« Que voyons-nous ? Un peuple, à travers tous
les désordres et tous les scandales, ingénieux à
se reconstruire ; un État obstiné à se défaire »
(Georges Naccache)
C’est dans le choc même du 14 février que le peuple libanais s’est découvert. Le 14 mars, dans l’ouverture et le respect de la différence, il s’est soudé pour fabriquer l’aube d’un nouveau Liban. Grâce à lui aussi, le 13 avril sonnera comme la confirmation d’un nouveau départ pour atteindre ses objectifs: unité et liberté. Les maîtres-mots de ses rêves qu’il concrétisera en se mobilisant du 10 au 13 pour commémorer une date fatidique dans l’histoire du Liban: le 30e anniversaire du déclenchement de la guerre civile. Au cours de ces journées consacrées à la mémoire collective, il mettra la barre (de ses aspirations) plus haut en faisant le serment d’«empêcher un nouveau 13 avril», de «ne jamais commettre la même erreur», de faire de la liberté une vertu, de la tolérance un principe et de la coexistence une règle.
Rafic Hariri voulait faire du 13 avril un symbole de l’unité nationale. Il avait envisagé de lancer un vaste projet placé sous ce thème. Mais le destin en a voulu autrement. Aujourd’hui, Bahia Hariri, députée de Saïda, reprend le flambeau et relance le projet de son frère défunt. Elle a chargé à cette fin Nora Walid Joumblatt, présidente du Festival de Beiteddine, d’organiser un événement au centre-ville, dans la zone Solidere, le projet-phare du Premier ministre assassiné en février dernier.
Mobilisant les ONG, les étudiants, les syndicats et les associations professionnelles, mais aussi les festivals du Liban (al-Bustan, Baalbeck, Beiteddine, Byblos, Saïda, Tripoli et Zouk), Mme Joumblatt a mis toutes les mécaniques en marche pour transformer le «13 avril» en journée de la paix, en une fête rassemblant tous les Libanais. Avec la collaboration de la société Solidere et de la municipalité de Beyrouth, représentées respectivement par Randa Aramnazi et Rolla Ajouz, de Saleh Farroukh et Maya de Freige, coordinateurs, elle ouvre sa pochette surprise et annonce une floraison de manifestations qui feront miroiter les multiples facettes du rayonnement artistique libanais. Chanteurs, musiciens, peintres, photographes, caricaturistes et bédétistes, artisans et créateurs, marionnettistes et choristes, mais aussi poètes et conférenciers déferleront au centre-ville, place des Martyrs, place Riad el-Solh, place de l’Étoile, dans les Thermes romains ou à Saïfi, et investiront les églises et les cathédrales. La nuit, les rues seront illuminées de milliers de bougies et, le jour, des milliers de ballons blancs, rouges et verts fuseront en gerbes dans le ciel de l’Orient. À la place des Martyrs, flottera un drapeau libanais (9m sur 6) portant la signature de toutes les municipalités du pays. Il sera offert à la future Assemblée nationale.
Mais, comme il serait impossible de congeler le passé et de faire l’impasse sur 15 ans de guerre, le lundi 12, à 18 heures, à l’hôtel Phoenicia, le comité Mémoire pour l’avenir, regroupant des juristes, des sociologues, des historiens, des journalistes, des éditeurs et des écrivains, organisera une table ronde centrée sur «le droit à la parole, le droit à la mémoire et le droit à l’oubli» qui sont «indissociables». «Défendre l’un c’est défendre l’autre, et c’est contribuer, pour finir, à faire en sorte que vivre dans le même pays signifie vivre ensemble». Le comité vise depuis l’année 2000 à soulever le problème occulté de la violence qui a ravagé le Liban en 1975-1990 et à favoriser une réflexion susceptible de déterminer dans quelle mesure le travail de mémoire pourrait aider les Libanais à surmonter cette période douloureuse de leur passé, dont le dernier rebondissement aura été l’assassinat de Rafic Hariri et les explosions de voitures piégées qui l’ont suivi. L’on croit comprendre, par ailleurs, qu’un concours architectural pour un mémorial de la guerre sera lancé à cette occasion.
Le développement étant aussi facteur de stabilité, le Pnud présentera au siège de l’Escwa, le 13 avril à 11 heures, un «Planning de développement pour le Liban 2005».
Le «13 avril» sera également l’intitulé du manifeste des artistes en faveur de la paix. De grandes pièces de toile montées sur châssis – dont une mesurant 20 mètres par 1,65 – seront dressées dans le parking situé près de l’église grecque-catholique. «Chaque peintre disposera d’un espace d’un mètre ou de deux pour exprimer ses sentiments inspirés par l’actualité», indiquent les organisateurs, Nadine Begdache (galerie Janine Rubeiz) et Saleh Barakat (galerie Ajial). Ils ont fait appel aux peintres «confirmés» pour s’attaquer aux fresques.
