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Spécial Le Figaro Le gouvernement a installé en plein cœur de Bogota des foyers d’ex-combattants Colombie : la difficile réinsertion des guérilleros

Bogota, de Roméo Langlois et Pascale Mariani Tout a commencé à Teusaquillo par de banals commérages. « Mais d’où viennent tous ces paysans ? » se demandaient les habitants de ce paisible secteur résidentiel du centre de Bogota. En claquettes, torses nus les jours de soleil, de jeunes provinciaux désorientés et bruyants affluaient toujours plus nombreux dans les rues du quartier. C’était il y a deux ans. Le programme de démobilisation et de réinsertion du président Alvaro Uribe, visant à stimuler la désertion dans les rangs des groupes armés, connaissait ses premiers succès. Dans toutes les jungles du pays, des centaines de guérilleros ou de combattants paramilitaires las de la guerre s’enfuyaient de leurs campements clandestins pour se rendre aux autorités. Ils bénéficiaient ainsi des avantages du programme : la clémence des tribunaux, deux ans de gîte et de couvert, un accès aux études, un petit pécule pour monter une affaire. Loin des campagnes en guerre, les « Bogotanos » n’y trouvaient rien à redire. Mais, au cœur de la capitale, le gouvernement installait en catimini, dans de vieilles maisons bourgeoises, de plus en plus de foyers d’accueil pour ces ex-combattants. Et les habitants de Teusaquillo ont fini par se rendre à l’évidence : « ils » étaient là, ces déserteurs aux regards sombres aperçus à la télévision. Au coin de la rue. À traîner dans les squares ou à noyer leurs traumatismes de guerre dans les troquets de ce quartier de classe moyenne aisée. Avec huit cents démobilisés répartis sur vingt-deux foyers, la localité de Teusaquillo abrite à elle seule le quart des démobilisés entretenus à Bogota par les ministères de la Défense et de l’Intérieur. Hier encore ennemis mortels, ex-paramilitaires des Autodéfenses unies (AUC, extrême droite) et ex-guérilleros des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc, marxistes) cohabitent tant bien que mal dans ces « auberges », parfois avec femmes et enfants. « Personne ne nous a demandé notre avis », protestent les riverains, intarissables sur les nuisances occasionnées par leurs nouveaux voisins. « Ils étendent le linge aux fenêtres, ils mettent la musique à fond, ils fument de la marijuana en pleine rue... ». Sans parler de leurs rustiques compliments aux étudiantes du quartier. « Nous payons tous les erreurs commises par une minorité d’entre nous », regrette dans l’un de ces foyers Natalia, 20 ans, ex-guérillera du Sud colombien qui, ses premiers jours à Bogota, saluait tous les passants comme au village natal. Mais le choc culturel n’est rien comparé à la peur qui s’est emparée de Teusaquillo. « Le week-end dernier, en bas de chez moi, il y en avait quatre qui se battaient au couteau. Deux contre deux », raconte un habitant. Et tous l’ont lu dans les journaux : chez les Farc comme chez les « paras », la désertion est passible de mort. Alors les plus inquiets imaginent déjà l’attentat à la voiture piégée contre le foyer le plus proche. En mars, la tension est montée d’un cran à Teusaquillo. Un démobilisé est mort criblé de balles à l’entrée d’un foyer. Une histoire de jupons s’est soldée par de violents affrontements entre réinsérés et policiers. Les manifestations d’ex-combattants encagoulés et les graffitis accusant le gouvernement de ne pas tenir ses promesses se sont multipliés. Luis Eduardo Garzon, le maire de Bogota, parle d’« une bombe à retardement ». La plupart des ex-combattants s’efforcent de jouer le jeu. En quelques occasions, ils auraient même mis à profit leur formation militaire pour attraper des petits voleurs qui sévissaient dans le voisinage. Mais « ça reste des gens très dangereux », grogne un vieux cordonnier. À deux pas de chez lui, dans un foyer, Felipe l’admet