Waël Bou Faour est, comme tant d’autres, un enfant de la guerre. Cette guerre multiforme, il l’a vécue dans sa région, dans toutes...
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Zoom - Il a été responsable de la Jeunesse progressiste entre 1997 et 2003 Waël Bou Faour, ou les vertus du dialogue entre les jeunes (photos)
Par HADJI GEORGIOU Michel, le 20 août 2004 à 00h00
Il a joué, en tant que responsable de la Jeunesse progressiste (organisation estudiantine du PSP) de 1997 à 2003, un rôle certain dans le rapprochement entre jeunes libanais de toutes les tendances, de toutes les sensibilités et de toutes les appartenances politiques. Contribuant incontestablement, au passage, à la mise en place de cette dynamique libanaise consensuelle qui a débouché sur la réconciliation de la Montagne, en août 2001. Avec, en filigrane, deux mots-clefs qui reviennent en leitmotiv dans son discours : le dialogue et les libertés. Et, en perspective, un brillant avenir politique au plan national qui lui ouvre déjà ses bras. Il travaille actuellement à la Banque du Liban.
Waël Bou Faour est, comme tant d’autres, un enfant de la guerre. Cette guerre multiforme, il l’a vécue dans sa région, dans toutes ses dimensions, au sein d’un environnement donné, mais il n’y a pas participé. Issu d’un milieu familial plutôt modeste, Waël fait ses études à l’école secondaire publique de Kfer, dans le caza de Hasbaya, où, se souvient-il, il était déjà classé politiquement comme gravitant dans la mouvance du Parti socialiste progressiste (PSP).
C’est grâce à une bourse d’une association éducative de la société civile qu’il parvient à entrer à l’Université américaine de Beyrouth, au tout début des années 90, pour poursuivre des études de gestion. « J’étais considéré comme intrus à l’AUB. Dans une perspective de classe sociale, je n’étais pas un de ceux qui avaient le droit d’entrer dans cet Eden. À l’époque, il y avait une volonté, au sein de l’université, d’en finir avec le genre d’étudiants qui nous ressemblent, une simili-purification. Les États-Unis recommençaient à s’intéresser à l’AUB, qui était redevenue une sorte de boîte postale entre la Résistance au Liban et l’Administration US », dit-il.
« Cependant, l’AUB nous a donné l’occasion de profiter du pluralisme politique qui y prévaut. Toutes les tendances sociales et politiques étaient représentées. Il y avait même des Occidentaux, des Maghrébins, des Jordaniens, des Syriens... Cette diversité a été l’occasion d’aller à la rencontre de l’autre, ce qui est moins facile à l’Université libanaise ou l’Université Saint-Joseph. Nos premiers contacts avec le courant aouniste ont été établis à l’AUB, grâce à ce climat de pluralisme, indique-t-il. Cela a également été l’occasion de raffermir les liens avec les étudiants palestiniens sur des causes arabes. Nous faisions même des sit-in en faveur du Soudan. Mais il n’y avait pas d’agenda estudiantin au sens propre du terme », ajoute-t-il.
Waël Bou Faour assume d’abord le poste de responsable de la Jeunesse progressiste à l’AUB de 1992 à 1994 : « C’était une période durant laquelle il fallait commencer à recréer les liens entre les jeunes, et le souci prévalent étant d’ordre non libanais. C’était une période où les slogans régionaux et internationaux avaient le dessus, mais je crois qu’en même temps, il y avait tout un travail pavant la voie à une restructuration du mouvement estudiantin, qui devait émerger par la suite avec la solidarité sur la question de l’UL, puis avec les camps de rencontre entre jeunes et la lutte commune pour les libertés. »
Joumblatt et la mission
du dialogue
De 1994 (date à laquelle il quitte l’AUB) à 1996, il est membre du secrétariat général de la Jeunesse progressiste, avant d’être élu secrétaire général de cette instance en 1997. « Le contact avait été rétabli avec les différentes parties, et le dialogue commençait à aboutir. Me concernant, cela a commencé par des amitiés personnelles avec certains membres du courant aouniste, tels que Ziad Abs, Wissam Chbat ou Ziad Tannoury. Il était facile de s’entendre avec Ziad Abs. C’était le début d’un débat politique avec les aounistes, débat qui devait nous apprendre, avec le temps, que s’il existait des obstacles psychologiques au dialogue, les différences entre nous n’étaient pourtant pas très grandes. Lorsque je suis devenu secrétaire général de la Jeunesse progressiste, nous avons décidé d’ouvrir un débat au sein du parti, concernant l’attitude à adopter maintenant que la guerre était terminée. Ce qui nous a beaucoup aidé, c’était la compréhension de la direction du parti, et tout particulièrement le parrainage par Walid Joumblatt de l’option visant à octroyer un rôle supplémentaire à la Jeunesse progressiste. En l’occurrence, M. Joumblatt avait décidé de confier à cette instance la mission d’entamer le dialogue avec les différentes parties. Il ne voulait pas d’un dialogue par le haut. Il voulait voir si les jeunes, qui sont au courant des expériences du passé, étaient capables de s’entendre. Tout cela nous a donné une très grande marge de manœuvre », raconte M. Bou Faour.
