Qui a tué Samir Kassir ? Dies illae, dies irae. Jours noirs, jours de colère. Jours de pesante incertitude. L’assassinat de Samir Kassir est révoltant. Étonnant aussi, quelque part. Très inquiétant. En effet, s’il s’agit bien d’un acte politique, il n’a aucun sens, s’il reste isolé. Il n’en prendrait que s’il représentait une tête de série. De crimes sanglants ? Peut-être. De machinations pernicieuses, sûrement. Pour se venger, pour semer la confusion, pour empêcher l’essor d’un État de droit libanais libéré de ses chaînes. Mais surtout, sans doute, pour rendre la vie dure au nouveau tuteur, l’Américain. Et lui faire comprendre, dans un langage codé de mafiosi, qu’il lui faut relâcher la pression. Car aussi obtuse, aussi bornée que soit l’option totalitaire, elle réalise que ses jours...
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analyse - Gestation agitée pour le pouvoir naissant Une énigme et sept dossiers immédiats
Par ISSA Jean, le 08 juin 2005 à 00h00
Qui a tué Samir Kassir ? Dies illae, dies irae. Jours noirs, jours de colère. Jours de pesante incertitude. L’assassinat de Samir Kassir est révoltant. Étonnant aussi, quelque part. Très inquiétant. En effet, s’il s’agit bien d’un acte politique, il n’a aucun sens, s’il reste isolé. Il n’en prendrait que s’il représentait une tête de série. De crimes sanglants ? Peut-être. De machinations pernicieuses, sûrement. Pour se venger, pour semer la confusion, pour empêcher l’essor d’un État de droit libanais libéré de ses chaînes. Mais surtout, sans doute, pour rendre la vie dure au nouveau tuteur, l’Américain. Et lui faire comprendre, dans un langage codé de mafiosi, qu’il lui faut relâcher la pression. Car aussi obtuse, aussi bornée que soit l’option totalitaire, elle réalise que ses jours seraient comptés, et vite, si l’Amérique devait poursuivre tranquillement, sans problèmes majeurs, l’exécution de son grand projet de démocratisation du monde arabe et islamique. Il s’agirait donc de poser suffisamment d’embûches pour entraver, ou mieux encore pour faire capoter, cette expérience-prototype que Washington prétend mener ici. Et dont la finalité peut être considérée, un peu emphatiquement, sous un angle planétaire, historique, universel. Dans ce sens qu’elle viserait à entamer l’élimination systématique de tout ce qui ressemble, de près ou de loin, à un régime tyrannique. Donc, si l’on admet, comme on le fait généralement, tout à la fois que l’assassinat de Samir Kassir est de nature politique et que les commanditaires sont les mêmes que pour Rafic Hariri ou pour les attentats à la bombe du pays chrétien, cela signifie en clair que l’on vient d’assister au troisième round d’un combat. Où l’un des protagonistes cherche à gagner aux points, parce qu’il est intimement persuadé qu’en définitive, suivant la logique de l’affrontement idéologique, son adversaire voudra le mettre KO pour de bon.
Les épreuves
Pourvu que ça dure, disait la mère de Napoléon quand il était à son apogée. Pourvu que ça ne dure pas, disons-nous aujourd’hui, en nous recueillant dans la mémoire des victimes. Malheureusement, et sans vouloir jouer les oiseaux de mauvais augure, la période actuelle, avec ou sans intervention criminelle, est manifestement appelée à connaître bien des secousses. Ou, à tout le moins, des malaises prononcés.
Pour commencer, et comme presque toujours, se pose un problème des plus prosaïques : qui va être élu à la présidence de la Chambre ? Berry, après avoir raflé la mise au Sud et s’être allié aussi bien à Hariri qu’à Joumblatt ou au Hezbollah, semble extrêmement bien placé pour se succéder encore une fois à lui-même. Mais cette longévité est en soi un contresens historique et politique. Car Berry est non seulement l’un des hauts symboles du pouvoir syrien mais encore, et toujours, l’un des fidèles indéfectibles de Damas. Toute la question est de savoir si, par manque de temps autant que par habileté tactique, le nouveau décideur, l’Américain qui se montre si fort dans l’art de « ne pas intervenir » acceptera d’avaler la réélection de Berry sans piper mot. C’est possible. Mais cela n’irait quand même pas sans tiraillements. Car il est évident que beaucoup de forces locales, même parmi celles qui n’ont pas partie liée avec Aoukar, vont exiger que le mandat du président de la Chambre soit ramené à deux ans ou même à une seule année. Ou encore vont batailler ferme pour faire barrage à l’inamovible. Au nom d’une logique élémentaire de changement général.
