Actualités - CHRONOLOGIE
France - Le débat actuel, prélude à une réforme en profondeur des structures sociales La loi sur les signes religieux à l’école a-t-elle réussi son examen d’entrée ?
Par Mariam SEMAAN, le 20 novembre 2004 à 00h00
L’« affaire du foulard » en France est, depuis la rentrée 2004, dans sa troisième phase. Mardi 19 octobre, une élève musulmane qui refusait d’ôter son voile a été exclue de son école. Plusieurs autres ont suivi. Des sanctions prononcées pour la première fois en application de la loi très controversée, adoptée le 15 mars 2004, sur l’interdiction des signes religieux ostensibles dans les établissements scolaires publics. Votée pour protéger la laïcité de la République, l’application de cette disposition claire et précise semble, de l’avis de certains, poser plus de problèmes qu’elle n’en résout. Bien que le nombre d’élèves voilées ait été sensiblement revu à la baisse à la rentrée de septembre, l’inefficacité de la loi à traiter les cas litigieux et son interprétation problématique sont pointées du doigt. Le débat est donc relancé sur une affaire qui secoue l’Hexagone depuis 15 ans.
En 1989, trois jeunes musulmanes voilées sont exclues des cours au motif que le port du foulard représente une atteinte à la laïcité et à la neutralité de l’école publique consacrées par une loi de 1905. En l’absence de disposition légale expresse, leur cas est soumis au Conseil d’État, qui émet un avis considéré depuis lors comme la seule référence en matière juridique : il interdit d’interdire, par principe, le port de signes religieux, sauf en cas de manquements aux règles fondamentales de l’enseignement, d’atteinte à l’ordre public ou de prosélytisme. L’appréciation devra donc se faire au cas par cas, et la sanction prononcée devra se fonder sur une des violations énumérées plus haut.
En 2003, le petit carré de tissu fait à nouveau parler de lui. Mais cette fois-ci, les autorités françaises sont bien décidées à lui régler son sort. L’actualité politique du moment, des attentats du 11/9 en passant par la guerre contre le terrorisme et le conflit en Irak, a d’ailleurs accru la pression sur la communauté musulmane en Occident.
Les dispositions
de la nouvelle loi
Dans ce climat tendu, la France adopte, après un débat national, social, politique et juridique passionné, la loi sur l’interdiction du port de signes religieux « ostensibles » dans l’enceinte des établissements scolaires publics. Une circulaire d’application précise la nature de ces signes religieux « ostensibles » : « le voile islamique, quel que soit le nom qu’on lui donne, la kippa ou une croix de dimension manifestement excessive. »
Les dispositions légales prévoient que les élèves réfractaires seront admis à l’école dans un premier temps, mais ne pourront pas assister aux cours. Ils bénéficieront d’un suivi scolaire et pédagogique durant quelques semaines, période durant laquelle un dialogue avec eux et leurs parents est instauré. Si le dialogue n’aboutit pas, ils sont traduits en conseil de discipline et l’exclusion est prononcée.
Les décisions des conseils de discipline sont toutefois susceptibles de recours à l’amiable devant les recteurs, et peuvent également être contestées devant les tribunaux administratifs.
La loi est néanmoins muette en ce qui concerne l’avenir des élèves après leur exclusion. Mais en pratique, ces derniers ont trois options : s’inscrire dans une école privée, suivre des cours par correspondance ou abandonner leurs études.
Un effet dissuasif certain
La rentrée 2004 a constitué un premier test d’efficacité pour cette loi qui fait couler beaucoup d’encre.
L’effet dissuasif de la disposition a bel et bien joué, et les chiffres du ministère de l’Éducation nationale sont là pour l’attester : sur 1 200 cas litigieux recensés l’année dernière, seuls 240, essentiellement des jeunes filles voilées, ont été répertoriés au premier jour de classe 2004. Une semaine plus tard, une petite centaine d’élèves persistaient dans leur rejet de la nouvelle norme, mais le dialogue entamé a, dans la plupart des cas, porté ses fruits. Aujourd’hui, une dizaine d’élèves, surtout en Alsace, opposent toujours un refus absolu de se soumettre à la loi. Sur 150 000 jeunes filles d’âge scolaire pouvant se prévaloir de la religion musulmane, ce sont ces quelques cas, avec lesquels le dialogue n’a pas abouti et qui ont commencé à être exclus, qui font aujourd’hui parler d’eux dans les médias.
Le problème des réfractaires
Si la loi peut se vanter d’avoir réussi à réduire le nombre de cas litigieux, l’impossibilité de trouver une solution acceptable à la poignée d’irréductibles montre ses limites. Pour les détracteurs du projet, l’État n’aurait pas résolu le problème, il n’aurait fait que le déplacer : les écoles privées sont souvent réticentes à accueillir des filles voilées, tandis que les centres d’enseignement à distance protestent et affirment que leur mission n’est pas de recueillir les jeunes à problèmes. En outre, il existe très peu d’établissements scolaires privés musulmans.
La situation précaire de ces jeunes risquerait donc de les marginaliser en entravant leur intégration à leur société d’adoption, d’ouvrir la voie à une multiplication des institutions musulmanes privées, et éventuellement d’en faire des proies faciles pour les réseaux fondamentalistes. L’efficacité de la loi s’en trouve dès lors nettement réduite !
Mais d’autres spécialistes estiment que la loi adoptée n’a pas déplacé le problème, elle a simplement commencé à apporter un début de solution. Après avoir réussi, grâce au dialogue, à convaincre les « indécis », le législateur devra maintenant s’atteler au problème des réfractaires. « Si une loi est imparfaite, on corrige les imperfections, on n’élimine pas la loi », affirment d’ailleurs les milieux professionnels.
Une interprétation
problématique ?
