WASHINGTON - De notre envoyé spécial Habib CHLOUK
Le patriarche Sfeir, qui se trouve à Washington depuis lundi, à l’invitation du président George Bush, quittera aujourd’hui la capitale fédérale pour New York, où il aura un entretien avec le secrétaire général de l’Onu, Kofi Annan, et peut-être aussi avec son émissaire dans la région, Terjé Roed-Larsen, chargé de superviser l’application de la résolution 1559 prévoyant le retrait total, à brève échéance, de l’armée syrienne du Liban.
De nouveaux et intéressants détails ont filtré hier au sujet de la teneur de l’entretien de mercredi entre le président Bush et le patriarche Sfeir. Le détail le plus intéressant porte sur la question de la présence de l’armée syrienne au Liban. Une présence qui, selon les États-Unis, devrait prendre fin en avril au plus tard, afin que les élections législatives prévues en mai soient libres et démocratiques.
« J’entends ce que je dis et j’insiste », a affirmé le président Bush à ce sujet.
On apprenait aussi hier que le président Bush et le patriarche Sfeir ont eu un tête-à-tête de vingt minutes, et que les évêques membres de la délégation n’ont assisté qu’à la première partie de l’entretien.
Selon des indiscrétions en provenance de la délégation libanaise, c’est « sous le signe de la liberté » que le président George Bush a placé sa rencontre avec le patriarche Sfeir. C’est alors que ce dernier a remis au chef de l’Exécutif américain un mémorandum détaillé donnant le point de vue de l’Église maronite sur le déroulement de la guerre au Liban.
Selon une source informée, le président Bush aurait commencé par un acte de foi dans la liberté comme un don de Dieu, un don dont nulle nation n’est en droit de priver une autre. Le président Bush a ajouté que toute sa politique consiste à assurer cette liberté aux États, à commencer par l’Irak, où la population a pu s’exprimer librement par le vote, dans l’espoir qu’il en sera ainsi au Liban aussi.
Au sujet du retrait syrien, le président Bush a affirmé qu’il « était sérieux » et que l’armée et les renseignements syriens devraient avoir quitté le Liban avant fin avril, affirmant que tel est bien le désir du gouvernement américain.
Le président américain a également assuré à ses interlocuteurs que les États-Unis aideront le Liban durant la période qui suivra les retraits syriens, et qu’il le ferait en partie par gratitude à l’égard des nombreux amis d’origine libanaise qui l’ont beaucoup aidé au cours des élections américaines.
Au sujet des Palestiniens, le président Bush a affirmé qu’il sera injuste que le Liban assume la lourde charge de leur implantation au Liban.
À la remarque avancée par un membre de la délégation libanaise se plaignant du fait que le Liban est « seul dans la tourmente », le président Bush devait assurer qu’il « porte le Liban dans sa conscience ». Et d’ajouter qu’il nourrissait un profond respect pour le patriarche Sfeir, « un homme de Dieu » dont il apprécie les efforts pour répandre la démocratie.
De son côté, le patriarche a réaffirmé devant son hôte la nécessité pour les deux pays indépendants, le Liban et la Syrie, d’échanger des ambassadeurs.
Au Capitole
Mercredi après-midi, le patriarche s’était rendu au Capitole où il avait rencontré un certain nombre de sénateurs et de députés, notamment le président de la commission des Relations extérieures au Sénat ainsi que le sénateur Ted Kennedy et les députés Brombach et Ray Lahood.
Le patriarche avait exprimé devant eux le souhait de voir les États-Unis et l’Europe se tenir aux côtés d’un Liban « qui mérite d’être libre et démocratique, et de jouer à nouveau son rôle au sein de la communauté internationale ».
Le patriarche avait saisi l’occasion aussi de soulever avec ses interlocuteurs le cas des Libanais détenus ou disparus en Syrie, ce qu’il avait déjà fait dans le mémorandum transmis au président Bush.
Le patriarche a également brièvement évoqué les circonstances qui ont abouti à la fragilisation de la démocratie au Liban.
