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Actualités - OPINION

commentaire - Le point de vue de l’ancien secrétaire d’État adjoint aux Finances sous la présidence de Bill Clinton L’Europe au défi du néolibéralisme

par J. Bradford DeLong* Pendant plus de vingt ans, j’ai soutenu que les forts taux de chômage d’Europe occidentale ne pouvaient persister. À la fin des années 1970, les monétaristes avaient fait le pari que seule une augmentation modeste et transitoire du chômage pouvait contenir l’inflation rampante – et ouverte – de l’Occident industriel, et qu’avec le recul, le coût du retour à la stabilité des prix effective en aurait valu la peine. En Grande-Bretagne et aux États-Unis, ce pari monétariste a connu une fin heureuse. Pas en Europe occidentale. Au cours des 25 dernières années, le chômage européen a augmenté à mesure que la politique monétaire se tendait et que les taux d’intérêt étaient relevés pour combattre l’inflation. Mais lorsque l’inflation a succombé, le chômage n’a pas baissé, ou presque pas. Si le nombre de personnes sans emploi n’a quand même pas atteint les niveaux de la grande dépression, il est resté assez haut pour faire du chômage à long terme, ou de la crainte du chômage à long terme, une expérience choquante. Les gouvernements des sociétés dans lesquelles le taux de chômage officiel reste à 10 % ou plus depuis plusieurs générations ont une mauvaise gestion économique. En conséquence, il m’a semblé pendant 20 ans que l’équilibre sous-jacent de la politique en Europe occidentale – négociations collectives et assurance sociale généreuse, d’un côté, et politiques monétaires serrées de l’autre – était condamné à se fissurer. Les décideurs européens semblent paralysés par une double peur. Les banquiers centraux de l’Europe craignent que leurs maîtres politiques ne leur commandent de relâcher leur politique monétaire, que les réformes structurelles nécessaires pour libérer l’offre agrégée ne soient pas accordées et qu’il en résulte un retour à l’inflation des années 1970. En bref, ils craignent que tous les sacrifices entrepris pour stabiliser les prix n’aient été vains. Les hommes politiques d’Europe occidentale, pour leur part, craignent l’effet inverse. Ils s’inquiètent à l’idée que même après avoir entrepris des réformes structurelles visant à réduire l’attrait de l’assurance chômage et à motiver les travailleurs pour qu’ils aillent vers les entreprises, et les entreprises vers les travailleurs, les banquiers centraux ne continuent à insister pour resserrer les cordons de la bourse. En bref, ils craignent que sans augmentation de la production ou de l’emploi, l’effet net ne soit simplement qu’une augmentation de la pauvreté. Naturellement, ces craintes s’accompagnent de l’espoir que les réformes structurelles et l’expansion monétaire travaillent en harmonie, provoquant un essor de l’emploi et de la production sans provoquer d’augmentation conséquente de l’inflation. Mais la réalité, c’est qu’aucune démarche vers le relâchement des politiques monétaires n’a été mise en place, surtout avec la Banque centrale européenne débutante, soucieuse d’asseoir sa crédibilité dans la lutte contre l’inflation – et que les tentatives de réformes structurelles sont hésitantes, réduites et entreprises sans enthousiasme. Je me suis fourvoyé pendant 20 ans : les régimes d’Europe occidentale sont restés stables malgré l’exclusion d’une vaste proportion de citoyens d’une réelle participation dans la vie économique. La croissance des économies des pays d’Europe de l’Ouest s’est poursuivie, malgré le lourd fardeau des 10 % de chômeurs, mais pas aussi rapidement qu’elle l’aurait pu. Aujourd’hui, on dirait que j’ai enfin raison, si ce n’est de paniquer, du moins de m’inquiéter. Les Français ont rejeté la Constitution européenne, avant tout (du moins selon les apparences) parce qu’une plus grande intégration européenne, craignait-on, entraînerait dans son sillage les énormes coûts et les perturbations du néolibéralisme. C’est une chose de soutenir le « projet européen » quand il s’agit de lier l’Allemagne et la France si étroitement que plus personne n’estimera utile de faire la guerre pour déterminer quelle langue doit être parlée en Alsace-Lorraine. C’en est une autre quand le projet européen signifie que les travailleurs français devront affronter la concurrence des plombiers polonais, des fermiers roumains et des vendeurs turcs. En Allemagne, les électeurs semblent sur le point d’éjecter le chancelier Gerhard Schröder, car son allégeance tiède au projet néolibéral leur déplaît. Le problème, c’est qu’ils risquent de se retrouver gouvernés pendant quatre ans par Angela Merkel, une femme presque aussi attachée au projet néolibéral que moi. Je crois que l’Allemagne s’en sortirait mieux, dans dix ans, avec davantage de politiques néolibérales. Mais cela ne semble pas correspondre au désir de l’électorat allemand, ce qui rend absolument imprévisible l’aspect de la politique allemande d’ici à quatre ans. Il faut compter en outre avec le mécontentement de l’Europe du Nord à l’égard des banquiers centraux, particulièrement de la BCE et de l’euro. Non que la fin de l’Union monétaire européenne soit décidée, mais c’est simplement que certains ont commencé à envisager un futur sombre où la fin de l’UEM serait mise au programme. Ce qui est suffisant pour faire trembler les prix d’actifs partout dans le monde. Les réussites de l’Europe occidentale depuis la Seconde Guerre mondiale figurent parmi les plus impressionnants et les plus encourageants succès de l’histoire du monde. Chacun devrait souhaiter que l’Europe unie d’aujourd’hui bâtisse sur ces réussites, plutôt que de voir des générations de fort taux de chômage les mettre en danger. Pour cela, l’attitude de la BCE va devoir changer. L’Europe a besoin d’une politique monétaire considérant que la baisse du taux de chômage en Europe du Nord est plus importante que la stabilité des prix du continent. Le Sud et l’Est de l’Europe connaîtront l’inflation, c’est incontournable, car à mesure que les régions se développent et s’industrialisent, les termes de l’échange s’améliorent, et sous l’égide d’une union monétaire, l’inflation régionale peut constituer une étape à franchir. La BCE ne devrait pas essayer d’équilibrer l’inflation dans le Sud et l’Est avec la déflation du Nord pour atteindre des cibles artificielles à l’échelle du continent entier. * J. Bradford DeLong enseigne l’économie à l’Université de Californie à Berkeley et a été secrétaire d’État adjoint aux Finances sous la présidence de Bill Clinton. © Project Syndicate, 2005. Traduit de l’anglais par Bérengère Viennot.
par J. Bradford DeLong*

Pendant plus de vingt ans, j’ai soutenu que les forts taux de chômage d’Europe occidentale ne pouvaient persister. À la fin des années 1970, les monétaristes avaient fait le pari que seule une augmentation modeste et transitoire du chômage pouvait contenir l’inflation rampante – et ouverte – de l’Occident industriel, et qu’avec le recul, le coût du retour à la stabilité des prix effective en aurait valu la peine. En Grande-Bretagne et aux États-Unis, ce pari monétariste a connu une fin heureuse. Pas en Europe occidentale.
Au cours des 25 dernières années, le chômage européen a augmenté à mesure que la politique monétaire se tendait et que les taux d’intérêt étaient relevés pour combattre l’inflation. Mais lorsque l’inflation a succombé, le chômage n’a pas baissé,...