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Actualités - OPINION

Commentaire La dégradation de l’environnement favorise la culture de l’opium en Afghanistan

Par Jonathan Ledgard* Depuis quelques semaines, Hamid Karzaï, le président afghan, a intensifié ses efforts en vue d’accroître l’aide internationale. Il cherche en particulier à obtenir un renouvellement de l’aide militaire et du soutien à la reconstruction de la part des USA, ainsi que des garanties stratégiques accrues. Mais les relations de M. Karzaï avec les pays donateurs ont commencé à se dégrader, notamment à cause des accusations selon lesquelles son gouvernement n’a pas su enrayer la reprise du commerce à grande échelle de l’opium. Sous-jacente au trafic d’opium, se tapit une menace d’une autre nature, concernant la sécurité. C’est une menace à laquelle on ne prête pas suffisamment attention depuis le renversement du régime des talibans par les USA en 2001, bien qu’elle fasse courir de grands risques, à long terme, à la stabilité de l’Afghanistan et de toute la région. Dans un pays tel que l’Afghanistan où 80 % de la population vit de ce qu’elle cultive et dans lequel beaucoup de gens sont loin de toute source d’eau, la dégradation de l’environnement peut être lourde de conséquences, tant sur le plan économique que politique. C’est un élément que les stratèges américains auraient dû prendre en compte bien avant la chute des talibans. Au Pérou, il y a deux décennies, la désertification et la déforestation ont favorisé l’émergence du Sentier Lumineux, le groupe de guérilla maoïste. Le Sentier Lumineux qui arrondissait ses revenus grâce à la production de drogue et à la contrebande de bois a délibérément choisi comme base les villages de montagne situés dans des zones arides touchées par la déforestation. De la même manière, au Népal, les groupes maoïstes, qui mènent une insurrection qui a coûté la vie à 10 000 personnes, exploitent le désespoir des habitants des montagnes dont les villages sont touchés par de brusques inondations causées par la déforestation à plus haute altitude. Aucun groupe maoïste n’a réussi à mettre pied dans le sud de l’Afghanistan, zone aride dominée par les Pachtounes (ce sont eux qui, avec des moyens de fortune, ont bouté les Soviétiques hors du pays). Le succès rapide des talibans dans les années 1990 était lié à l’échec du système d’irrigation. Les villageois, dont les récoltes diminuaient et dont le bétail mourait à cause d’une sécheresse prolongée, ont vu dans le ralliement aux talibans l’occasion de redresser leur situation financière. Si les terres avaient été correctement irriguées, le succès des talibans aurait sans doute été bien moindre. Les talibans sont de plus en plus affaiblis, mais le manque d’eau a contribué à renforcer la logique de la production d’opium dans ce qui était leur bastion du sud. L’irrigation est un échec ou se révèle inadéquate dans le Helmand, l’Oruzgan et le Kandahar, trois des cinq principales provinces productrices d’opium, où des paysans endettés sont confrontés à de sérieuses difficultés financières. Or l’opium rapporte huit fois plus que le blé et nécessite moins d’eau. En l’absence d’investissements importants d’une part dans l’irrigation – notamment pour la construction de réservoirs pour récupérer l’eau provenant de la fonte des neiges dans les montagnes de l’Hindu Kush – et d’autre part dans des cultures plus profitables telles que le safran et l’huile de rose, l’Afghanistan va poursuivre sa dérive d’État narcotrafiquant, avec l’instabilité que cela implique. La destruction de vieilles forêts dans les montagnes situées à la frontière pakistanaise pourrait se révéler tout aussi problématique. L’agriculture a été affectée par les coupes de noyers, d’abricotiers et de mûriers pour en faire du bois de chauffage, et par le non-remplacement des peupliers, des saules et des tamaris, ces arbres qui permettent de maintenir les fragiles prairies. Ces arbres pourraient être sauvés s’il y avait création de pépinières destinées à produire des variétés locales. La perte d’anciennes forêts de cèdres, de pins, de sapins et de chênes sur les pentes montagneuses en altitude constitue encore un autre problème. Cette année, la fonte des