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Actualités - REPORTAGE

Spécial Le Figaro « Quelle Europe voulons-nous ? » Richard Perle : « Mettre un terme aux liaisons dangereuses »

Propos recueillis à Washington par Marie-Laure Germon LE FIGARO – Dans votre dernier ouvrage (1) coécrit avec le néoconservateur David Frum, vous montrez un certain pessimisme quant à l’avenir des relations euro-américaines et une grande sévérité envers la France que vous mettez au même plan que l’Arabie saoudite. Pouvez-vous préciser ce point ? Richard Perle – Attention. Prenons garde aux amalgames ! J’aime beaucoup la France et les Français. Le problème entre la France et les États-Unis est d’ordre gouvernemental et, plus précisément, se situe au niveau présidentiel avec Jacques Chirac. Non, bien sûr, la France et l’Arabie saoudite ne peuvent être mises au même plan. Le titre du chapitre auquel vous faites allusion correspondait à des facilités d’édition et ne recelait pas un tel raccourci idéologique ! Je me suis seulement employé à expliquer en quoi les politiques menées par la France et l’Arabie saoudite continuent de nous poser de sérieux problèmes. Et ces pays ne sont, hélas, pas les seuls. J’inclus également l’Allemagne et la Russie, qui se sont également employées à nous contrer, non seulement sur la question d’une intervention militaire en Irak, mais également sur d’autres dossiers d’envergure, comme les moyens de régler la question israélo-palestinienne, la manière d’envisager nos relations avec le Moyen-Orient ou encore de concevoir l’Europe. Le problème avec la France, c’est qu’elle s’est montrée très généreuse avec le régime des Saoud, qui alimente de manière avérée les mouvements extrémistes. Or il n’est pas douteux que la charité envers de tels régimes induit un soutien indirect aux ennemis des États-Unis ; je pense notamment à toutes ces entreprises d’embrigadement idéologique des jeunes recrutés par des imams prêchant la guerre sainte pour détruire la civilisation occidentale. Je ne peux donc que déplorer l’étrangeté des choix diplomatiques menés par la France et l’Allemagne, centre historique de l’Europe en construction. Il faut mettre un terme aux liaisons dangereuses. Que reprochez-vous clairement au président Chirac au plan des initiatives menées au niveau européen ? Jacques Chirac tente, à mon sens, de développer une identité française, tant au niveau européen qu’au niveau mondial, qui se construirait en négatif par opposition aux États-Unis. Il œuvre également pour une conception de l’Europe qui se développerait comme un contrepoids face aux États-Unis, et au sein de laquelle la France incarnerait l’avant-garde d’une vision européenne d’avenir. Pourtant, cette vision du monde me semble totalement stérile. L’Europe n’a rien à gagner d’une confrontation devenue systématique avec les États-Unis. Un tel mécanisme d’opposition est d’ailleurs d’autant plus insensé qu’il aboutit finalement à une opposition de principe nocif tant à nos buts communs qu’à nos finalités respectives. C’est d’autant plus ridicule que, si l’on regarde plus globalement, nos visées sont malgré nos divisions si communes et nos différends si mineurs que les tensions transatlantiques font l’effet d’un grand gâchis. Et ce notamment dans un nouvel ordre mondial nécessitant un resserrement des démocraties. Je tiens à préciser que je n’ai rien contre l’élargissement de l’Europe et son unification, mais à condition que cette dernière agisse en alliée et en partenaire et non comme une ennemie. Je suis d’ailleurs surpris que ce point ne crée pas davantage de débats en France. Mais il en crée pourtant, la question des relations transatlantiques est au cœur du débat français ! Certainement. Mais je déplore que les débats demeurent axés sur une confrontation d’intérêts idéologiques sans fondements. La France et l’Allemagne nous reprochent régulièrement de nous appuyer sur nos alliés au sein de l’Europe, que ce soit la Pologne ou l’Italie. En stigmatisant, comme c’est souvent le cas dans votre pays, l’hyperpuissance américaine, en nous reprochant notre prétendu cynisme