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Actualités - OPINION

Témoignage Merci, cheikh Rafic

Pendant les années quatre-vingt-dix, en tant que chef du bureau de l’hebdomadaire Time à Beyrouth, j’ai eu la chance de rencontrer souvent le Premier ministre Rafic Hariri. C’était une personnalité et un cœur immenses. Comme l’a constaté le commaissaire de police irlandais Peter Fitzgerald dans son rapport à l’Onu, la semaine dernière, c’était « le personnage le plus important de la vie publique au Liban ». Lorsque je suis retournée à Beyrouth, endeuillée par son assassinat, pour The Irish Times, un ami de longue date, un chrétien de milieu modeste dont le fils a pu devenir médecin grâce à une bourse Hariri, m’a dit : « Le Liban ne verra plus jamais son pareil. » Je crains hélas que cela soit vrai. Et pourtant, malgré son succès et ses amitiés avec les plus puissants de ce monde, Rafic Hariri sut rester simple, authentique. Lors de l’une de mes premières interviews avec lui, en 1992, je lui demandai quel effet cela lui faisait d’être devenu, lui fils d’un agriculteur de Saïda, l’un des hommes les plus riches du monde et le Premier ministre de son pays. « Je n’ai jamais imaginé que j’arriverais là où je suis maintenant, me répondit-il. J’ai toujours l’impression d’être dans un rêve. » Cet espèce d’émerveillement, sa bonne humeur, sa joie de vivre en faisaient un homme attachant. Il savait, par un mot ou un geste, réparer un malentendu, une déception, un chagrin. En 1995, Time avait fait le projet d’amener les 80 hommes d’affaires les plus influents d’Amérique pour deux jours à Beyrouth. Rafic Hariri s’était donné à fond pour la réussite de ce projet, recevant à plusieurs reprises les responsables de la revue dans sa maison à Koraytem. Il avait organisé un dîner assis pour 500 personnes, pour lesquelles les invitations gravées étaient déjà lancées. Un homme moins généreux aurait été furieux quand Time, cédant aux injonctions du gouvernement américain, a annulé le voyage à la dernière minute. La mort dans l’âme, je me suis rendue à son bureau de Sanayeh pour lui annoncer la mauvaise nouvelle. « Ne vous en faites pas, Lara, me dit-il, ce n’est pas grave. » Rafic Hariri pouvait être, j’en suis sûre, un adversaire redoutable en affaires et en politique. Cela ne l’empêchait pas d’être bon. Depuis sa mort, je n’arrête pas de découvrir des gens qu’il a aidés discrètement, telle cette libanaise que j’ai vue pleurer sur sa tombe, et pour qui il avait payé une greffe d’organe en France. Il avait une chaleur humaine inouïe. Lorsque je l’ai revu à Paris après avoir quitté définitivement le Liban, il a deviné ma peine et m’a dit : « Vous manquez à Beyrouth, Lara. Revenez nous voir. » Une autre fois, un collègue, blessé lors d’un reportage en Asie fut étonné de recevoir un coup de fil du Premier ministre qui voulait s’enquérir de son état de santé. « Voulez-vous que j’envoie mon avion vous chercher ? » lui demanda Hariri. Avec mes proches, pendant les années quatre-vingt-dix à Beyrouth, nous avions pris l’habitude de dire en riant : « Merci, cheikh Rafic ! » chaque fois que nous prenions une nouvelle autoroute, traversions le centre-ville encore en construction, ou nous rendions au superbe nouvel aéroport international. Quarante-cinq jours après sa mort, il est plus que jamais omniprésent au Liban. Aujourd’hui, je redis du fond du cœur : « Pour tout ce que vous avez fait, pour tout ce que vous avez été, merci cheikh Rafic. » Lara MARLOWE Grand reporter au « Irish Times » de Dublin
Pendant les années quatre-vingt-dix, en tant que chef du bureau de l’hebdomadaire Time à Beyrouth, j’ai eu la chance de rencontrer souvent le Premier ministre Rafic Hariri. C’était une personnalité et un cœur immenses. Comme l’a constaté le commaissaire de police irlandais Peter Fitzgerald dans son rapport à l’Onu, la semaine dernière, c’était « le personnage le plus important de la vie publique au Liban ». Lorsque je suis retournée à Beyrouth, endeuillée par son assassinat, pour The Irish Times, un ami de longue date, un chrétien de milieu modeste dont le fils a pu devenir médecin grâce à une bourse Hariri, m’a dit : « Le Liban ne verra plus jamais son pareil. » Je crains hélas que cela soit vrai. Et pourtant, malgré son succès et ses amitiés avec les plus puissants de ce monde, Rafic Hariri sut...