Le sénateur Ted Kennedy devait assurer que le Liban bénéficiera d’aides de toutes sortes une fois que sa pleine souveraineté sera rétablie. Il a également affirmé guetter l’occasion de visiter le Liban et de « réaliser ainsi un vieux rêve ».
En soirée, le patriarche a assisté à un dîner donné en son honneur par l’ambassadeur du Liban à Washington, Farid Abboud. Une invitation à laquelle ont répondu divers ambassadeurs des pays arabes en poste dans la capitale fédérale, mais pas l’ambassadeur de Syrie. Des membres de la colonie libanaise à Washington devaient également s’absenter. Dans un mot d’introduction, M. Abboud avait souhaité la bienvenue à tous, affirmant que « les portes de l’ambassade sont ouvertes à tous ».
Pour sa part, le patriarche a remercié son hôte, affirmant que « toutes les fois que nous pénétrons à l’intérieur d’une ambassade libanaise, nous avons l’impression d’être dans notre cher Liban auquel nous souhaitons la pleine souveraineté, l’indépendance et la liberté, au même titre que n’importe quel pays indépendant. Et je suis sûr que ces espoirs et ces souhaits sont partagés par notre ambassadeur ».
Le patriarche devait conclure son mot en souhaitant que les Libanais, chrétiens et musulmans, s’unissent pour édifier leur pays, « un pays condamné à une épreuve de trente ans, mais dont l’aube est sur le point de se lever, avec le chant de coq qui ne saurait tarder ».
Conférence de presse
Dans une conférence de presse tenue hier au National Press Club, le patriarche a repris les thèmes de son discours au bureau Ovale, avant d’ajouter : « Les événements qui se déroulent au Liban depuis l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri ne quittent pas nos pensées. Ce crime (...) a cimenté les Libanais dans une unité plus que jamais auparavant. Les commanditaires de ce crime ne s’attendaient pas à ce que le peuple libanais, dans toutes ses composantes, resserre ses rangs pour amortir le choc et, ce faisant, consolider sa vie démocratique et lui donner un nouvel élan. »
« Les Libanais, a poursuivi le patriarche, ne se remettront de cette blessure que lorsque les auteurs de ce crime seront découverts, ce qui mettra fin à de tels crimes. Car si on avait découvert les auteurs des assassinats de chefs politiques libanais qui se sont produits par le passé, on aurait peut-être prévenu l’assassinat du président Hariri. »
Le patriarche a repris ses propos au sujet du refus de l’implantation, tout en souhaitant que « leur situation humaine et sociale soit meilleure qu’elle ne l’est ».
Commentant les appels à une démission du président Lahoud, le patriarche Sfeir a noté qu’il n’y a pas « consensus » à ce sujet au sein de l’opposition et qu’en tout état de cause, il est « préférable » d’attendre à ce propos la fin des élections législatives.
Cette question n’a pas été évoquée au cours de l’entretien avec le président Bush, a assuré le patriarche, qui a ajouté qu’il souhaite que « les élections se déroulent à la date prévue ».
Le chef de l’Église maronite a également nié avoir entendu les responsables américains accuser une quelconque partie de l’assassinat du président Hariri, ou avoir abordé avec ses interlocuteurs un autre dossier que la question libanaise.
Il a précisé, en réponse à une question, qu’il n’a pas été directement question d’une aide économique américaine à Beyrouth, mais qu’il espérait que « la Banque mondiale, qui surveille la situation économique et monétaire au Liban, prendra les décisions nécessaires au relèvement du Liban ».
Enfin, commentant la proposition du secrétaire général du Hezbollah relative à la formation d’une commission d’enquête arabe plutôt que d’une commission internationale pour tirer au clair l’affaire de l’assassinat de Rafic Hariri, le patriarche Sfeir a affirmé que les deux propositions se rejoignent, mais il a rappelé, diplomatiquement, que la commission arabe chargée de l’application de l’accord de Taëf a été « hélas, peu efficace ».
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