moralisateur et notre refus du multilatéralisme, la France ne signifie en fait rien d’autre que dire finalement son regret de n’être plus qu’une puissance moyenne n’ayant plus les capacités économiques et politiques de peser sur l’ordre mondial comme ce fut le cas pendant des siècles. La France doit renoncer à ce ressentiment délétère tant pour elle-même que pour les relations transatlantiques et localiser ses vrais ennemis. Jusqu’à quel point pensez-vous que la personnalité de George W. Bush influe sur la qualité des relations transatlantiques ? L’intelligentsia européenne, en particulier française, a très mal reçu les élections successives de George W. Bush, le caricaturant à l’envi comme un cow-boy décérébré, inculte et finalement très éloigné de vos critères culturels. Elle avait agi de manière analogue avec Ronald Reagan qu’on a beaucoup méprisé pour ne pas être un intellectuel, et pourtant l’histoire leur a prouvé le contraire. De même, l’avenir donnera raison à Bush. Pourquoi plaidez-vous pour l’intégration de la Turquie au sein de l’Union européenne ? Il va falloir plusieurs années avant que la Turquie n’intègre l’Union européenne, si cela arrive seulement un jour, et pas avant dix ou vingt ans. La Turquie d’aujourd’hui est une démocratie séculière, laïcisée, et un lieu, somme toute, plutôt tolérant pour ses citoyens. Le débat sur la Turquie qui enflamme l’Europe et en particulier la France révèle à mon sens une de vos faiblesses, à savoir que l’Europe a un problème pour intégrer harmonieusement ses musulmans au sein de sa société. Voulez-vous dire que notre modèle européen d’intégration, pas aussi performant que le melting-pot américain, pourrait compromettre le développement harmonieux de l’Europe ? Le mode d’intégration à l’européenne soulève des questions intéressantes. La réponse est, à mon sens, d’ordre sociologique, renforcée par des considérations économiques. Peut-être une certaine fierté patriotique vous fait-elle défaut ? Chez nous, quand un immigré parvient à acquérir la citoyenneté américaine, c’est une vraie joie pour lui. Il veut que ses enfants soient totalement américains et la deuxième génération abandonne volontiers les coutumes ancestrales pour s’intégrer efficacement. Le désir d’intégration est chez nous d’autant plus puissant qu’il autorise tous les espoirs, notre modèle politique et social reposant sur la méritocratie. Peu importe d’où vous venez et qui vous êtes : seuls votre travail et vos succès seront pris en considération. Je me souviens, à ce propos, avoir lu un article qui avait retenu toute mon attention dans le New York Times, voilà trois ou quatre ans, au sujet d’hommes d’affaires français venus travailler aux États-Unis. L’une des personnes interrogées y expliquait que son recruteur désirait savoir quelle place elle occupait actuellement mais ne lui avait rien demandé de son cursus universitaire comme c’est le cas chez vous où l’on demande à des hommes déjà accomplis dans quel établissement ils ont passé leur baccalauréat ! C’est chez nous impossible. Et c’est là toute la différence. Le rêve américain n’est pas un mythe mais un phénomène encore bien réel. L’Europe doit encore travailler à créer un même désir d’intégration reposant sur la fierté. (1) «An End to Evil, Strategies for Victory in the War on Terror. »

Propos recueillis à Washington par Marie-Laure Germon
LE FIGARO – Dans votre dernier ouvrage (1) coécrit avec le néoconservateur David Frum, vous montrez un certain pessimisme quant à l’avenir des relations euro-américaines et une grande sévérité envers la France que vous mettez au même plan que l’Arabie saoudite. Pouvez-vous préciser ce point ?

Richard Perle – Attention. Prenons garde aux amalgames ! J’aime beaucoup la France et les Français. Le problème entre la France et les États-Unis est d’ordre gouvernemental et, plus précisément, se situe au niveau présidentiel avec Jacques Chirac. Non, bien sûr, la France et l’Arabie saoudite ne peuvent être mises au même plan. Le titre du chapitre auquel vous faites allusion correspondait à des facilités d’édition et ne recelait pas un tel raccourci...