La distance qui sépare Samir Geagea de la liberté est subitement devenue très courte avec l’adoption, hier place de l’Étoile, de la loi d’amnistie en faveur du chef des Forces libanaises détenu depuis onze ans et trois mois à Yarzé. Pour les détenus dans les affaires de Denniyé et de Majdel Anjar, le rendez-vous avec la liberté ne doit plus tarder non plus, eux aussi ayant été amnistiés au cours de la séance législative qui a immédiatement suivi la réunion consacrée à l’élection des commissions parlementaires. Dans le cas de M. Geagea, l’amnistie a été votée, à main levée, à l’unanimité des députés présents, soit plus d’une centaine, alors que le député du CPL, Sélim Aoun, a voté contre l’amnistie pour les détenus de Denniyé et de Majdel Anjar. Quant aux députés du Hezbollah, du...
Actualités - CHRONOLOGIE
PARLEMENT - Le Conseil constitutionnel empêché de trancher les recours en invalidation Pour Geagea, un calvaire qui a duré onze ans est sur le point de s’achever
Par ABOU RIZK Tilda, le 19 juillet 2005 à 00h00
La distance qui sépare Samir Geagea de la liberté est subitement devenue très courte avec l’adoption, hier place de l’Étoile, de la loi d’amnistie en faveur du chef des Forces libanaises détenu depuis onze ans et trois mois à Yarzé. Pour les détenus dans les affaires de Denniyé et de Majdel Anjar, le rendez-vous avec la liberté ne doit plus tarder non plus, eux aussi ayant été amnistiés au cours de la séance législative qui a immédiatement suivi la réunion consacrée à l’élection des commissions parlementaires. Dans le cas de M. Geagea, l’amnistie a été votée, à main levée, à l’unanimité des députés présents, soit plus d’une centaine, alors que le député du CPL, Sélim Aoun, a voté contre l’amnistie pour les détenus de Denniyé et de Majdel Anjar. Quant aux députés du Hezbollah, du PSNS et du Baas, ils se sont empressés pour la plupart de quitter l’hémicycle, dès que le président de la Chambre, Nabih Berry, a annoncé l’examen des propositions d’amnistie qui ont besoin, comme on le sait, de la signature du chef de l’État pour entrer en vigueur. Séance politique, séance juridique par excellence place de l’Étoile où deux autres sujets ont été également examinés par les députés : l’aptitude du Conseil constitutionnel à se prononcer sur les recours en invalidation des résultats des élections législatives du moment que deux de ses membres n’ont pas été nommés par le Conseil des ministres, et l’examen du rapport d’enquête parlementaire sur l’opportunité de déférer l’ancien ministre du Pétrole, Chahé Barsoumian, soupçonné de dilapidation de fonds publics dans l’affaire de la vente de pétrole brut sous le label résidus pétroliers, devant le comité chargé de juger les présidents, les chefs de gouvernement et les ministres.
Les deux textes sur l’amnisitie sont passés comme une lettre à la poste. M. Berry soumet au vote en premier celui qui concerne les détenus dans les affaires de Denniyé et de Majdel Anjar. Selon des sources parlementaires, les parrains de ce texte ont insisté pour qu’il soit examiné avant l’amnistie en faveur de Geagea, par peur d’un défaut de quorum.
Les membres du bloc du Hezbollah, à l’exception de Nader Succar, le député du Baas, Kassem Hachem, celui du PSNS, Assaad Hardane, ainsi que Oussama Saad, député de Saïda, s’empressent de sortir. M. Marwan Farès (PSNS) les suit avec un peu de retard, mais M. Berry l’interpelle et lui demande de rester. Le parlementaire obtempère. Le président de la Chambre n’avait pas réagi pour retenir les autres.
