Élégantissime détecteur-pourfendeur de la « trivialité », Chareh doit en même temps s’en lécher et s’en mordre les doigts : rien de plus trivial que les bisbilles franco-syriennes. Qui ont tout l’air, qu’on nous passe l’expression, d’une banale, d’une sordide affaire de cocufiage. Mais en apparence seulement, et les apparences, dans ce genre d’histoire, sont souvent trompeuses, c’est le mot.
– Commençons par la fin. Qui justifie les moyens, jamais les médiocres. Il existe, depuis quelques mois, entre la France et la Syrie un contentieux bilatéral.
Contentieux au sens technique d’abord. C’est-à-dire relevant du domaine des affaires. Des contrats privilégiés gaz-pétrole-phosphate que Paris aurait lorgnés. Et qui ont échu, comble de la frustration, au rival américain. Ainsi, début avril dernier, la Syrie a attribué à un consortium anglo-américano-canadien un projet gazier de 700 millions de dollars, rejetant une offre du groupe français Total. De plus, Chirac s’est beaucoup investi dans le sauvetage financier et économique du Liban, à travers Paris II. Mais l’assainissement attendu ne s’est pas produit. À cause, disent ouvertement les Français, de la Syrie autant que du système qu’elle a installé au Liban.
Sans compter que la France a ouvert à la Syrie les portes de l’Union européenne, et de ses largesses. Illustrées encore tout récemment par un confortable matelas d’assistances diversifiées.
Contentieux bilatéral politique ensuite. Dans la mesure où, encore aujourd’hui, quand la Syrie se cherche un interlocuteur occidental sur le plan régional, ou un porte-voix, elle s’adresse comme premier choix à l’Américain. Ce qui est parfaitement compréhensible. Mais se rabat ensuite sur le Russe, ou même l’Allemand (!) de préférence au Français.
– Qui s’en offusque d’autant plus que dès la disparition de Hafez el-Assad, Chirac a pris Bachar sinon sous son aile, du moins par la main. Pour inaugurer, par une visite à l’Élysée, son bal des Debs européen, le menant dans les principales capitales du Vieux Continent.
– La méprise syrienne c’est donc de paraître mépriser le poids que la France se donne. Par sa politique étrangère, point fort indiscutable, et indiscuté, de Chirac. On sait en effet que les Français, tous partis confondus, béent d’admiration devant les exploits internationaux de leur président.
Inversion
Dans lequel ils voient l’exact contraire d’un Mitterrand. Qui était d’une habileté diabolique à l’intérieur. Et ce n’est pas lui qui aurait décrété une dissolution de sa propre majorité parlementaire comme l’a fait Chirac. Mais très gauche (ce qui était normal en somme) au-dehors. Avec des bévues monstres, comme le rejet initial d’une idée de réunification de l’Allemagne. Ou encore, le mot de soutien adressé aux putschistes communistes qui avaient voulu balayer Gorbatchev.
Chirac, en revanche, a su développer une politique étrangère de vaste amplitude, qui en a fait, comme on sait, le principal champion de la cause du multilatéralisme, face à l’hégémonisme US.
– Au Moyen-Orient, la France a pu se lancer dans la course à la reconquête d’une influence désormais accessible, audible grâce à la caisse de résonance de l’Union européenne. Boostée par la disparition de l’URSS. Or, tout naturellement, la France ne trouve de point d’appui dans la région qu’en Syrie et au Liban, placés sous son mandat lors du dépeçage de l’Empire ottoman. Mais la Syrie, tout aussi naturellement, lui est à la fois moins proche et moins utile. La pénétration socioculturelle et a fortiori politique du système syrien hermétique, et sa manipulation ne peuvent qu’être limitées, quasi inexistantes. Le terreau libanais, bien plus ouvert, est nettement plus fertile. On peut, assez facilement, demander aux Libanais, et en obtenir, divers services à visées politiques ou autres. Surtout qu’ils sont, avec leur volume de réfugiés palestiniens, comme de par leurs frontières, plus proches que les Syriens du centre de gravitation régional, plus concernés par le conflit israélo-arabe. Plus exposés aux dangers israéliens, dont le moindre, à terme, n’est pas l’implantation.
Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que Paris ait fait coïncider l’initiative de son ministre des Affaires étrangères, Michel Barnier, en Israël et dans les Territoires, avec la déclaration onusienne corollaire de la 1559.
– À ce propos crucial, il n’est pas étonnant que la France ait manifesté encore plus de hargne, d’acharnement contre la présence syrienne au Liban, que l’Amérique. Tout simplement, tout bêtement, parce que les nations aussi ont du sentiment. Et que la France, qui est un pays où la non-assistance à personne en danger est punie, se sent responsable des Libanais en général, des chrétiens en particulier.
Responsable, en partie, de leurs affres.
Désillusion successive
Pincement de remords que la curie doit également éprouver. Avant et pendant les visites du pape et de Chirac à Beyrouth, Paris et le Vatican n’ont cessé de harceler les chrétiens libanais pour qu’ils se soumettent, participent aux élections, etc. En leur faisant crûment comprendre qu’en s’obstinant à résister dans l’esprit de 92, ils exposeraient les autres chrétiens d’Orient, de Syrie notamment, à de sérieux ennuis. Mais, il faut le dire, l’attitude du Vatican et de Paris ne relevait pas du pur chantage. Ces deux capitales de haute diplomatie avaient en effet pris soin de décrocher des assurances, sinon des garanties : la Syrie allait progressivement normaliser les choses, alléger sa domination, donner aux Libanais leurs droits, puis leur indépendance. Mais il n’en a rien été, bien au contraire.
Ainsi, avant, pendant et après la guerre d’Irak, les Syriens ont couvert Sfeir de fleurs. Mais, comme il l’a relevé clairement, sans jamais rien concrétiser sur le terrain. Sa déception, dont des pôles mahométans majeurs se sont fait l’écho avec des nuances, il a fini par la communiquer au Vatican.
– Paris, pour sa part, a choisi la confrontation, aux côtés de l’Amérique un peu, justement, à cause de son affrontement idéologique fondamental avec les States. Explication de texte : du moment que la mise au pas de la Syrie, la correction d’une aberration aussi totale que l’asservissement d’un riant pays libre comme le Liban, devaient passer par le crible onusien, Paris était preneur. Le test lui permet en effet de démontrer aux Américains qu’ils ont eu tort de vouloir contourner l’Organisation pour mener leur barque, et celle du monde, à leur seule guise.
Dans le même esprit, la France, qui s’appuie donc désormais sur l’Union européenne, espère rebondir encore plus loin (notamment au Moyen-Orient, par le biais de la 1559) à l’aide du levier onusien. C’est bien pourquoi, les théoriciens français sont aujourd’hui les principaux défenseurs de deux arguments actifs complémentaires. D’abord le sens de plus en plus restrictif donné au terme de souveraineté, au profit d’une direction internationale (fonction logique de l’Onu). Ensuite, le sens de plus en plus extensif donné au droit d’ingérence générale. Contre toute ingérence particulière.
Même entre pays frères.
Jean ISSA
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– Commençons par la fin. Qui justifie les moyens, jamais les médiocres. Il existe, depuis quelques mois, entre la France et la Syrie un contentieux bilatéral.
Contentieux au sens technique d’abord. C’est-à-dire relevant du domaine des affaires. Des contrats privilégiés gaz-pétrole-phosphate que Paris aurait lorgnés. Et qui ont échu, comble de la frustration, au rival américain. Ainsi, début avril dernier,...