Dans tout régime totalitaire qui se respecte, le président à vie, à descendance genre Moubarak ou ascendance genre Kim Il-sung, est périodiquement « réélu » à 99,99 % des suffrages d’un peuple en liesse orchestrée. Ce simulacre honteux et risible de démocratie respecte au moins, et au minimum, les formes. Il n’y a pas désignation, officiellement. Ni mandat obtenu (de qui donc ?) d’office. À l’unanimité, dit chez nous, côté députés, le décret, en arabe. Mais quelle unanimité, qui a levé le doigt pour voter ? Cela dit, il est évident qu’on ne peut rien reprocher aux candidats qui ont la chance (?) de n’avoir personne en face. Par contre, pour la forme, on peut relever que l’État devrait attendre, inclure toutes les proclamations de résultats par région en un seul paquet.
Mais c’est surtout pour le fond qu’on s’inquiète de l’évolution du modeste, du sympathique bulldozer, en « tsunami ». Le véritable tsunami, formé de rouleaux (c’est le nom technique des déferlantes de vagues) qui balaie la côte de Beyrouth avant de gagner les contreforts du Chouf via les plages juteuses de l’Iklim. Le fait est que même en l’an de (dis) grâce 2000, tout parachutés qu’ils fussent, les députés n’étaient pas assurés de leurs strapontins avant le scrutin. Avant le D Day du 29, 4 honorables (et ce qualificatif est indéniablement mérité en l’occurrence, redisons-le) parlementaires sur 19 sont connus à Beyrouth. Soit exactement 21,05 % de l’ensemble des représentants de la capitale. Autrement dit, la démocratie, essentiellement fondée sur une possibilité de choix, y perd autant. Il faut de plus compter avec le mot d’ordre de boycottage du courant aouniste et du Tachnag. De ce fait conjugué, le cœur même du pays aborde l’ère « radieuse » nouvelle par la porte opposée à la place de la Liberté, au 14 mars.
À qui la faute ? À l’erratique néo-tutelle des Occidentaux qui imposent la priorité du respect des délais. La primauté donc, on y revient, de la forme sur le fond, sur la teneur de la loi électorale. Qui détermine le cap et nous mène, dès lors, de Charybde en Scylla.
Dérives
Mais la faute incombe surtout à notre caste politique dans toutes ses composantes, ou presque. D’abord à feue madame l’opposition. Généreusement, Samir Frangié lui attribue « des erreurs. » Il s’agit en fait de péchés quasi mortels. Comme de remettre son sort de minorité déjà lésée aux mains de leaderships différents... Se piégeant elle-même, l’opposition avait commencé par mettre tous ses œufs, bien avant l’assassinat du président Hariri, dans le panier des élections. Sans se doter d’un programme commun, donc sans vraiment agir pour un changement qui ne se limiterait pas à des personnes. Et qui ensuite, continuant à se passer la corde au cou, a commis deux erreurs tactiques stratégiquement néfastes. La première consistant, une semaine après l’attentat, à refuser d’examiner, d’expédier de suite le projet du caza. Sous prétexte qu’on ne devait parler de rien d’autre que du drame. Comme si les deux ne pouvaient pas aller ensemble. La deuxième, à exiger (elle l’oublie maintenant) qu’avant tout on respecte les délais. Menant campagne à cet effet auprès de Washington, de Paris et de l’Onu. Avec succès. Hélas.
D’atermoiements en contre-propositions surenchériques, l’opposition est donc tombée dans tous les panneaux, tous les attrape-nigauds des monopolistes. Qui la rongeaient du reste, déjà, de l’intérieur.
Et là on passe au sérieux contentieux du système. Entendue dans la rue beyrouthine cette réflexion de bon sens populaire : l’argent est le meilleur serviteur du terrorisme comme du totalitarisme. Au sens large de ce terme. C’est en effet, s’en souvient-on, à travers de nobles organismes pourvoyeurs de « bienfaits sociaux », comme le conseil du Sud, la Caisse des déplacés, le Casino et tutti quanti, que les leaders de pointe ont pu tenir les rênes. En veillant à servir fidèlement le grand ponctionneur qui prélevait, bon an mal an, au moins deux milliards de dollars dans les caisses de notre pauvre pays.
L’argent. Pas l’argent privé. L’argent public. Aoun laisse entendre que c’est surtout parce qu’il a réclamé un audit général sur la corruption, les détournements de fonds, les 40 milliards de dollars de dette, qu’on le combat. Là aussi, apparemment, avec succès.
Alors, qui va changer quoi ? Les trente derniers de jadis, qui avaient héroïquement voté contre la fatale reconduction, se trouvent maintenant engloutis. Par ces trente deniers qu’on ne donne qu’aux Judas.
Jean ISSA
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