Trois handicaps majeurs freinent le développement au Liban: la crise économique, la fragmentation de la société et le chaos urbain qui s’est illustré avec éclat, durant les trois dernières décennies, sur 350 km2, notamment dans des zones agricoles et forestières, et des domaines maritimes publics. Plus de 64% de ces espaces urbanisés n’ont pas été soumis à des schémas directeurs et, en conséquence, des bourgs entiers connaissent des manques au niveau de l’infrastructure et des services. Pour endiguer les dégâts et programmer à long et moyen terme l’ensemble des équipements économiques ou techniques du pays, le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR) s’est penché, entre 2002 et 2004, sur l’élaboration d’un «schéma directeur de l’aménagement du territoire». Axée...
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DÉVELOPPEMENT - Le schéma directeur de l’aménagement du territoire expliqué aux étudiants des universités Le laxisme de la loi sur la construction bloque la bonne urbanisation du Liban (photo)
Par MAKAREM May, le 30 mai 2005 à 00h00
Trois handicaps majeurs freinent le développement au Liban: la crise économique, la fragmentation de la société et le chaos urbain qui s’est illustré avec éclat, durant les trois dernières décennies, sur 350 km2, notamment dans des zones agricoles et forestières, et des domaines maritimes publics. Plus de 64% de ces espaces urbanisés n’ont pas été soumis à des schémas directeurs et, en conséquence, des bourgs entiers connaissent des manques au niveau de l’infrastructure et des services. Pour endiguer les dégâts et programmer à long et moyen terme l’ensemble des équipements économiques ou techniques du pays, le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR) s’est penché, entre 2002 et 2004, sur l’élaboration d’un «schéma directeur de l’aménagement du territoire». Axée principalement sur l’unification du territoire (par le biais d’un réseau routier ciblé), le développement équilibré des régions, l’exploitation optimale et durable des ressources, l’étude est actuellement l’objet d’une série de présentations dans les universités du Liban.
Construit sur le principe d’un «centrage» de la population et de ses activités, le schéma directeur de l’aménagement du territoire donne la priorité au développement économique et social de trois grandes agglomérations : Tripoli (en raison du rôle qu’elle peut jouer dans le développement de tout le Nord-Liban), Zahlé-Chtaura (pour sa place stratégique à l’intérieur des terres) et Nabatiyé (grand pôle du sud du Liban). Des zones d’activités industrielles et de services pourront être créées à Beddawi, Rayak et Zahrani, et les facultés de l’Université libanaise seront regroupées sur trois campus, en plus de celui de Hadeth, à Tripoli, Zahlé-Chtaura et Nabatiyé. L’étude propose également l’orientation du transit maritime en priorité vers le port de Tripoli et sa modernisation.
Par ailleurs, sur le plan de «l’aménagement unificateur» du territoire, un réseau routier performant devrait contribuer à «atténuer la division du marché intérieur» et promouvoir la communication entre les groupes. Ouvrir les régions les unes aux autres, favoriser les échanges de biens, les implantations d’entreprises et la libre circulation de tous sur tout le territoire sont l’objectif du schéma.
Pour le transport des marchandises, les experts évoquent la réhabilitation du chemin de fer entre Tripoli et la frontière nord, et entre Rayak et la frontière est. Ils mettent aussi l’accent sur la réalisation des sections manquantes de l’autoroute Beyrouth-Damas, du prolongement de l’autoroute du Nord vers Halba et la frontière syrienne, du tracé d’une voie rapide Nabatiyé-Marjeyoun (en vue d’une liaison internationale ultérieure par Koneitra) ainsi que des voies express entre les trois pôles et les régions qui les entourent. Par ailleurs, «une mission de développement et de promotion» sera chargée de mettre en valeur l’image de ces villes et d’y attirer les investissements.
En ce qui concerne Beyrouth, l’étude prévoit l’achèvement de la reconstruction du centre-ville et son articulation avec le reste de la capitale, la réalisation du projet urbain de la banlieue sud, Elyssar, et une desserte ferroviaire entre les villes côtières.
