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Actualités - OPINION

Spécial - Le Figaro Ces enfants qui traînent leurs parents en justice

Ils étaient plus de 2 000 à exiger une pension à leur famille en 2003 contre 30 en 1992 : une explosion due à la crise de l’autorité et à l’américanisation des mœurs. Delphine de MALLEVOÜE David a toujours aimé les maths. Élève sérieux et ambitieux, «presque trop» pour ses parents commerçants, avec qui il vit encore à 21 ans, il n’a jamais eu d’anicroche dans sa scolarité, pas plus que dans ses relations familiales. Jusqu’à ce mois de juin 2003 où, presque sans transition, il attaque ses parents en justice pour les contraindre à lui verser une pension alimentaire. Après deux années de prépa, le jeune homme, qui devait intégrer l’école de commerce de sa ville, voit désormais plus grand : ce sera un établissement plus réputé, plus cher aussi, à des centaines de kilomètres du foyer familial, assorti d’un « chez lui » où il compte emménager avec sa petite amie. Pris à la gorge par les travaux dans leur nouveau tabac-presse, les parents lui opposent d’abord une fin de non-recevoir, l’engageant à être plus raisonnable. Pas question pour David qui, à défaut de bourses et autres allocations logement, traîne alors père et mère devant les tribunaux. Verdict : les parents doivent lui verser 550 euros par mois. Cette famille ne vit pas dans le Nevada ou l’Ohio, mais dans l’Indre-et-Loire. « Moi qui croyais que ça n’existait qu’aux États-Unis ou dans les films... » s’étonne encore aujourd’hui Christiane, la mère de David. Isère, Rhône-Alpes, Pas-de-Calais, Loire-Atlantique... Les familles françaises à être victimes d’enfants procéduriers, au nom de l’article 203 du code civil (« Les époux contractent ensemble, par le fait seul du mariage, l’obligation de nourrir, entretenir et élever leurs enfants »), sont de plus en plus nombreuses. Si avocats et magistrats rappellent que ces 2 000 litiges par an ne constituent pas l’essentiel des quelque 400 000 affaires familiales jugées chaque année, il n’empêche. La progression sur cette dernière décennie est éloquente : de 30 cas en 1992, les affaires sont passées à 1 800 en 1999 et à plus de 2 000 en 2003, selon les derniers chiffres du ministère de la Justice. « Cette histoire nous a détruits mon mari et moi, se désole la mère de David. Aujourd’hui, nous avons perdu notre fils, nous ne le voyons plus... Mais nous continuons à payer pour lui. C’est comme un deuil, celui de vingt années de bonheur perdu, où la douleur psychologique s’ajoute à la difficulté financière. Nous ne sommes plus des parents mais une pompe à fric. » L’association Afra 203, créée par une mère « victime » de son fils étudiant à sciences-po, n’existe plus aujourd’hui mais elle comptait pas moins de 500 familles quand elle a vu le jour, en 1999. « Il y a en effet de plus en plus d’actions de ce type, surtout à Paris », confirme Jean-Claude Bouvier, juge aux affaires familiales à Bobigny. « Toute l’année je traite ces dossiers. Je suis même incapable d’en donner le nombre », renchérit Marie-France Ponelle, avocat spécialisé dans le droit de la famille et responsable de l’antenne des mineurs au barreau de Paris. Selon Me Ponelle, cette explosion est due à la crise de l’autorité parentale, à l’américanisation des mœurs, mais aussi et surtout « au nombre croissant de divorces, et donc de conflits intrafamiliaux, ainsi qu’à l’allongement de la durée de la dépendance des jeunes adultes vis-à-vis de leurs parents ». Yassir Fichtali, secrétaire général de l’Unef, le grand syndicat étudiant de gauche, estime lui aussi que « l’autonomie financière tardive de la jeunesse est le problème de fond de ces procès contre les parents ». Selon lui, les étudiants qui dépendent souvent de leurs familles sont « naturellement conduits à cette logique judiciaire en cas de conflit ou de rupture, mais aussi quand ils ne peuvent pas bénéficier de bourses »... Il y a quatre ans, un certain nombre d’étudiants avaient traîné leurs parents devant les tribunaux sur les conseils d’assistantes sociales de certains Crous, les Centres régionaux d’œuvres universitaires et sociales. L’affaire avait fait grand bruit. « Aujourd’hui, déplore-t-on au TGI de Paris, nul besoin de les y inciter, ils décident tout seuls d’attaquer. » Contesté par bien des parents, l’article 203 du code civil a fait l’objet de plusieurs tentatives de réformes de la part de parlementaires. En 2000, le sénateur de l’Isère Jean Boyer s’y était essayé puis, en 2002, le député UMP des Yvelines, Pierre Cardo. En vain. Leur but était de définir les limites de l’obligation alimentaire des parents, et non pas de remettre en cause son principe même. En effet, si cet article donne parfois lieu à des abus, il trouve sa légitimité dans de nombreux autres cas, notamment dans les situations de divorce, de décès de la mère divorcée, où le père ne veut pas continuer à payer la pension alimentaire de son enfant majeur. Ironie du sort, les enfants peuvent se retrouver eux-mêmes poursuivis par leurs parents une fois confortablement installés dans la vie. Et ce, en vertu de l’article 205 du code civil, qui stipule : « Les enfants doivent des aliments à leurs père et mère ou autres ascendants qui sont dans le besoin. » À en croire Françoise Augustin, juriste à l’École des parents et des éducateurs d’Île-de-France, un centre d’accueil, d’écoute et de conseils professionnels, nombreux seraient aujourd’hui les parents à réclamer une pension alimentaire à leur progéniture ! « Notre quotidien nous montre que la tendance n’est pas loin de s’inverser, note-t-elle. Nous avons beaucoup plus de demandes de parents âgés pour obtenir une pension de leur enfant que par le passé. »
Ils étaient plus de 2 000 à exiger une pension à leur famille en 2003 contre 30 en 1992 : une explosion due à la crise de l’autorité et à l’américanisation des mœurs.

Delphine de MALLEVOÜE

David a toujours aimé les maths. Élève sérieux et ambitieux, «presque trop» pour ses parents commerçants, avec qui il vit encore à 21 ans, il n’a jamais eu d’anicroche dans sa...