Pour sa part, Sandra Dagher (galerie Espace SD) présentera, à Saïfi, deux expositions de photographies. L’une est consacrée à Gilbert Hage, qui est allé à la rencontre des enfants, symbole de l’avenir du Liban. L’autre, regroupant des clichés signés Roger Moukarzel, Hayat Karanouh, Joe Kesrouani et Nadim Asfar, livre une série de portraits libanais où la sensibilité est tout entière tournée vers les personnages qu’ils cadrent et les visages qu’ils dévoilent .
Sur le thème de «La reconstruction de Beyrouth», Solidere expose les photographies d’Ayman Trawi et an-Nahar décline le «printemps» version 2005, tel qu’il a été fixé par l’objectif des journalistes reporters d’images.
Dans le cadre de ces journées, l’artiste Hussein Sawli signe une installation et les étudiants de l’Académie libanaise des beaux-arts (Alba) et ceux de la faculté des beaux-arts de la Lebanese American University (LAU) dresseront leur chevalet au centre-ville.
La musique dans tous ses états
Le dimanche 10 avril, à 18 heures, venues des villes et des villages, les fanfares municipales convergeront vers la place des Martyrs, pour sonner l’ouverture (des manifestations). À 19 heures, le «zajal», avec Zaghloul Damour et Talih Hamadane, s’installe aux Thermes romains. À 19h30, Fadia el-Hage, accompagnée de la chorale Notre-Dame de Louaizé, officiera à l’église évangélique où se produira également Zad Moultaka (piano). À 20h30, au cours d’un megaconcert, prévu place des Martyrs, Wadih Safi, Walid Toufic, Ahmed Kaabour et leurs amis offriront leurs «chants pour la paix».
Le lundi 11, l’église évangélique annonce les frères Khalifé (piano et percussion), à 18 heures, et Joumana Médawar (cantiques), à 19 heures. À la même heure aura lieu, aux Thermes romains, une «rencontre avec les poètes». Sur fond de musique médiévale arabe composée et jouée par Nida’ Abou Mrad ; Akl Awit, Abbas Baydoun, Chawki Bzeih, Talal Haïdar et Ahmed Kaabour seront donnés en lecture. Place ensuite à l’Ensemble de musique classique arabe de l’Université antonine qui, accompagné de Nida’ Abou Mrad, interprétera des «taranim al-hob al-ilahi» (chants religieux). À l’affiche aussi, mais cette fois place des Martyrs: Guy Manoukian, au piano (21h), et Jahida Wehbé, sa chorale et les derviches de Tripoli qui donneront une soirée de chants soufis, à 22 heures.
«Veillée du souvenir», le mardi 12 sera placé sous le signe «musique et chant sacrés». À 19 heures, la soprano Ghada Ghanem se produira à l’église arménienne-catholique et, à 21 heures, place des Martyrs, quelque 100 choristes formeront un cercle autour de cheikh Yamout et Abdel Karim Chaar dont les versets consacrés à la gloire de Dieu répondront aux chants d’action de grâce de la chorale de l’église Saint-Joseph et aux cantiques de sœur Marie Keyrouz qui apparaîtra sur écran en direct de France.
Mercredi 13 avril, rendez-vous aux Thermes romains, à 19h30, avec la musique «new wave» et Jamal Abou el-Hosn qui signe un spectacle son et lumière. À 20 heures, la soprano Hiba Kawas, accompagnée de l’Orchestre symphonique national, chantera à la cathédrale Saint-Georges des maronites. À 20h30, le Monday Blues Band investit les Thermes romains. …et à 22 heures, après un intermède musical avec Jihad Akl (violon), Magida Roumi, l’autre diva du Liban, fera son apparition, place des Martyrs.
Musée des sciences
Les petits ne seront pas en reste. Le Musée des sciences (Planet Discovery), sérieusement endommagé par l’attentat survenu le 14 février, reprend ses activités et ouvre grandes ses portes. Joumana Nakib, directrice des lieux, a concocté une brochette de manifestations pour les 9, 10 et 13 avril (lundi et mardi, il y a école!).
Samedi, (de 10 heures à 17 heures), les enfants sont invités à «dessiner pour la paix» avec Kiki Bokassa (Marie-Ange Bokassa Deeb), peintre et auteur du conte Let me tell u a story. Mais cette fois, l’histoire s’intitulera Arc-en-ciel et sera racontée par Fadia Tannir (11 heures).
