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Actualités - REPORTAGE

Spécial - Le Figaro Indonésie - Les ONG dénoncent des détournements Après le tsunami à Aceh, l’aide rongée par la corruption

BANDA ACEH, de Jocelyn GRANGE Akiruhddin Mayuddin se prépare au combat. Cet avocat achénais, directeur de Gerakan, une association de juristes anticorruption, sort de son cartable un épais dossier. « Voici le premier cas de détournement de l’aide aux victimes du tsunami à Aceh », annonce-t-il sans détour. « L’affaire des baraques » débute en février. Le gouvernement indonésien décide de construire des « habitats semi-permanents » pour reloger provisoirement les 600 000 sans-abri du raz de marée qui a déferlé deux mois plus tôt sur la province de la pointe nord de Sumatra. Ces maisons en bois, de trente mètres de long sur dix de large, découpées en vingt chambres, peuvent accueillir jusqu’à 100 personnes. Chaque unité coûte 250 millions de roupies (20 000 euros). « C’est une surfacturation grossière », accuse Akiruhddin dont la contre-expertise estime l’unité à 170 millions de roupies. « C’est un ressort ordinaire de la corruption à Aceh. L’Administration et les entreprises de travaux publiques se partagent la marge qui sépare le coût réel du coût estimé », explique l’avocat. « Le gouvernement a déjà construit 1 494 unités, il en a prévu le double, faites le calcul, poursuit-il, il y a 210 milliards de roupies (18 millions d’euros) à se partager. Peut-être plus si les termes du devis ne sont pas respectés à la lettre. » Direction Lung Raya, un quartier de Banda Aceh, où une quinzaine de baraques sont déjà sur pied. Akiruhddin mesure l’épaisseur d’un plancher. « Il fait six millimètres. C’est trois de moins que l’épaisseur prévue par le devis. » Il gratte ensuite un pilier de soutènement. « C’est un ciment léger alors que le prix qui figure sur le devis est celui d’un béton armé. » La promenade continue dans une chambre aux murs gonflés par l’humidité. Elle se poursuit dans les WC, dont les cloisons en contreplaqué ne protègent de la vue d’autrui que lorsqu’on est assis, et se termine dans une salle de bains à l’hygiène sommaire. « Vous pouvez soustraire 10 millions à notre estimation initiale », commente Akiruhddin, le sourire un peu amer. « Aucune de ces baraques ne répond à nos standards », confirme la porte-parole d’une agence des Nations unies contactée récemment par les autorités pour pallier les carences sanitaires de l’ouvrage. « Nous avons accepté car c’est une urgence humanitaire, mais notre contribution à ces baraques s’arrêtera là », affirme la jeune femme. Plusieurs organisations internationales construisent des « maisons semi-permanentes », mais aucune n’a accepté de financer celles du gouvernement. La GTZ, l’organisme public de coopération allemande, avait envisagé d’en payer 135 unités, mais elle s’est rétractée. « À la demande du gouvernement indonésien et pour financer d’autres projets », précise Gunther Kohl, le représentant local de la GTZ. Il ajoute que son estimation du coût des baraques, 180 millions de roupies, « ne prenait pas en compte les frais de main-d’œuvre ». « C’est faux », rétorque Akiruhddin. « J’ai rencontré Gunther Kohl en avril, il était outré par l’estimation indonésienne », ajoute-t-il en montrant une lettre datée du 9 avril. En termes très diplomatiques, la GTZ prévient qu’elle ne s’engagera pas au-delà de 180 millions de roupies. « La GTZ a des contraintes politiques qui l’obligent à ménager la susceptibilité des autorités », suggère Akiruhddin. L’avocat est jeune, 34 ans, mais il n’est pas novice. Il a participé à l’enquête sur le détournement d’un fonds destiné à l’achat d’un hélicoptère militaire russe qui a conduit l’ancien gouverneur d’Aceh devant un tribunal en 2004. Il sait qu’un faisceau de présomptions, aussi dense soit-il, ne suffira pas à porter « l’affaire des baraques » devant la Commission nationale anticorruption. Il doit établir la chaîne des responsabilités et traquer les conflits d’intérêts. Parmi la quinzaine d’entreprises de bâtiment déjà mandatées par le gouvernement, quatre sont des entreprises publiques placées sous le contrôle du ministère des Infrastructures. Les autres appartiennent à des membres du Parlement ou à des officiers de haut rang. Le fait que ces entreprises, qui opèrent dans tout l’archipel indonésien, sous-traitent l’exécution des travaux à de petites compagnies d’Aceh, qui appartiennent elles-mêmes à des potentats locaux, rend l’enquête difficile. « Chacun se tait puisque chacun profite du système », explique Miswar Fuady, le coordinateur local de Sorak, un autre groupe anticorruption. Cette affaire n’est pourtant qu’un tour de chauffe. Des sommes colossales seront bientôt investies pour reconstruire les routes, les ponts, les maisons, les ports, les hôpitaux et les administrations dévastés par le séisme et son raz de marée. L’ouvrage, estimé à 4,5 milliards d’euros, aiguise les appétits d’une classe politico-militaro-affairiste, peu habituée aux règles de transparence dans un pays classé parmi les plus corrompus de la planète par les instances financières internationales, et où les procès se vendent, comme aux enchères, au plus offrant. Selon la presse locale, plusieurs conglomérats lorgneraient déjà les marchés. De Real Estate Indonesia, qui réunit plusieurs membres du parti de l’ancien dictateur Suharto, à Kelompok Bakri, du nom de l’actuel ministre de l’Économie, en passant par Artha Graha, un groupe financier dirigé par le grand argentier de la mafia indonésienne. Pas de quoi rassurer les États donateurs qui semblent paralysés par la peur de la corruption puisqu’une partie de l’aide internationale sera affectée directement au budget de l’État indonésien. L’Union européenne n’a pas encore versé sa contribution de 200 millions d’euros tandis que le fonds fiduciaire administré par la Banque mondiale, auquel participent plusieurs pays occidentaux, n’a réuni pour l’instant que 25 des 500 millions de dollars promis. Le président indonésien Susilo Bambang Yudhoyono, un général à la retraite réputé intègre, a promis de traquer les coupables. Mais l’épilogue du procès de l’ancien gouverneur d’Aceh a envoyé des signaux contradictoires. Abdullah Puteh a été condamné à dix ans de prison pour corruption, mais il n’a pas été incarcéré en attendant la procédure d’appel. Officiellement pour raisons de santé.

BANDA ACEH, de Jocelyn GRANGE

Akiruhddin Mayuddin se prépare au combat. Cet avocat achénais, directeur de Gerakan, une association de juristes anticorruption, sort de son cartable un épais dossier. « Voici le premier cas de détournement de l’aide aux victimes du tsunami à Aceh », annonce-t-il sans détour. « L’affaire des baraques » débute en février. Le gouvernement indonésien décide de construire des « habitats semi-permanents » pour reloger provisoirement les 600 000 sans-abri du raz de marée qui a déferlé deux mois plus tôt sur la province de la pointe nord de Sumatra. Ces maisons en bois, de trente mètres de long sur dix de large, découpées en vingt chambres, peuvent accueillir jusqu’à 100 personnes. Chaque unité coûte 250 millions de roupies (20 000 euros). « C’est une surfacturation...