Zones vulnérables
Les spécialistes ont également planché sur l’organisation de l’espace en zones urbaines et industrielles, et sur la politique de sauvegarde des entités agricoles qui seront inscrites dans «une stratégie nationale de développement» et bénéficieront de projets visant à accroître leur rendement : accès aux terres, irrigation, remembrements agricoles, modernisation des filières, des moyens de production, etc.
D’un autre côté, une analyse a été faite des zones de vulnérabilité, notamment en matière de ressources en eau pour éviter le développement urbain sur des sites situés en amont des captages et sur des régions de forte perméabilité, en particulier les traits des failles représentant un danger de pollution des nappes souterraines. «L’urbanisation de ces zones devrait être systématiquement accompagnée de solutions radicales de traitement des eaux usées. Les dépôts d’ordures, les installations industriellement légères, les exploitations agricoles produisant des effluents devraient y être proscrits ». L’étude évoque une révision de la stratégie d’adduction d’eau qui devra accorder la priorité à la réhabilitation des réseaux plutôt qu’à l’accroissement du nombre de captages et de retenues.
Par ailleurs, un périmètre de sécurité doit être défini (dans les plans d’urbanisme) autour des zones soumises à des risques d’inondations ou à des glissements de terrain, mais aussi autour des secteurs industriels présentant des risques majeurs en cas d’incendie, d’explosion, ou de déversement accidentel de déchets solides ou liquides dangereux. «Les équipements scolaires et sanitaires, et toutes activités publiques doivent être proscrits dans ces zones», et les solutions d’assainissement seront adaptées au contexte.
Autres impératifs, la réhabilitation et la préservation des parcs archéologiques et de leurs abords, la mise en valeur des sites naturels et des zones représentant une continuité écologique, et ce, afin de favoriser le tourisme et permettre «un développement économique et social respectueux de la nature».
L’urbanisme sur la sellette
Toutefois, il est impossible d’atteindre les objectifs fixés dans le schéma d’aménagement si l’article 17 de loi de construction demeure inchangé. Les experts insistent sur l’élaboration d’une législation moderne qui endiguerait la dégradation galopante du paysage. Le Liban est, en effet, le pays où l’on peut construire n’importe où, n’importe quoi, et, au terme de 40 ans d’efforts, les plans d’urbanisme établis par l’État ne couvrent que 10% du territoire. Les 90% autres sont régis par l’article 17 de la loi de construction fondé sur le principe de la «constructibilité généralisée». C’est-à-dire que tout terrain est constructible, qu’il soit agricole, forestier, qu’il soit en zone inondable, sur le littoral ou à 2000 mètres d’altitude ; on peut ainsi édifier quatre niveaux en plus d’éventuels pilotis et un nombre de mètres carrés de plancher égal à 80% de la surface du terrain. Voire à 90% lorsqu’on se trouve en zone dite «d’estivage».
Des exceptions aux règles générales ont été même introduites par le législateur, donnant, à titre d’exemple, 20% supplémentaires de droits à construire pour les parcelles situées à l’angle de deux rues à Beyrouth. Ou encore 50% de plus pour les projets touristiques et industriels.
Le «mitage» (ou habitat dispersé) a, par ailleurs, littéralement explosé: ses surfaces ont été multipliées par cinq depuis 1998. Les coûts supportés par les finances publiques pour desservir ces constructions isolées (en eau, électricité, ramassage des ordures, route, etc.) sont nettement plus élevés que dans une situation où l’urbanisation serait demeurée compacte. De même, ces constructions dispersées altèrent la qualité des paysages. Aussi, le schéma réclame «la limitation, par tous les moyens disponibles, de l’urbanisation dispersée (mitage) dans les terres agricoles et au milieu de la nature, compte tenu de son coût élevé en matière d’infrastructures et de son impact négatif sur les ressources naturelles».
Quant aux constructions aux abords des autoroutes, elles diminuent la performance des voies rapides et les rendent dangereuses.
En ce qui concerne les pratiques illégales qui se manifestent avec éclat dans le domaine public maritime, devenu privatisé sur de très larges portions, le schéma prévoit le «démantèlement des installations illégales du domaine public maritime et le libre accès du public à ce domaine», mais aussi « un ensemble de mesures qui doivent converger pour redonner au pays une façade maritime agréable et attractive».