À midi, sur une musique d’Isabelle Isahakian, Noha Hatem dirigera la Chanterie de Beyrouth. En solo, Éric Ritter interprétera Le chant du peintre (paroles Mona Bassili Sehnaoui,) et Marie Abou Khaled, Le ciel de Beyrouth (paroles Fifi Abou Dib). À 16 heures, Nayla Khayat présentera les marionnettes Tine et Zbib chantent la paix. Entre-temps, des parties de «fun tennis» permettront aux moins jeunes de se mesurer à l’ex-championne Maya Hajjar, sur le court de Saïfi, à partir de 15 heures.
Au menu du dimanche 10, L’élixir du respect signé par les Amis des marionnettes (11 heures), Tine et Zbib (qui récidivent à 16 heures), la Chorale de la Lebanese American University (LAU) dirigée par Leïla Dabaghi (16 heures) et, à 17h30, s’inscrit en caractères gras le nom de Nancy Ajram : à l’invitation de l’association Ikraa, la vedette racontera une histoire aux enfants.
Aux côtés des Karakeeb de Karim Dakroub (théâtre des marionnettes) et de la chorale de la LAU (respectivement à 16 heures et 17h30), la Chanterie de Beyrouth, Éric Ritter et Marie Abou Khaled seront à nouveau à l’affiche du mercredi 13 (à 13 heures)… Signalons enfin que les 10 et 13, Sami Sayegh et son atelier de cerf-volant déménageront place des Martyrs (16 heures). De même, l’association Ikraa installe une librairie mobile, place de l’Étoile, et Zamanouna présente un cirque, à la rue Abdel Malak (dans les parages d’Aïshti).
Tous ces événements, tous ces happenings censés rythmer quatre jours du quotidien des Libanais ont été, rappelons-le, mis au point en moins d’un mois. C’est donc dans la mesure du possible que le programme a été établi pour dire haut et fort: «Plus jamais la guerre», «Oui à la paix».
May MAKAREM
Les grands absents
– Julia Boutros et Marcel Khalifé ne participeront pas à la grande fête. Ils sont en tournée dans les pays du Golfe.
– Feyrouz, la grande diva du Liban, n’a pas répondu aux sollicitations du comité organisateur. Le Festival de Tyr non plus…
En vrac…
La société Solidere, qui offre toute la logistique de l’événement, n’a pas lésiné sur les moyens. Elle compte ainsi mettre la paquet pour assurer l’ordre et la sécurité.
– Tous les spectacles seront gratuits.
– Les logos et les slogans du 13 avril ont été confiés à Saachi & Saachi et Ramzi Najjar. L’acoustique dans les églises et cathédrales, à Joe Letaif.
– Le mercredi 13, à minuit, toutes les cloches des églises du Liban sonneront. Et tous les muezzins des mosquées appelleront à la prière.
– Au cours de ces journées, des gerbes de milliers de ballons portant les couleurs du drapeau libanais flotteront dans le ciel du centre-ville. Un lâcher de rouges est prévu le dimanche 10, pour la «Journée de la patrie», de verts, le lundi 11, pour la «Journée de l’avenir et de l’espérance», et de blancs pour la « journée de la paix », le mardi 12. Le rouge, le vert et le blanc fusionneront le mercredi 13.
– Avec Maroun Bagdadi, Jean Chamoun et Ziad Doueiri, le cinéma libanais sera à l’affiche, le mercredi 13, dans les salles de Sofil: 16h45, 19h30 et 22h. Entrée libre.
– À l’initiative de la municipalité de Beyrouth, les sets de table de tous les restaurants de Solidere porteront le logo du 13 avril.
– Une carte géographique humaine du Liban sera dessinée place des Martyrs.
– Un marché aux fleurs et une pépinière de cèdres seront aménagés à la place des Martyrs.
– L’Association de Beyrouth pour le développement social exposera ses artistes et artisans à Saifi Village et le Rassemblement des artisans du Liban s’installera rues Uruguay et Argentine.
Le sport
Sous la férule de May el-Khalil, le Marathon de Beyrouth donnera le coup d’envoi aux Journées sportives qui se dérouleront dans la zone du centre-ville. Courses cyclistes, compétitions de tae-bo, de basket-ball, de street ball, mais aussi des courses nautiques et kayak à la Marina de Beyrouth seront organisées par Saleh Farroukh en collaboration avec l’Union de l’athlétisme et les clubs Harlem, Hoops, al-Jazira, al-Sadaka et Nahr el-Kalb.
La «mouné»
Le mardi 12, Johnny Farah et Kamal Mouzawak installeront, au centre-ville «Souk el-Tayeb», un marché de produits alimentaires traditionnels et biologiques. Sous le label « United farmers of Lebanon », ils proposeront des fruits et légumes frais, du pain au levain naturel, des conserves à l’ancienne, des spécialités culinaires régionales… Le tout à emporter ou à consommer sur place. Prévue également sur les étals, une exposition de tabliers de cuisine portant les couleurs du drapeau et commandés à des artistes et stylistes du pays.
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