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Actualités - REPORTAGE

Spécial lE fIGARO - Avec l’entrée des dix nouveaux pays le 1er mai L’élargissement au prix de l’affaiblissement ?

Par Pascal BONIFACE * Le 1er mai 2004, l’Europe va de nouveau s’élargir en accueillant dix nouveaux pays. Le paradoxe veut que cet élargissement vers l’Est ait pour effet à court terme d’affaiblir les perspectives d’autonomie stratégique européenne et de renforcer les moyens dont dispose Washington pour peser sur le cours de la construction européenne. L’élargissement le plus significatif, le plus réel, n’est donc pas celui de l’Europe, mais celui de la puissance américaine en Europe. Donald Rumsfeld, pendant la guerre d’Irak, n’a-t-il pas célébré cette «nouvelle Europe» par opposition à la vieille Europe, plus indépendante à l’égard de Washington ? Il ne faut pourtant pas en conclure que la construction européenne va stagner et que Washington va pouvoir durablement reprendre la main, car l’effet favorable pour les États-Unis ne jouera qu’à court terme. Il se crée ainsi, petit à petit, un espace européen sur le plan non seulement économique, mais également social, politique, etc. Au cours de la guerre d’Irak, les sondages ont montré que les populations des pays d’Europe centrale et orientale (Peco) réagissaient à l’unisson de celles des pays déjà membres de l’Union européenne. Les gouvernements de nos pays pouvaient défendre des politiques différentes, les opinions pensaient, elles, la même chose. Une opinion publique européenne est en train de naître, qui, à la longue, ne pourra pas ne pas avoir d’influence sur les gouvernements de pays démocratiques. Qu’ont à gagner certains pays européens d’un suivisme quasi aveugle à l’égard de Washington ? Les pays de l’Est attendent protection et aide militaire. Mais nous ne sommes plus dans les années 50 et 60. Les États-Unis étaient prêts à payer pour élargir leur cercle d’alliés. Il n’y a plus de compétition Est-Ouest qui justifie une générosité intéressée de la part du grand protecteur – d’autant que les caisses fédérales sont vides. Les citoyens des Peco vont se rendre compte qu’il devient difficile, y compris pour les étudiants, d’obtenir des visas pour se rendre aux États-Unis. L’effet d’attraction qu’ils exercent va donc se dissiper, surtout s’ils maintiennent une politique unilatéraliste. L’Europe progresse inexorablement sur le plan de l’autonomie stratégique. On peut effectivement ne pas être satisfait de la situation présente, mais on ne peut que constater à quel point elle a progressé au cours des dix dernières années. Il y a dix ans, la France aurait été la seule à s’opposer aux États-Unis à propos de la guerre d’Irak. L’année dernière, de nombreux pays européens, dont l’Allemagne, ont adopté la même position. Le Royaume-Uni montre une disponibilité de plus en plus grande à l’égard du projet européen où, désormais, son avenir se joue. Traditionnellement, il suivait la politique américaine pour tenter de l’influencer et renforcer ainsi son propre poids sur la scène internationale. Mais comment influencer un pays de plus en plus unilatéraliste ? Les Britanniques se rendent compte que leur capacité d’influence est beaucoup plus grande sur l’Europe que sur les États-Unis. Leur intérêt national les pousse donc tout naturellement à devenir plus proeuropéens. En outre, l’alternance politique à Madrid renforce singulièrement la donne en faveur de ceux qui, en Europe, ne confondent pas alliance et alignement. En ce qui concerne la Pologne, le président Kwasniewski a affirmé, le 18 mars 2004, que George W. Bush l’avait trompé sur l’existence d’armes de destruction massive (ADM) en Irak. Le tropisme proaméricain des pays de l’Est est donc probablement provisoire. S’il devait se maintenir, ces pays se mettraient tout simplement à l’écart d’un projet européen qui se ferait sans eux, mais qu’ils ne pourraient en rien empêcher. Mis à part la Pologne, aucun d’entre eux n’a un poids militaire décisif. Leur participation sera donc la bienvenue, mais elle n’est en rien indispensable. À cet égard, le temps fera son travail, et une fois intégrés dans l’Europe, ces pays seront de plus en plus européens et de moins en moins attirés par les États-Unis. Les Européens n’ont plus besoin de la protection américaine pour assurer leur sécurité. Certes, l’Europe peut coopérer avec les États-Unis sur un projet global mais, pour le moment, la façon dont les Américains envisagent la lutte contre le terrorisme n’est pas satisfaisante pour nombre de ses membres. En effet, la plupart des pays européens estiment que la politique américaine actuelle conduit davantage à développer le terrorisme qu’à le combattre. L’unilatéralisme américain, qui serait simplement atténué en cas d’élection de John Kerry, constitue en réalité un facteur d’accélération de la construction européenne. L’élargissement au prix de l’affaiblissement ? Oui, de façon éphémère. Mais à terme, non, car l’adhésion à l’Europe de pays qui, pour le moment, peuvent être qualifiés de proaméricains, montrera le contraire... * Directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).

Par Pascal BONIFACE *

Le 1er mai 2004, l’Europe va de nouveau s’élargir en accueillant dix nouveaux pays. Le paradoxe veut que cet élargissement vers l’Est ait pour effet à court terme d’affaiblir les perspectives d’autonomie stratégique européenne et de renforcer les moyens dont dispose Washington pour peser sur le cours de la construction européenne.
L’élargissement le plus significatif, le plus réel, n’est donc pas celui de l’Europe, mais celui de la puissance américaine en Europe. Donald Rumsfeld, pendant la guerre d’Irak, n’a-t-il pas célébré cette «nouvelle Europe» par opposition à la vieille Europe, plus indépendante à l’égard de Washington ?
Il ne faut pourtant pas en conclure que la construction européenne va stagner et que Washington va pouvoir durablement reprendre la main, car...