Interrogé sur sa perception du rôle d’Anouar el-Fatayiri, grand leader estudiantin PSP des années 70, et sur l’expérience du mouvement estudiantin d’avant-guerre, Waël Bou Faour indique que « toute sa génération regarde avec nostalgie l’expérience du PSP d’avant-1975 ». « Une vision mêlant admiration et amertume », souligne-t-il, avant d’évoquer la vision et l’expérience transcommunautaire de Kamal Joumblatt. Kamal Joumblatt ou la tentative de créer une symbiose équilibrée entre les revendications sociales et nationales, et dont Anouar el-Fatayiri et Élias Atallah étaient le prolongement, les disciples, dit-il. « Les circonstances ne permettaient pas de recréer cette expérience des années 70 », précise-t-il, évoquant les temps de la décolonisation, des guerres de libération. « Abdel Nasser n’est plus là, la réalité politique libanaise est devenue plus compliquée, le facteur confessionnel rend les choses plus difficiles. Mais nous avons quand même essayé de nous réapproprier cette expérience, avec un agenda différent. La question du dialogue n’était pas aussi fondamentale avant la guerre. Elle l’est devenue, en raison des scissions importantes au niveau libanais. Il fallait trouver un terrain commun entre nous tous », affirme-t-il.
Justement, le dialogue et le rapprochement vont être l’objectif de Waël Bou Faour tout au long de son parcours estudiantin. À travers l’organisation, notamment du Congrès des attentes des jeunes en 1999 et de plusieurs rencontres et camps interpartisans. « Des camps qui ont incité les aounistes à visiter les camps palestiniens », précise-t-il.
Quelle est la véracité de la formule selon laquelle Walid Joumblatt, sur le plan politique, et la Jeunesse progressiste, sur le plan des jeunes, sont ceux qui peuvent jouer le rôle d’un trait d’union entre les diverses parties ?
« C’est en partie vrai. Cela est dû aux structures mêmes du PSP, lequel est capable de réunir l’idée libanaise et l’idée arabe. Cela est dû aussi à l’expérience de Kamal Joumblatt, qui disait qu’il n’y avait pas de contradictions entre les deux idées. Et aussi à l’expérience de Walid Joumblatt, qui a démontré qu’il était prêt à se sacrifier pour les causes arabes, mais aussi pour les causes internes. Cela donne cette impression que Joumblatt et le PSP peuvent créer une dynamique interlibanaise. Mais le climat politique ne nous permet pas toujours d’exprimer nos convictions et de mettre en valeur nos capacités. Nous avons fait une grande expérience. Mais à un moment précis... », répond-il.
Joindre arabité et libanité, social et national
Waël Bou Faour insiste sur le fait que les causes arabes sont très importantes pour sa génération, mais aussi importantes que la question des libertés publiques au plan interne. Le débat sur la défense des libertés se pose avec acuité en 1997 au sein du PSP, lorsque la manifestation du courant aouniste est réprimée par les forces de l’ordre devant la MTV : « Nous avions peur, à l’époque, que les libertés ne deviennent l’apanage d’un seul courant, qui voulait renverser Taëf. Par ailleurs, nous ne pouvions souffrir l’idée que d’autres revendiquent les libertés tandis que nous serions dans une position de neutralité. Le débat a pris son essor au sein du parti, avant de se diffuser au sein des partis nationaux. Refusant d’être assimilés au pouvoir, nous voulions trouver une équation regroupant démocratie, libertés et cause arabe, et nous l’avons fait. Et nous refusions, en tant que PSP, de ne pas reconnaître aux autres les libertés que nous avions. La solution a été de trouver une formule joignant les revendications sociales aux revendications nationales : nous avons commencé, tous courants confondus, par une action en faveur de l’UL. »
Waël évoque ensuite les différents camps entre jeunes, notamment l’un à Aïn Zhalta, regroupant, sous l’égide du PSP et de l’agence de l’Onu pour les réfugiés, les Ahbaches, les aounistes, la Jamaa islamiya, le Hezbollah, le PSNS et les Forces libanaises : « Les discussions duraient jusqu’à 5h du matin. Nous avons découvert que les jeunes avaient les mêmes angoisses, mais que seules les priorités étaient différentes. Même sur des questions-phobies, comme la question palestinienne, il était possible de tirer des conclusions, de parvenir à un consensus. Même si le clivage politique est demeuré, les chrétiens sentant qu’ils étaient marginalisés en raison de la domination syrienne, une marginalisation exprimée par l’attachement aux slogans souverainistes. Les musulmans et la gauche étaient hantés par Israël. Ce clivage s’exprimait dans les manifestations des uns pour la libération des détenus en Israël, et des autres pour la libération des détenus en Syrie. »
M. Bou Faour évoque cependant les retrouvailles entre tous les courants sur des questions sociales, telles que l’UL, l’abaissement du droit de vote à l’âge de 18 ans ou l’amendement du service militaire. « Cela a pavé la voie à un dialogue politique », dit-il. Mais les tentatives de créer des structures communes ont buté sur des questions de représentation confessionnelle et politique, précise-t-il. « C’était ambitieux, on était encore au début du parcours », ajoute M. Bou Faour.