d’entrée : « Quand je suis arrivé, j’étais une vraie raclure ». Tueur à gages de la côte caraïbe promu chef d’une escouade d’AUC, les violentes milices antiguérillas, l’homme, menacé par une faction rivale, a opté pour la désertion. Il raconte ses nuits tourmentées par « les visages de (ses) victimes » et « le besoin de tuer ». Les tortures de paysans soupçonnés de sympathie subversive. Les corps mutilés jetés dans des fosses, les villages entiers vidés de leurs habitants. Felipe étudie aujourd’hui les techniques agricoles. Si tout va bien, il montera bientôt sa ferme dans les environs de Bogota, grâce aux 8 millions de pesos (2 700 euros) promis en fin de programme. Légalement, seuls les ex-combattants n’ayant pas perpétré de crimes de guerre peuvent bénéficier du programme. « Mais, dans les faits, des milliers de délits atroces sont pardonnés », rapporte une élue de Teusaquillo. Autre source d’inquiétude : « Les plus turbulents sont mis à la porte du foyer pour plusieurs jours. Alors ils volent dans les rues. Et c’est la communauté qui paye. » Auberges surpeuplées, psychologues dépassés, opacité totale... Assailli de critiques, Juan David Angel, le directeur du programme de réinsertion, défend la stratégie chiffres en main. 11 000 paramilitaires et guérilleros ont selon lui abandonné les armes depuis janvier 2003, 7 000 de manière individuelle, le reste dans le cadre des négociations entre le gouvernement et les AUC. Et leurs informations, livrées contre récompense, auraient permis la destruction de 314 campements, la libération de 20 otages, la confiscation de 28 tonnes d’explosifs, 1 600 fusils, 6 tonnes de coca... Dario Villamizar, chef d’un « programme de réinsertion complémentaire » à l’étude à la mairie de Bogota, regrette que la stratégie actuelle réponde davantage à une logique guerrière qu’à un objectif de réconciliation nationale. « En leur condition d’ex-combattants qui ont connu les horreurs de la guerre, ils auraient beaucoup à apporter à la société urbaine. Mais on continue à les utiliser comme des acteurs du conflit », accuse-t-il. Certains démobilisés embauchés comme « guides » par les militaires les accompagnent, parfois armés, sur les théâtres d’opération. « Le programme va mal», assure à Teusaquillo Ricardo, un guérillero des Farc qui dit avoir « abandonné le fusil, mais pas les idéaux » : « Les formations sont inadaptées, il n’y a aucun suivi, de nombreuses microentreprises de démobilisés font immédiatement faillite et ils se retrouvent à la rue. » Résultat : un nombre indéterminé de déçus réintègrent un groupe armé, quitte à changer d’organisation. Les pires rumeurs aidant, certains imputent aux démobilisés tous les maux de Teusaquillo. L’insécurité qui grimpe, le commerce qui stagne, la multiplication des maisons en vente... « Nous avons trouvé nos boucs émissaires. Les gens veulent la paix, mais pas si les conséquences se font sentir chez eux », conclut Sonia Sua, présidente d’une association de quartier qui organise des ateliers d’intégration pour qu’ex-combattants et résidents de souche apprennent à rompre la glace.
Bogota, de Roméo Langlois et Pascale Mariani

Tout a commencé à Teusaquillo par de banals commérages. « Mais d’où viennent tous ces paysans ? » se demandaient les habitants de ce paisible secteur résidentiel du centre de Bogota. En claquettes, torses nus les jours de soleil, de jeunes provinciaux désorientés et bruyants affluaient toujours plus nombreux dans les rues du quartier. C’était il y a deux ans. Le programme de démobilisation et de réinsertion du président Alvaro Uribe, visant à stimuler la désertion dans les rangs des groupes armés, connaissait ses premiers succès. Dans toutes les jungles du pays, des centaines de guérilleros ou de combattants paramilitaires las de la guerre s’enfuyaient de leurs campements clandestins pour se rendre aux autorités. Ils bénéficiaient ainsi des avantages du...