neiges a provoqué des glissements de terrain et des inondations, faisant des centaines de morts et privant des milliers de personnes de leurs moyens de subsistance. C’est un signal quant au niveau de l’érosion des sols et de la destruction des terres arables qui vont s’aggravant. La sylviculture a toujours été un problème en Afghanistan. En 1960, la FAO (Organisation pour l’alimentation et l’agriculture de l’Onu) notait des méthodes de coupes de bois qui menaçaient la forêt, comme celle qui consiste à faire dévaler les rondins de bois sur les flancs des montagnes, écrasant la végétation et endommageant le sol sur leur passage. Mais en 1976, la FAO a reconnu dans le cadre d’un nouveau plan que la gestion des forêts et de l’eau laissait à désirer. Le plan de 1976 prévoyait des coupes de bois compatibles avec le respect de l’environnement et un contrôle rudimentaire des feux de forêt, mais la guerre a éclaté, coûtant à l’Afghanistan la moitié de sa couverture forestière. Près de 60 % de la forêt du Nangarhar, la deuxième plus grande province productrice d’opium, auraient disparu durant la guerre. Des factions de moudjahidine et plus tard les talibans ont exporté des peuplements entiers de cèdres par chargements entiers de camions, partant du Nangarhar et des provinces voisines vers le Pakistan, souvent en échange d’armement. Les coupes d’arbres illégales continuent aujourd’hui, malgré quelques tentatives inefficaces pour y mettre fin. À ce rythme-là, les vieilles forêts d’Afghanistan auront peut-être disparu dans dix ans. L’Onu reconnaît ce problème, mais ne veut pas (à juste titre) exposer des experts en sylviculture dans une région tribale dans laquelle les Américains et les troupes alliées ne se risquent qu’en convois de blindés. Les préoccupations de sécurité et les coûts limitent également l’intervention des organisations internationales de protection de l’environnement. Les autorités ont lancé une initiative baptisée Green Corps qui prévoit la création de 300 postes de gardes forestiers chargés de mettre un coup d’arrêt aux coupes de bois illégales. Le ministère espère augmenter leur nombre en moins d’un an, mais cette initiative ne sera probablement pas efficace. Plus de 200 groupes pratiquent la coupe de bois illégale. Ils sont équipés de tronçonneuses et de camions ; sont armés et disposent du soutien des trafiquants de drogue et d’émeraudes et souvent de la complicité des autorités locales. Le prix des planches de cèdre à Lahore est suffisamment motivant pour corrompre ou tuer n’importe quel garde forestier assez téméraire pour s’interposer. La protection de l’environnement est une question de première importance dans les pays pauvres, étant donné sa conséquence immédiate et directe sur la survie de la population. Une réponse inadéquate au problème urgent posé par la gestion des ressources naturelles en Afghanistan, qu’il s’agisse de l’eau ou des arbres, renforcerait le pouvoir des trafiquants d’opium et le mécontentement dans ce qui est déjà la région la plus rétive et la plus sensible du pays – avec ses montagnes aux pentes abruptes où se terrerait Ben Laden, au dire des officiers des services de renseignements. *Jonathan Ledgard collabore avec le gouvernement afghan pour transformer la vallée sauvage de l’Ajar, à l’ouest des montagnes de l’Hindu Kush, en un parc national. © Project Syndicate 2005. Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz.

Par Jonathan Ledgard*

Depuis quelques semaines, Hamid Karzaï, le président afghan, a intensifié ses efforts en vue d’accroître l’aide internationale. Il cherche en particulier à obtenir un renouvellement de l’aide militaire et du soutien à la reconstruction de la part des USA, ainsi que des garanties stratégiques accrues. Mais les relations de M. Karzaï avec les pays donateurs ont commencé à se dégrader, notamment à cause des accusations selon lesquelles son gouvernement n’a pas su enrayer la reprise du commerce à grande échelle de l’opium.
Sous-jacente au trafic d’opium, se tapit une menace d’une autre nature, concernant la sécurité. C’est une menace à laquelle on ne prête pas suffisamment attention depuis le renversement du régime des talibans par les USA en 2001, bien qu’elle fasse courir de...