Mais pour cela, il faudrait la réforme radicale de l’article 17, condition sine qua non pour mettre à exécution ce projet ambitieux qui, sans aucun doute, aura des conséquences considérables sur la qualité de vie des Libanais et sur le devenir de leur territoire.
L’équipe du projet
Le CDR en collaboration avec la Direction générale de l’urbanisme (DGU), avait confié l’étude de l’aménagement du territoire à Dar el-Handassa – Chaer, la société française IAURIF (Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région Île-de-France) et de divers organismes libanais parmi lesquels le Centre national de télédétection du CNRS, le Consulting and Research Institute, l’AAA, l’Urbit et l’Ecodit.
Neuf principes
Avec ses 400 habitants par km2, le Liban compte parmi les dix pays les plus densément peuplés du monde. Cela a forcément un impact sur l’utilisation anarchique de ses ressources non renouvelables, qu’il s’agisse de son eau, de son littoral, de ses paysages ou de son patrimoine, aussi bien bâti que naturel.
Les Libanais doivent prendre conscience du changement d’échelle que traduit la transition d’un pays d’un million d’habitants au moment de l’indépendance à un pays de quatre millions en l’an 2000 et appelés à dépasser le chiffre de cinq dans deux ou trois décennies.
Il existe un consensus au sein de la société libanaise sur les finalités d’une politique d’aménagement du territoire. Ce consensus est bâti autour d’objectifs communs et de valeurs communes, dont une partie est inscrite dans la Constitution. Ainsi, cet aménagement doit conforter neuf principes: l’unité du pays, le développement équilibré des régions, l’exploitation optimale et durable des ressources, la diminution de l’endettement de l’État, l’amélioration de la productivité et de la croissance, un meilleur équilibre des échanges extérieurs, l’amélioration des conditions de vie, la préservation de l’environnement et celle du patrimoine.
Environnement
Le schéma prévoit la mise en œuvre des dispositions suivantes : la création d’un parc national au Nord, la reforestation du «couloir des Cèdres» compris entre 1600 et 1900 m d’altitude et l’adoption de trois lois cadres concernant le littoral, la montagne (au-delà de 1000 m) et une loi sur les régimes de préservation du paysage.
L’étude délimite aussi l’ensemble des régions dans lesquelles toute activité d’extraction de sable, pierre et gravier serait interdite, à savoir : la haute montagne au-delà de 1 600 m d’altitude, le périmètre dit « grands paysages » définis par le schéma directeur d’aménagement du territoire , le périmètre des forêts, et tout espace situé à moins de 500 m de la ligne côtière, de la limite d’une localité habitée ou du lit des rivières majeures du Liban.
Le réseau routier
On distingue trois types de routes:
– les autoroutes réservées aux espaces les plus denses (le littoral) et aux liaisons internationales;
– les voies express dont le rôle est de raccourcir le temps des trajets entre les villes et permettre aux régions périphériques d’accéder rapidement aux axes autoroutiers. Certaines voies express sont réservées à la desserte des localités proches des grandes agglomérations sur des itinéraires très chargés;
– les autres routes secondaires, qui relient les agglomérations principales et secondaires aux villes relais.
May MAKAREM
Trois handicaps majeurs freinent le développement au Liban: la crise économique, la fragmentation de la société et le chaos urbain qui s’est illustré avec éclat, durant les trois dernières décennies, sur 350 km2, notamment dans des zones agricoles et forestières, et des domaines maritimes publics. Plus de 64% de ces espaces urbanisés n’ont pas été soumis à des schémas directeurs et, en conséquence, des bourgs entiers connaissent des manques au niveau de l’infrastructure et des services. Pour endiguer les dégâts et programmer à long et moyen terme l’ensemble des équipements économiques ou techniques du pays, le Conseil du développement et de la reconstruction (CDR) s’est penché, entre 2002 et 2004, sur l’élaboration d’un «schéma directeur de l’aménagement du territoire». Axée...