnel et qui fasse ressortir toutes les tendances politiques (proportionnelle ou majoritaire avec petites circonscriptions) en vue de parer à toutes les velléités d’usurpation et de domination. L’assainissement du système électoral est un élément essentiel dans une stratégie de dépolarisation intercommunautaire et de promotion de l’alternance démocratique et de la mobilité des élites. – Une éthique de gouvernance intransigeante sur les principes de l’État de droit, du professionnalisme, de la bureaucratie étatique et de l’intégrité éthique des serviteurs de la République. La parité des quotas dans la fonction publique devrait être appliquée de manière flexible et en conformité parfaite avec les critères de performance professionnelle. – Une adhésion de principe à la souveraineté territoriale chez les musulmans et une approche prudente et complexe des réalités régionales chez les chrétiens devraient endiguer la dynamique des emboîtements conflictuels si particulière à cette région du monde. – L’émergence d’un patriotisme libanais aux marqueurs multiples, syncrétiste et ancré dans des principes constitutionnels fondateurs, est de nature à promouvoir les bases d’une citoyenneté intégrée, monochrome soit-elle ou différenciée. – La reconnaissance du pluralisme libanais s’accommode de formules fédérales et consociatives multiples qu’il ne faudrait pas écarter à des fins opérationnelles et d’équité à la fois. Cette récapitulation que je viens d’effectuer a pour finalité de définir les éléments d’une problématique complexe et qui est loin de s’accommoder de schémas idéologiques réducteurs ou de volontarisme politique décontextualisé. Le réalisme, une connaissance profonde des dossiers, la sagesse dans l’action et une volonté sérieuse de réforme ne sont pas les moindres vertus dans un contexte pareil au nôtre. Charles CHARTOUNI Professeur de sociologie et de sciences politiques, Université libanaise ; chercheur au « Department of Government and Politics », Université de Georgetown

La réflexion sur l’avenir politique du Liban est empreinte d’ambiguïtés et il n’est pas facile de donner des réponses simples et toutes faites. Il est toutefois possible d’éviter les travers qui ont caractérisé les approches idéologiques qui ont cours dans ce pays : l’islamisation, le laïcisme idéologique, l’accent mis sur les conflits communautaires ou l’instrumentalisation de la démocratie du nombre. Par contre, il faudrait préciser les contours d’une approche juste, démocratique et opérationnelle. Ces contours se définissent comme suit : la reconnaissance du pluralisme libanais, les normes d’un État de droit, l’alternance démocratique et la mobilité des élites, une gouvernance opérationnelle qui aille au-delà de la logique paralysante des rapports de force, une souveraineté territoriale...