Un message à Washington
L’initiative du Hezbollah, du Baas et du PSNS n’est pas dirigée contre Geagea, indique-t-on de mêmes sources, et doit être interprétée comme une prise de position contre le fondamentalisme sunnite. En sortant de l’hémicycle, le Hezbollah adresse indirectement à Washington, hostile à la libération des détenus de Majdel Anjar, un message selon lequel il ne cautionne pas le fondamentalisme sunnite, surtout s’il est impliqué dans des activités terroristes. C’est le même message que Damas adresse aux États-Unis à travers la prise de position des députés du Baas et du PSNS, selon les sources, qui établissent un lien avec l’annonce faite par les Syriens de l’arrestation de terroristes à la frontière avec le Liban, il y a une dizaine de jours.
Quoi qu’il en soit, Nicolas Fattouche plaide d’emblée en faveur d’un vote du texte, estimant que ces personnes arrêtées depuis cinq ans « paient le prix d’une injustice qui n’a que trop duré parce que des faits leur ont été attribués à tort », dit-il. Pour Ghazi Zeayter, une occasion en or se présente. Dans la foulée, le député de la Békaa avait soumis à la Chambre une autre proposition d’amnistie qu’il espérait pouvoir faire passer au nom de la légitime égalité des Libanais devant la loi. Sauf que l’ahurissante proposition de Zeayter, qui englobe Geagea ainsi que les détenus de Denniyé et de Majdel Anjar, prévoit aussi une amnistie générale en faveur de 33 000 trafiquants de drogue et autres prisonniers de droit commun. S’il fallait suivre le raisonnement qu’il avait développé avec une ardeur phénoménale, Abou Mahjan, le célèbre terroriste condamné à mort par contumace, aurait été amnistié sur-le-champ. Diplomate, M. Robert Ghanem propose que le texte soit soumis pour examen à la commission de l’Administration et de la Justice. Scandalisé, M. Boutros Harb s’écrie : « Est-il possible qu’à sa première réunion législative, la Chambre réclame une amnistie en faveur des trafiquants de drogue et des corrompus ? » L’affaire est close au grand dam du député qui s’empresse de quitter l’hémicycle. Sélim Aoun, député de Zahlé, exprime son opposition au texte relatif aux détenus de Denniyé et de Majdel Anjar, voté à main levée.
« La fin d’une justice
sélective »
La proposition d’amnistie en faveur de M. Geagea est ensuite examinée. C’est au tour de M. Akram Chéhayeb de prendre la parole pour rappeler que cette initiative s’articule autour de trois axes : la liberté, la réconciliation nationale et la fermeture de la page du passé. « Cette amnistie représente une poursuite sérieuse et fondamentale de la réconciliation. Nous espérons qu’elle constituera la fin d’une justice sélective dont nous avons tous enduré », dit-il. Hassan Yaacoub, du bloc Skaff, souligne la nécessité de déterminer les affaires soumises à la Cour de justice et amnistiées pour éviter que des dossiers comme la disparition de l’imam Moussa Sadr et de ses deux compagnons, dont son père Mohammed Yaacoub, ne soient englobés par l’amnistie. Sa remarque, jugée judicieuse par M. Berry, est consignée dans le procès-verbal de la séance. Pour Élie Aoun, il est impératif de préciser dans le texte que les personnes amnistiées doivent bénéficier d’une « réhabilitation » morale. Le texte est voté tout de suite à main levée. Impossible de compter le nombre de personnes qui se prononcent pour l’amnistie. Si Sethrida Geagea reste impassible, retenant son émotion et se contentant d’applaudir comme tous ses autres collègues, c’est son collègue, Georges Adwan, qui n’arrive pas à contenir sa joie. Il bondit, bousculant au passage son voisin, tellement il est impatient de se rendre à Yarzé pour annoncer la bonne nouvelle au chef des FL.