N’y a-t-il pas eu des pressions externes pour empêcher cela ?
« La dialogue interétudiants a été directement lié au climat politique. Nous avons amorcé le processus en force, avec beaucoup d’ambition, en détruisant les tabous. Et lorque nous avons commencé à reculer, à perdre du terrain, nous l’avons fait n’importe comment, en perdant tout notre acquis », répond-il, dans une autocritique surprenante et soudaine.
Le 11 septembre
et le retour en arrière
Et la reculade a commencé à partir du 11 septembre 2001. Il y eut ensuite le congrès de Los Angeles et le départ de Michel Aoun pour les États-Unis. Les divisions internes imposées par les circonstances internationales tumultueuses reprenaient le dessus : « On pouvait quand même continuer à œuvrer ensemble sur des questions sociales comme le service militaire, le droit de vote ou la carte d’étudiant. Mais les forces politiques ont pris des positions radicales, et il était difficile d’aller à l’encontre des susceptibilités qui réapparaissaient. Et les questions politiques ont continué à avoir le dessus sur les revendications sociales. En fait, durant ces années, la jeunesse chrétienne cherchait quelqu’un pour l’écouter, et une partie de la jeunesse musulmane voulait se débarrasser de l’étiquette d’un pouvoir qui ne la représentait plus. Nous refusions d’accepter le fait que nous n’écoutions pas les angoisses d’une partie du Liban. Nous voulions être une gauche réformiste. À titre d’exemple, lorsque Salmane Samaha (leader estudiantin FL) a été incarcéré en août 2001, j’ai eu mal. J’ai senti qu’il me volait l’étiquette de l’oppressé ».
« La réconciliation de la Montagne avait été la consécration, l’incarnation du dialogue interestudiantin. La répression du 7 août a visé la réconciliation, mais aussi le mouvement des jeunes. Le Congrès du Carlton était une tentative de dire que le projet du dialogue était toujours de mise, que le processus était en marche, et qu’on pouvait dépasser le 7 août grâce à la dynamique interne. Mais il y a eu le 11 septembre, les ingérences internationales et un renversement de toutes les données », soutient M. Bou Faour. Qui croit toujours, cependant, aux possibilités de renforcer une scène interne superlibanisée, en dépit des ingérences. « Mais nous avons besoin de personnes prêtes à faire des sacrifices, parce qu’il y a un prix à payer. Nous en avons déjà fait l’expérience, par le passé », souligne-t-il.
En conclusion, il appelle tous les étudiants à opérer une relecture de leur expérience, et, en toute modestie, à essayer, dans la mesure du possible, de trouver des revendications communes. Pour lui, « il est difficile de faire plus que cela à l’heure actuelle ». Mais une nouvelle expérience est nécessaire, parce que les conditions exemplaires ne se réaliseront jamais d’elles-mêmes.
M.H.G.
Il a joué, en tant que responsable de la Jeunesse progressiste (organisation estudiantine du PSP) de 1997 à 2003, un rôle certain dans le rapprochement entre jeunes libanais de toutes les tendances, de toutes les sensibilités et de toutes les appartenances politiques. Contribuant incontestablement, au passage, à la mise en place de cette dynamique libanaise consensuelle qui a débouché sur la réconciliation de la Montagne, en août 2001. Avec, en filigrane, deux mots-clefs qui reviennent en leitmotiv dans son discours : le dialogue et les libertés. Et, en perspective, un brillant avenir politique au plan national qui lui ouvre déjà ses bras. Il travaille actuellement à la Banque du Liban.
Waël Bou Faour est, comme tant d’autres, un enfant de la guerre. Cette guerre multiforme, il l’a vécue dans sa région, dans toutes...
Waël Bou Faour est, comme tant d’autres, un enfant de la guerre. Cette guerre multiforme, il l’a vécue dans sa région, dans toutes...