Rechercher
Rechercher

Actualités

Spécial - Le Figaro En quatre ans d’intifada, la bande de terre coincée entre la mer et les barbelés israéliens n’a cessé de s’enfoncer graduellement dans le chaos L’«irakisation» de Gaza hante la population

Gaza, de Patrick Saint-Paul Les clients du petit café Internet de la ville de Gaza sont horrifiés en découvrant les images qu’ils viennent de télécharger. Elles montrent l’exécution sauvage des deux derniers otages américains assassinés en Irak. En quatre ans d’intifada, Gaza n’a cessé de s’enfoncer dans le chaos et la violence, au point que la même crainte y hante désormais tous les esprits : l’«irakisation» du conflit palestinien. Et l’on se demande comment il sera possible de ne pas sombrer dans un niveau de violence tel qu’il n’existe plus aucune règle. Les images de la guerre en Irak sont diffusées en boucle sur toutes les chaînes arabes en alternance avec celles du conflit israélo-palestinien. Elles se ressemblent parfois à s’y méprendre. Même si l’intensité des combats dans les territoires palestiniens est loin d’égaler celle de ceux qui opposent les insurgés irakiens aux forces de la coalition. Cinquante ans de conflit ont émoussé la résistance à l’occupation israélienne. Les activistes palestiniens sont moins bien armés, moins bien entraînés, moins motivés que leurs frères d’armes irakiens. Mais, surtout, ils ont été épargnés, pour l’instant, par le fléau des « jihadistes » internationaux, les combattants réputés les plus sanguinaires en Irak. Les groupes armés palestiniens sont influencés par les insurgés irakiens et s’inspirent de certaines de leurs méthodes. Depuis le printemps, les kidnappings se multiplient dans la bande de Gaza. Illustrant l’insécurité dans laquelle les territoires palestiniens ont graduellement sombré depuis le début de l’intifada, un journaliste arabe israélien travaillant pour CNN a été enlevé par des hommes armés à Gaza, lundi soir, avant d’être relâché mardi en début de soirée. Des sources gouvernementales israéliennes avaient immédiatement accusé les islamistes radicaux du Hamas. Le mouvement palestinien s’est empressé de démentir et de demander la libération du journaliste, rappelant opportunément qu’il avait aussi réclamé la libération des deux journalistes français, Christian Chesnot et Georges Malbrunot, détenus en Irak. Pendant l’été, cinq Français ont été enlevés avant d’être relâchés quelques heures plus tard. En prenant des otages étrangers, les ravisseurs, un groupe de militants armés versés dans les opérations anti-israéliennes, espéraient convaincre Yasser Arafat de mettre un terme à la corruption au sein de l’Autorité palestinienne. Embarrassés, ils ont rapidement relâché leurs otages lorsqu’ils ont compris qu’il s’agissait de Français, la France étant perçue comme un pays ayant des sympathies envers la cause palestinienne. Quelques semaines plus tôt, un journaliste américain du New York Times avait échappé à un rapt lors d’une incursion israélienne à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza. Et Mahmoud Nachabé, un ancien officier des services de sécurité palestiniens, qui a fondé son mouvement de « résistance », les Brigades des martyrs de Jénine, s’est spécialisé dans le rapt de responsables des forces de sécurité palestiniennes. L’accusant de corruption, il avait enlevé le chef des services de sécurité à Gaza, Ali Jabali, écarté par la suite par Yasser Arafat. Les ravisseurs palestiniens ont parfois un peu bousculé leurs otages, mais ils n’ont jamais mis leurs jours en danger. « Comment osent-ils faire cela au nom de l’islam ? s’interrogent les clients répugnés du café Internet, après avoir visionné les vidéos irakiennes. Même un soldat israélien ne mérite pas un tel châtiment. Inch’allah, cela ne doit jamais arriver chez nous. » « Gaza est un mouchoir. Les ravisseurs y sont immédiatement identifiés, explique Ayman Shaheen, professeur de sciences politiques à l’Université al-Azhar de Gaza. Ils savent aussi que la population rejetterait l’exécution d’étrangers. Cela freine leurs ardeurs. » Gaza est un concentré de tous les maux frappant les Palestiniens. Aucun autre territoire palestinien n’a subi autant d’incursions et de raids israéliens. Contrairement à la Cisjordanie, dont les habitants arrivent à circuler tant bien que mal entre les bouclages, les Gazaouites sont enfermés dans leur bande de terre de 40 kilomètres de long sur dix kilomètres de large. Il faut un permis spécial, délivré par Israël, pour sortir de la bande de Gaza. Les jeunes, dont l’âge est compris entre 16 et 35 ans, n’y ont pas accès et sont donc privés de sortie, d’études en Cisjordanie ou à l’étranger, et de voyager. Bastion du mouvement islamique Hamas, Gaza est le foyer des activistes les plus radicaux. Mais, coincés entre la mer et les barbelés israéliens, les militants armés de Gaza limitent leurs actions à des incursions suicidaires contre les colonies juives enclavées dans la bande. Ou à des tirs de roquettes artisanales Qassam vers les villes israéliennes à portée de ces engins rudimentaires. « Ce n’est pas encore l’Irak, mais l’avenir ne nous réserve rien de bon, déplore Ayman Shaheen. Faute d’espoir, la société ne cesse de se radicaliser. » Les interdits se multiplient à Gaza : l’alcool et les relations sexuelles avant le mariage sont proscrits, le port du voile est obligatoire pour toutes les femmes... «Celui qui ne fait pas ses cinq prières par jour est de moins en moins accepté, ajoute Ayman Shaheen. La religion est un refuge. Surtout pour les jeunes, qui ne connaissent que la violence. Ils voient leurs proches se faire tuer chaque jour. Ils n’ont aucun espoir d’une vie meilleure et sont prêts à mourir en martyrs. Si on apportait quelques améliorations à leur vie pour les remettre sur le chemin de l’espoir, ils pourraient encore changer. Bientôt il sera trop tard. » Ayman Shaheen estime qu’il faut tirer certaines leçons de la situation irakienne pour épargner une telle catastrophe aux Palestiniens. En premier lieu, tout faire pour sauvegarder l’Autorité palestinienne. « Celle-ci est déliquescente, mais elle existe, constate-t-il. En Irak, le vide laissé après le renversement de Saddam Hussein a largement contribué au chaos. C’était un dictateur, mais les Irakiens se portaient mieux avec lui qu’aujourd’hui. Ici, il n’existe d’autre choix pour l’instant que de composer avec Arafat, qui reste le symbole de la cause palestinienne et le président élu. »
Gaza, de Patrick Saint-Paul
Les clients du petit café Internet de la ville de Gaza sont horrifiés en découvrant les images qu’ils viennent de télécharger. Elles montrent l’exécution sauvage des deux derniers otages américains assassinés en Irak. En quatre ans d’intifada, Gaza n’a cessé de s’enfoncer dans le chaos et la violence, au point que la même crainte y hante désormais tous les esprits : l’«irakisation» du conflit palestinien. Et l’on se demande comment il sera possible de ne pas sombrer dans un niveau de violence tel qu’il n’existe plus aucune règle.
Les images de la guerre en Irak sont diffusées en boucle sur toutes les chaînes arabes en alternance avec celles du conflit israélo-palestinien. Elles se ressemblent parfois à s’y méprendre. Même si l’intensité des combats dans les...