M. Berry le prie de rester. La séance n’est pas terminée. À l’ordre du jour, une proposition de loi présentée par Robert Ghanem prévoyant un report de l’examen des recours en annulation des résultats des élections, présentés au Conseil constitutionnel. L’argumentation, développée notamment par les députés des blocs Hariri et Joumblatt, est la suivante : le Conseil ne peut pas trancher au sujet des recours qui lui sont présentés du moment que sa composition n’a pas été complétée. Le Parlement a déjà élu trois de ses membres, mais le Conseil des ministres n’a toujours pas nommé les deux autres. « Le mandat du Conseil a été illégalement prorogé et le gouvernement doit toujours nommer deux de ses membres. Nous souhaitons que l’examen des recours soit reporté jusqu’à ce que la composition de cet organisme soit complétée », explique Ghanem, mais Boutros Harb n’est pas du même avis et estime qu’« en dépit du danger que cela peut représenter, le Conseil constitutionnel doit pouvoir poursuivre son action parce qu’il est inutile d’attendre ». Selon lui, un report est inutile car l’élection d’un nouveau Conseil constitutionnel ne sera pas différente de celle de l’ancien Conseil.
« Avec tout le respect que je dois à mon collègue, je dois dire que le Conseil constitutionnel n’est pas habilité à prendre des décisions. Les trois membres élus par le Parlement n’ont pas prêté serment et ne peuvent le faire que lorsque le gouvernement nommera deux autres membres », réplique Marwan Hamadé. Son point de vue est partagé en quelque sorte par Edmond Naïm qui estime que, dans ce cas précis, le principe selon lequel « le pouvoir est une continuité » ne s’applique pas. Naïm reproche au gouvernement une négligence qui est à l’origine du dilemme actuel. Le point de vue du cabinet est requis : « Comme le gouvernement est démissionnaire, il ne peut pas prendre une position qui peut engager des responsabilités devant le Parlement. » Le débat est clos. La proposition de loi obtient la majorité parlementaire au moment du vote. En pratique, cela signifie que même si le Conseil constitutionnel examine les recours qui lui sont présentés, il ne pourra pas prononcer de verdict.
L’examen de l’affaire Barsoumian ne prend pas beaucoup de temps. Il s’agit d’examiner le rapport de la commission parlementaire d’enquête, qui fait état d’insuffisance de preuves pour juger l’ancien ministre du Pétrole devant la Haute Cour. Harb et d’autres députés réclament, contre l’avis de plusieurs de leurs collègues, un report pour que les nouveaux parlementaires puissent étudier le document de 20 pages. Ils obtiennent gain de cause au grand dam de Barsoumian qui assistait à la séance, en compagnie de son avocat, à partir des bancs réservés aux journalistes et aux invités. Il tente d’intervenir, mais Berry l’en empêche.
La réunion est levée peu après 13h. Pressés de questions par les correspondants des médias télévisés, nombreux sont les députés qui se félicitent d’une injustice levée, en évoquant les amnisties. Il ne s’est pas trouvé un seul pour évoquer, ne serait-ce que pour la forme, durant la réunion législative ou sur le perron du Parlement, une autre injustice : celle des Libanais qui continuent de croupir arbitrairement dans les prisons syriennes. Cinq cents mètres plus loin, devant l’immeuble de l’Escwa, leurs parents attendent un dénouement heureux qui tarde à venir.
Tilda ABOU RIZK
La distance qui sépare Samir Geagea de la liberté est subitement devenue très courte avec l’adoption, hier place de l’Étoile, de la loi d’amnistie en faveur du chef des Forces libanaises détenu depuis onze ans et trois mois à Yarzé. Pour les détenus dans les affaires de Denniyé et de Majdel Anjar, le rendez-vous avec la liberté ne doit plus tarder non plus, eux aussi ayant été amnistiés au cours de la séance législative qui a immédiatement suivi la réunion consacrée à l’élection des commissions parlementaires. Dans le cas de M. Geagea, l’amnistie a été votée, à main levée, à l’unanimité des députés présents, soit plus d’une centaine, alors que le député du CPL, Sélim Aoun, a voté contre l’amnistie pour les détenus de Denniyé et de Majdel Anjar. Quant aux députés du Hezbollah, du...