Par Chibli MALLAT, professeur à l’USJ
Nous avons eu l’occasion, au lendemain de l’avis consultatif de la Cour internationale de justice le 9 juillet, de souligner son importance au vu des perspectives juridiques qu’il a ouvertes sur la scène internationale : non seulement la Cour a-t-elle déclaré le mur contraire au droit international, mais elle a également établi un principe de compensation immédiatement dû aux Palestiniens lésés par sa construction, tout en consacrant « un droit d’accès aux lieux saints » qui traduit, si on en reconnaît la portée, une modalité du droit de retour (cf. articles dans le Daily Star le 10 juillet, et dans an-Nahar le 13 juillet).
Ces deux percées sont historiques, mais un travail juridique précis doit les accompagner, le travail parallèle relevant du politique devant être mis en sourdine. Les tentatives de former un gouvernement d’union nationale qui s’accélèrent en Israël (« union » qui est évidemment exclusivement juive, et qui ne sera nationale que si le cinquième de la population non juive de l’Israël de 1948 voit enfin trois ou quatre ministères lui revenir de droit...) soulignent le blocage moral de la société israélienne et de son leadership condamné internationalement pour la première fois dans ce qui lui fait le plus mal : le droit.
Les Palestiniens se sont sans doute rendu compte que la satisfaction affichée par leur président « suranné » sur les écrans de télévision ne les a pas beaucoup aidés, que même les fidèles les plus traditionnels du leader historique du mouvement palestinien – dernièrement Terjé Roed-Larsen – déguisent mal leur souhait de le voir enfin prendre sa retraite. En tout cas, la course à la traduction immédiate de l’avis de la CIJ en résolutions de l’Assemblée générale ou du Conseil de sécurité s’est heureusement ralentie. Il faut savoir que l’Assemblée générale avait déjà conclu en décembre 2003 que le mur était illégal, et que la question posée à la CIJ n’en concernait que les conséquences juridiques. Il faut donc penser minutieusement à une nouvelle résolution de l’AG qui puisse être utile en ajoutant un élément tangible à l’avis consultatif. Rien n’est plus difficile.
En ce qui concerne le Conseil de sécurité, il ne faut surtout pas tenter de forcer une résolution par-delà les États-Unis, car un veto risque d’effacer l’avancée juridique acquise. S’il y a échec suite au veto, on ne doit se faire aucune illusion : les Israéliens crieront victoire en arguant que la décision de la Cour est caduque du fait que le Conseil de sécurité ne l’aura pas entérinée. L’Assemblée générale a donc peu à ajouter et le Conseil risque de tout détruire, aucune erreur n’étant permise par pis-aller politique ou ignorance juridique.
Je voudrais m’attarder, maintenant qu’elle a été publiée, sur la « déclaration » du juge américain Thomas Buergenthal. Car il faut bien se rendre compte combien cette décision innove, y compris dans sa « dissidence ». « Dissidence », dit-il, parce qu’il ne pense pas que la Cour est le forum approprié. « Dissidence » aussi, parce qu’on n’a pas donné assez de champ à Israël pour avancer son argument. « Dissidence » enfin, parce que la Cour ne pouvait écarter l’art. 51 de la Charte, sur le droit à l’autodéfense, sous prétexte que les territoires occupés ne sont pas encore un État. Sur les deux premiers points, il a tort : la Cour est le forum le plus approprié pour dire le droit, c’est en fait sa raison d’être. Si elle ne le fait pas assez, c’est parce que les gouvernements ne sont pas assez sages pour la consulter sur des dossiers difficiles, forcément politiques de par la nature des relations internationales.
Quant à Israël, rien ne l’empêchait de participer activement au dossier, qui est d’ailleurs du domaine public, et Buergenthal n’avait qu’à se pencher dessus plus sérieusement. Sur le dernier point par contre, l’autodéfense, il a raison, car un État devrait pouvoir invoquer l’art. 51 indépendamment de savoir si l’attaque était le fait d’un autre État, ou d’un groupuscule quelconque. Le cas du 11 septembre ou du 11 mars à Madrid en sont deux exemples probants. La Cour a eu tort de neutraliser l’article 51, mais son entérination n’aurait rien changé : le problème du mur, au regard du droit international, provient du fait qu’il a été érigé en territoire occupé. Sa construction en territoire israélien, art. 51 ou pas, n’aurait pas donné lieu à la même controverse.
Somme toute, cette « dissidence » est secondaire du fait même de l’accord contraire de 14 autres juges. Là où Buergenthal nous offre bien plus de droit qu’il ne nous en prive par ses autres considérations, c’est dans deux paragraphes remarquables de sa déclaration. Dans le premier, il souligne la violation du droit international par Israël : « Je partage la conclusion de la Cour que le droit international humanitaire, y compris la quatrième convention de Genève, et le droit international des droits de l’homme s’appliquent aux territoires palestiniens occupés et doit donc être fidèlement respecté par Israël. » De manière beaucoup plus précise, il déclare que « le paragraphe 6 de l’article 49 de la quatrième convention de Genève n’admet pas d’exception sur la base d’exigences militaires ou de sécurité. » Cet article célèbre, qui interdit au pouvoir occupant de transférer sa population civile en territoire occupé, est resté lettre morte depuis 1967. Buergenthal, comme la Cour, considère « que l’existence même des colonies viole l’art. 49, paragraphe 6 ». En cela, il rejoint ses collègues, mais avec encore plus d’emphase que dans l’avis majoritaire collectif.
Conséquence : on peut maintenant activer des actions judiciaires dans l’ensemble du monde occidental contre les responsables israéliens et contre les membres des colonies. Ce n’est pas là une mince affaire.
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