Qui devrait entraîner ensuite, et sans doute surtout, un démantèlement du système dit sécuritaro-politique. C’est-à-dire une mise au pas des services de renseignements militaires, de la Sûreté générale, de la sécurité de l’État, de la police judiciaire, des services d’écoute, de la garde républicaine. Et de leurs innombrables nids dans toutes les administrations, dans la justice, dans la diplomatie, dans les organismes de contrôle comme parmi les politiciens ou parmi les soi-disant sages du Conseil constitutionnel. « Vaste programme, mon ami, » lançait de Gaulle à un ministre qu’il avait entendu, par hasard, s’exclamer « mort aux vaches ». La vache à lait n’est pas facile à tuer ici, tant elle a nourri de gens. On trouve ainsi, parmi ceux qui jouent aujourd’hui aux matadors, des gens qui ont largement profité des caisses noires, des conseils bidons, du casino, du fuel, des carrières, du clientélisme politique. Et qui éviteront sans doute de se montrer trop cruels envers des services, qui non seulement leur ont rendu tant de services mais risquent de les entraîner dans leur chute. En les dénonçant.
Comme Émile Lahoud menace ouvertement de le faire, au sujet d’anciens partenaires de pouvoir, s’ils continuent à vouloir le déloger. Il s’accroche donc. Et il y a là un danger évident de crise institutionnelle et de déstabilisation. Car s’il s’entête, il faudra bien un jour ou l’autre faire marcher la rue contre lui. Sinon par des manifs, du moins par des grèves dont le pays se passerait volontiers.
Car il est exsangue. Or, il doit rembourser l’an prochain, en principe, 24 milliards de dollars sur les 36 qu’il doit. Donc, le prochain gouvernement et le prochain Parlement n’auront pas de priorité plus urgente à traiter que le redressement économique. Là aussi, troubles en vue. Parce que les opposants qui vont prendre le pouvoir sont profondément divisés sur la marche à suivre.
Tout comme ils le sont au sujet du Hezbollah. Les alliés directs de cette formation, Amal en tête, refusent qu’elle soit désarmée. D’autres, beaucoup d’autres, pensent qu’elle doit soit livrer son arsenal, soit intégrer ses militants à l’armée. Le débat risque de se durcir à tout moment. Parce qu’il s’articule déjà autour d’un thème dangereux : avec ou contre la 1559. Avec ou contre le nouveau tuteur américain.
Avec tout cela, il semble évident que les promesses d’élaboration rapide d’une nouvelle loi électorale, faites à chaud, ne pourront pas être tenues. Techniquement, il faudra plus d’un an, toutes autres affaires cessantes (ce qui n’est pas possible) pour rédiger un texte admissible par tous. On peut gager que les nouveaux députés ne se hâteront que lentement. Car, une fois qu’il y a une nouvelle loi, cette nouvelle Chambre, qui se considère elle-même comme transitoire, devrait être dissoute.
Après avoir amnistié Samir Geagea. Ce qui risque aussi de provoquer des remous. Car on veut lier son cas à celui des gens de Denniyé et d’autres présumés terroristes. Ce que l’Américain, de plus en plus puissant ici, verrait sans doute d’un mauvais œil.
Jean ISSA
Qui a tué Samir Kassir ? Dies illae, dies irae. Jours noirs, jours de colère. Jours de pesante incertitude. L’assassinat de Samir Kassir est révoltant. Étonnant aussi, quelque part. Très inquiétant. En effet, s’il s’agit bien d’un acte politique, il n’a aucun sens, s’il reste isolé. Il n’en prendrait que s’il représentait une tête de série. De crimes sanglants ? Peut-être. De machinations pernicieuses, sûrement. Pour se venger, pour semer la confusion, pour empêcher l’essor d’un État de droit libanais libéré de ses chaînes. Mais surtout, sans doute, pour rendre la vie dure au nouveau tuteur, l’Américain. Et lui faire comprendre, dans un langage codé de mafiosi, qu’il lui faut relâcher la pression. Car aussi obtuse, aussi bornée que soit l’option totalitaire, elle réalise que ses jours...