Afin de cimenter un melting-pot hétérogène autour de convictions communes, les États-Unis ont développé une sorte de « religion civile », mélange...
Actualités - CHRONOLOGIE
Sébastien Fath, chercheur au CNRS, à l’Institut d’histoire de l’Usek États-Unis : vers une « religion civile » revisitée
Par SEMAAN MARIAM, le 28 juin 2005 à 00h00
Dans le cadre du cycle de conférences proposées par l’Institut d’histoire de l’Usek, M. Sébastien Fath, chercheur au CNRS, a magistralement traité mercredi dernier d’un thème d’actualité : « Religion et politique aux États-Unis : un nouveau messianisme ». À l’initiative de M. Dominique Avon, le chercheur a développé la notion typiquement américaine de « religion civile », au cœur de laquelle se trouve le concept de messianisme. Cette religion générique, qui sacralise l’identité communautaire, s’est développée avec le temps, et il semblerait que sous l’impulsion du président George W. Bush, elle soit sur le point de prendre un nouveau tournant.
Afin de cimenter un melting-pot hétérogène autour de convictions communes, les États-Unis ont développé une sorte de « religion civile », mélange de conviction, qui s’apparente à la foi, d’idéalisme et de patriotisme extrême. Cette religion atypique, qui a pour objet l’identité communautaire, a cinq caractéristiques : la référence à l’héritage WASP (White anglo-saxon protestant) des pères fondateurs, l’accent sur la foi et la prière (quelle que soit la religion choisie car il n’y a évidemment pas de religion d’État aux États-Unis), l’individualisme, l’optimisme et la notion essentielle de messianisme. En permanente évolution, elle suit les changements de la société et se recompose graduellement, sans jamais être l’expression d’une famille religieuse particulière. Au cours de son histoire, elle a cependant été marquée par certaines orientations préférentielles, directement liées aux équipes au pouvoir et aux puissants lobbies.
Destinée à unir une nation religieusement plurielle dans les moments difficiles, elle a été particulièrement mise à l’épreuve à la suite de la Première Guerre mondiale, avec le président Wilson, et, plus récemment, après les attentats du 11/9, avec le président George W. Bush.
La « religion civile »
au fil du temps
Entre 1919 et la fin des années 50, sous la présidence de Wilson, elle subit l’influence des églises « mainline », c’est-à-dire les églises anciennement établies (presbytérienne, épiscopalienne, méthodiste…) : optimisme, humanisme et principe d’autolimitation fondé sur un Dieu transcendant.
Des années 60 à la fin du XXe siècle, les églises « mainline » sont marginalisées au profit des églises évangéliques, sorte de protestantisme héritier des courants en marge des religions établies. Protestantisme marqué par la tradition des « revivals » ou « nouvelle naissance », c’est-à-dire la réorientation radicale de la vie suite à une expérience religieuse singulière. Les « born again christian » sont particulièrement pieux, ce qui donne à la religion civile de cette époque une tournure plus moralisatrice. Avec George W.Bush, qui, depuis sa rencontre avec le prédicateur Billy Graham, se présente comme étant évangélique, l’Amérique se situe dans le même axe.
Le président des États-Unis considère en effet son engagement présidentiel comme une vocation divine, et d’ailleurs, son élection ainsi que sa réélection sont en grande partie dues à un électorat évangélique.
Un air de changement ?
Mais pour Sébastien Fath, « certains indicateurs invitent à faire l’hypothèse que, en ce début du XXIe siècle, on est en train de passer, avec le président Bush, à une nouvelle phase de la religion civile américaine ». Pour le chercheur, le président paraît s’engager dans une « version inédite » de la religion civile, marquée par un nationalisme extrême et une supériorité unipolaire des États-Unis.
La notion de messianisme, si chère aux peuples d’outre-Atlantique, est au cœur de ce changement : elle peut être définie comme la conviction que l’Amérique serait porteuse d’une mission éminente à l’égard du monde.
À l’époque du président Wilson, elle se caractérisait par un idéalisme universaliste hostile au nationalisme et doublé d’un principe d’autolimitation qui dissociait l’Amérique du Divin.
Aujourd’hui, avec le président Bush, idéalisme et nationalisme vont de pair, et on est loin du principe du multilatéralisme prôné par Wilson. « L’impérium des États-Unis se manifeste partout », affirme M. Fath : du refus de reconnaître le rôle de l’Onu et de la CPI, à la dénonciation du Protocole de Kyoto, en passant par la remise en cause du traité antiballistique ABM… « Quant à la notion d’autolimitation, elle semble disparaître au profit d’un remodelage du XXIe siècle en “siècle américain”, basé essentiellement sur les intérêts US : ce qui est bon pour les États-Unis est bon pour le monde. »
Une troisième phase de la religion civile, plus sécularisée, où la divinité serait l’Amérique elle-même, semble ainsi se profiler à l’horizon. « Comme si la société américaine devenait son propre absolu », explique M. Fath. Et George Bush, en chef d’orchestre, mobilise à son profit ce nouveau concept, malgré l’opposition de nombreux religieux, comme, entre autres, à son projet de guerre préventive.
La notion de messianisme, éloignée de ses racines judéo-chrétiennes, se sécularise, adopte un style à l’américaine. Ainsi, par exemple, la production cinématographique américaine, avec des films comme Deep Impact, exaltant la superpuissance US, est un formidable moyen de communication au profit de ce nouveau messianisme « politique ».
Le paradoxe
de George W. Bush…
Mais pour le chercheur, ce basculement progressif « n’est pas inexorable ». « La foi chrétienne de George Bush pourrait même constituer elle- même un garde-fou, car le président croit fermement en l’utopie d’un Dieu transcendant à laquelle l’Amérique, comme les autres, doit se soumettre. Il s’agit malgré tout d’une forme d’autolimitation . »
Et de conclure sur un paradoxe : « Jamais un président (George W. Bush) n’a affiché sa foi protestante régénérée avec autant de zèle publicitaire. Pourtant, jamais la religion civile qu’il orchestre n’aura à ce point été dissociée du christianisme : élu grâce aux voix des pratiquants de toutes religions, il est pourtant porteur d’un projet qui entre en conflit, à bien des égards, avec le discours des églises… »
Mariam SEMAAN
Dans le cadre du cycle de conférences proposées par l’Institut d’histoire de l’Usek, M. Sébastien Fath, chercheur au CNRS, a magistralement traité mercredi dernier d’un thème d’actualité : « Religion et politique aux États-Unis : un nouveau messianisme ». À l’initiative de M. Dominique Avon, le chercheur a développé la notion typiquement américaine de « religion civile », au cœur de laquelle se trouve le concept de messianisme. Cette religion générique, qui sacralise l’identité communautaire, s’est développée avec le temps, et il semblerait que sous l’impulsion du président George W. Bush, elle soit sur le point de prendre un nouveau tournant.
Afin de cimenter un melting-pot hétérogène autour de convictions communes, les États-Unis ont développé une sorte de « religion civile », mélange...
Afin de cimenter un melting-pot hétérogène autour de convictions communes, les États-Unis ont développé une sorte de « religion civile », mélange...
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