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Actualités - OPINION

CARNET DE VOYAGE - Une étudiante libanaise de l’École centrale de Paris raconte son périple indien La fin d’une fabuleuse aventure…

Comme chaque lundi, « L’Orient-Le Jour » publie le périple indien de notre lectrice Sarah Hatem. Mlle Hatem est arrivée à Madras avec dix camarades de l’École centrale de Paris, pour aider à la construction d’une école sur un chantier dont ils ont assuré le financement. Voici le dernier volet du récit de son voyage : Ça y est. C’est terminé. Dans l’avion qui me ramène à Beyrouth, je repense à ce merveilleux voyage en Inde. Les derniers jours sont passés tellement vite. De Cochin, dans le Kerala, nous avons longé la côte ouest pour remonter sur Mumbai. À mi-chemin, une petite escale de quelques heures à Panji, petite ville de l’État de Goa qui garde encore la marque de son passé portugais. De petites ruelles bariolées, des églises baroques, un estabelecimente de vinhos, des rues qui n’ont pas changé de nom, des habitants fruits d’un sympathique métissage indo-portugais... Le tout assaisonné d’une nonchalance héritée de l’envahisseur. Les habitations construites sur deux niveaux, avec souvent à l’étage un balcon en fer forgé chapeauté d’un auvent en tuile, présentent chacune un gai mariage de deux couleurs : ici, les murs sont jaunes et les fenêtres blanches, et là, c’est le contraire. Les paires sont variées, et il y en a pour tous les goûts : mauve et orange, rouge et jaune, ocre et lilas, blanc et bleu ciel, jaune et vert... Sur le rebord d’une fenêtre, un vieil homme tout de blanc vêtu est allongé, son chien dans les bras. Il semble noyé dans ses rêveries, et rien ne perturbe son repos... pas même le flash de mon appareil photo. La boucle de notre itinéraire se referme donc à Mumbai. La gigantesque Mumbai qui vous engloutit, vous assourdit. Dans les grands axes de la ville, et jusque tard dans la nuit, c’est un flux ininterrompu de voitures qui participent en chœur à une orchestrale symphonie de Klaxon. Cette titanesque fourmilière crache de tous ses recoins et à chaque instant des hommes. Des millions d’hommes. Il y a les hommes qui passent. Et les hommes qui restent. Ceux qui font partie du décor. Les lépreux, les vieillards, les orphelins, les paysans nouvellement débarqués en quête d’une vie meilleure, des enfants nus en bas âge que l’on envoie mendier. Des trottoirs où sont installées sur des kilomètres des familles : on chauffe le repas, on fait sa lessive, on habille les enfants, on bricole... et on attend. Et en marge de toute cette pauvreté, dans le quartier de Malabar Hill, c’est l’Inde des riches. L’Inde qui vit à l’heure occidentale. Des palais. Des boutiques de luxe. En quelques instants vous passez de la misère à l’opulence. Une pauvreté démesurée. Qui vous émeut. Une richesse démesurée. Qui vous choque. C’est déstabilisant ! Et puis, comme toujours en Inde, il y a ces rencontres que l’on fait au hasard de la route. Dans ce bus, par exemple, je discute avec Kumil, un sympathique étudiant de 18 ans que ses parents – qui habitent Mumbai – ont envoyé à Londres il y a six ans déjà. C’est la nomenklatura indienne. Qui forme ses enfants à Londres et aux États-Unis. Qui voyage. Qui vit comme coupée du reste du pays... Des femmes féminines C’est donc terminé. Je n’ai pas quitté les bracelets bleus que Pungodi m’a donnés le jour de mon départ de SEED. J’entends leur musique qui rythme les mouvements de mon crayon. C’est le même bruit qui accompagnait les house-mothers dans leur démarche. Dans ce coin perdu du Tamil Nadu, dans la plus profonde des pauvretés, les femmes sont bien plus féminines que chez nous. Leur sourire. Leur simplicité. Les couleurs de leur sari. Le jasmin dans leurs cheveux. Et surtout, surtout, cette démarche. Que je n’ai vue nulle part ailleurs. La démarche de