Par ailleurs, l’interprétation des dispositions légales a également donné lieu à de très nombreuses controverses. Le cas de Cennet Doganay, une jeune fille de 15 ans issue d’une famille kurde d’origine turque, scolarisée au Lycée Louis Pasteur de Strasbourg, ainsi que celui de trois jeunes sikhs, obligés par leur religion à porter les cheveux longs cachés sous un turban, sont assez révélateurs.
La loi interdisant le port d’insignes religieux, Cennet Doganay décide d’aller en cours les cheveux couverts d’un simple bob, croyant ainsi se tenir en dehors du champ d’application de la nouvelle norme. Mais elle se voit quand même empêchée d’entrer en cours, l’établissement ayant, à l’instar de beaucoup d’autres écoles, renforcé l’effet de la loi en insérant dans son règlement intérieur l’ « interdiction de tout couvre-chef ». Cennet décide alors d’utiliser les grands moyens : elle se rase la tête, soi-disant pour éliminer l’objet du litige, ameute les médias et se représente à l’école.
Plusieurs autres jeunes filles qui pensaient également échapper à la loi en troquant leur foulard contre un simple bandana ont également été refoulées à la porte du lycée.
Le cas de trois élèves sikhs est encore plus significatif de la confusion régnante. Aucun membre de cette communauté n’ayant jamais été entendu par la commission Stasi qui a élaboré le projet, les sikhs ne se sentaient tout simplement pas concernés. De plus, le turban n’était pas mentionné dans l’énumération de la loi.
Mais le jour de la rentrée, les trois jeunes gens, la tête ceinte de leurs « chunni » (un sous-turban discret), se voient purement et simplement invités à retourner chez eux, malgré le dispositif légal prévoyant qu’ils seraient accueillis dans l’enceinte de l’école le temps d’instaurer un dialogue. Les responsables sikhs ont beau expliquer que le symbole religieux n’est pas le turban, porté pour raisons d’hygiène, mais les cheveux (que les sikhs ont interdiction de couper), rien n’y fait. Ils sont exclus de l’école. Une interprétation souple de la loi permettrait de limiter l’interdiction aux signes religieux mentionnés, à savoir le foulard, la kippa et la croix. Mais les établissements scolaires ont préféré opter pour une interprétation restrictive, interdisant carrément le port de tout couvre-chef. Cette décision a été dénoncée par de nombreux responsables musulmans, qui ont protesté contre une application trop « rigoriste » de la loi : « La loi a interdit les signes “ostensibles”, mais les chefs d’établissement sont en train d’interdire les signes “visibles” », a ainsi estimé el-Hajj Thami Breze, président de l’Union des organisations islamiques de France.
Mobile et pouvoir
d’appréciation
Comment se fait donc l’appréciation du caractère « ostensible » d’un signe religieux ?
La réponse est, selon les milieux juridiques, à chercher du côté du « mobile ».
Le problème n’est pas la matérialité du signe, mais le sens qui lui est donné. Par exemple, le cas diffère si le couvre-chef est destiné à cacher une calvitie ou des soins de chimiothérapie, ou si son but est de manifester clairement une appartenance religieuse. La circulaire d’application de la nouvelle loi donne d’ailleurs des consignes pour faire la distinction entre « un bandana ordinaire et un bandana qui serait le détournement d’un tissu en foulard islamique », mais laisse à l’administration des écoles le pouvoir d’appréciation.
La loi n’est donc ni défaillante ni mal interprétée. Mais, ne pouvant aller dans les détails, elle fixe des objectifs dont la mise en œuvre est confiée aux autorités sur le terrain, qui pourront juger chaque cas au vu des circonstances de temps et de lieu. Dans le département français de la Réunion par exemple, le rectorat a autorisé des jeunes filles à garder leur foulard à l’école au motif que « ne sont pas interdites les tenues traditionnelles qui sont communément portées et dont le port ne peut être regardé comme manifestant une appartenance religieuse ».
Dans d’autres cas, s’il s’agit d’une activité « cultuelle », alors la loi ne l’interdit pas pourvu qu’elle soit pratiquée dans les lieux de culte et aux heures prévues à cet effet. La laïcité protège ainsi la liberté religieuse, tout en veillant à la bonne marche du service public.
Or, le service public ne se réduit pas aux seuls établissements scolaires. Il est donc fort probable que la loi du 15 mars 2004 sera suivie, à plus ou moins long terme, de plusieurs autres, réglementant la situation dans les hôpitaux, les banques, etc., où de nombreux problèmes commencent à voir le jour.
Pendant longtemps en effet, la France a négligé la population issue de l’immigration. Rattrapée par sa mauvaise gestion du phénomène, elle semble désormais vouloir, grâce à une politique de « petits pas », remettre de l’ordre dans le service public et réaffirmer ses principes fondamentaux.
Les modifications portant sur des structures sociales ne pouvant se faire du jour au lendemain, la loi du 15 mars 2004 ne fait donc qu’ouvrir le bal.
Mariam SEMAAN
L’« affaire du foulard » en France est, depuis la rentrée 2004, dans sa troisième phase. Mardi 19 octobre, une élève musulmane qui refusait d’ôter son voile a été exclue de son école. Plusieurs autres ont suivi. Des sanctions prononcées pour la première fois en application de la loi très controversée, adoptée le 15 mars 2004, sur l’interdiction des signes religieux ostensibles dans les établissements scolaires publics. Votée pour protéger la laïcité de la République, l’application de cette disposition claire et précise semble, de l’avis de certains, poser plus de problèmes qu’elle n’en résout. Bien que le nombre d’élèves voilées ait été sensiblement revu à la baisse à la rentrée de septembre, l’inefficacité de la loi à traiter les cas litigieux et son interprétation problématique sont...
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