la femme qui ne sait pas qu’elle est belle. Et je revois encore les enfants, Pangopangi, Appu, Élisabeth, Lata, Mouganapriya, Tamilselvi... et les autres. Leurs cris de joie. Leurs sourires. L’ultime soirée passée avec eux. Le dernier repas. Repas de fête pour les enfants qui avaient eu droit exceptionnellement ce soir-là à un verre de soda chacun. Et je revois encore ce petit garçon dont je ne connaissais pas le nom, qui se tenait devant moi dans l’obscurité et dont je ne voyais pas clairement le visage. Je l’avais rapproché contre moi et lui avais mis le bras autour de l’épaule. Nous sommes restés ainsi sans rien dire. À un moment, je me suis retournée et alors, sur son visage, j’ai lu la joie. Son sourire rayonnant. Ses yeux étincelants. Oui, il semblait heureux. Pourtant, je ne l’avais pas embrassé. Je ne lui avais pas caressé les joues. Cet enfant qui n’avait pas de famille, et qui de fait ne pouvait savoir jusqu’où pouvait aller l’affection parentale, était aux anges pour s’être simplement assis un petit moment contre moi. Cela lui suffisait. Il n’en demandait pas plus. Et je revois encore les grands yeux noirs de la petite Mouganapriya, dont la mère écope une peine à perpétuité pour avoir tué son mari. En me voyant en sari ce soir-là, elle m’avait lancé : « Sister, you, house-mother. » Elle m’invitait à rester avec eux. Oui, j’avais envie de rester à SEED. J’étais triste de partir. De laisser ces enfants. Je leur ai promis que je reviendrai. Un pays magique Oui, je reviendrai. Ce pays, c’est un pays magique. Extraordinaire. Le père Ceyrac m’avait dit en parlant de l’Inde – sur le coup, je n’avais pas saisi – que c’était « un pays des profondeurs », contrairement à la Thaïlande par exemple. Car on ne s’habitue jamais vraiment à l’Inde. Et à chaque voyage, on se sent de nouveau agressé, dépaysé, même si au précédent on avait fini par s’y accoutumer. À chaque instant, on est surpris. Au plus profond de la misère, il y a toujours une lueur d’espoir. Un sourire rayonnant qui surgit. Car l’Inde est le pays des extrêmes. Et des sentiments extrêmes. On y pleure. On y rit. On y pleure et on y rit. C’est un pays que vous avez à votre arrivée envie de fuir, mais que vous finissez par ne plus vouloir quitter. Entre le début et la fin, qu’est ce qui se sera passé ? Et bien, c’est la magie de l’Inde qui aura opéré. L’Inde des villes, des campagnes, des slums et des rues. L’Inde de l’hindouisme, de l’islam, de la chrétienté et du sikhisme. L’Inde des intouchables. L’Inde de l’hindi, de l’ourdou, du tamoul, et des douze autres dialectes régionaux. L’Inde de Vasco de Gama, de Kipling et de Ramakrishna. L’Inde des dhotti, sari et chudidad. L’Inde de la mousson et de la sécheresse. L’Inde de la soie, des épices et du thé. L’Inde aux mille couleurs. Aux mille saveurs. Aux mille senteurs. Et surtout, l’Inde de ses hommes. Des hommes authentiques, généreux, au grand cœur. L’Inde de ses enfants. L’Inde qui sourit. L’Inde qui parle au monde. La magie de l’Inde... Je l’ai promis aux enfants : je reviendrai. Sarah HATEM
Comme chaque lundi, « L’Orient-Le Jour » publie le périple indien de notre lectrice Sarah Hatem. Mlle Hatem est arrivée à Madras avec dix camarades de l’École centrale de Paris, pour aider à la construction d’une école sur un chantier dont ils ont assuré le financement. Voici le dernier volet du récit de son voyage :

Ça y est. C’est terminé. Dans l’avion qui me ramène à Beyrouth, je repense à ce merveilleux voyage en Inde. Les derniers jours sont passés tellement vite. De Cochin, dans le Kerala, nous avons longé la côte ouest pour remonter sur Mumbai. À mi-chemin, une petite escale de quelques heures à Panji, petite ville de l’État de Goa qui garde encore la marque de son passé portugais. De petites ruelles bariolées, des églises baroques, un estabelecimente de vinhos, des rues qui n’ont pas...