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handicap - Les élèves de l’Institut du père Roberts présentent un spectacle de danses populaires et folkloriques diversifiées Quand des enfants sourds donnent par l’expression corporelle un autre regard sur le monde de la surdité
Par TOUMA Viviane Matar, le 05 juillet 2004 à 00h00
Des élèves des classes de 9e à la 2de présentant un spectacle de danses folkloriques et populaires diversifiées, reflétant les traditions de plusieurs pays de différents continents... Le fait en lui-même est banal. Mais quand il s’agit d’élèves atteints de surdité profonde ou sévère, l’événement revêt une toute autre portée. Tel est le cas du remarquable spectacle que les élèves de l’Institut du père Roberts (IPR) pour jeunes sourds ont présenté au terme de plusieurs mois de préparation. Entraînés par une monitrice russe, les élèves ont réussi à acquérir une technique d’expression corporelle qui leur a permis de suivre à la perfection – en dépit de leur handicap auditif – tout le rythme des morceaux musicaux. Le résultat s’est traduit par un spectacle harmonieux et bien « enlevé » qui pourrait faire pâlir de jalousie plus d’un groupe professionnel. L’apogée de la représentation a été la chanson de Feyrouz « Bi oulou zghayar baladi » (On dit que mon pays est petit) « chantée » en play-back (les guillemets sont de mise) par les jeunes sourds grâce au langage de signes dont ils sont familiers. Dans les lignes qui suivent, la psychologue et psychothérapeute de l’IPR, Mme Viviane Matar Touma, apporte un éclairage sur la performance de ces élèves sourds qui compensent en quelque sorte leur handicap auditif en amplifiant leur perception visuelle et leur expression corporelle. Ils manifestent ainsi une intelligence particulière propre à eux, complémentaire des intelligences classiques et qui est stimulée par ce genre d’exercices et de spectacles initiés par l’IPR pour parfaire la formation des élèves.
Quand on parle de l’intelligence ou des intelligences, nous avons toujours recours à la logique mathématique. Or, l’observation de l’être humain dans différentes situations de la vie quotidienne montre qu’il peut faire ses preuves dans certains domaines plus que dans d’autres. Diverses études sur l’intelligence humaine ont été effectuées ces dernières années. Certaines ont notamment mis en relief des intelligences multiples qui se présentent comme une interaction entre des tendances biologiques et les possibilités d’apprentissage existant dans une culture donnée (Kornhaber, Krechevsky et Gardner, 1990).
Pour Gardner, l’intelligence est un potentiel biopsychologique. Chaque personne a la potentialité d’exercer l’éventail de facultés intellectuelles qui lui sont caractéristiques. Ainsi, chacune des intelligences est servie par ses processus psychologiques propres. La personne sourde, tout comme la personne entendante, est capable de s’exprimer en fonction de ses capacités et compétences.
La méthode classique dans l’examen de l’intelligence s’exprimant par des actes passe par les facultés langagières et logiques. De nos jours, on tient compte d’autres facultés : on évalue, notamment, l’intelligence spatiale, l’intelligence interpersonnelle ou encore l’intelligence kinesthésique. Dans ce dernier cas, on demande à la personne d’apprendre et d’exécuter de mémoire une danse ou un exercice physique. Il est donc possible d’inventer des mesures plus adaptées aux différentes intelligences, en dehors d’un laboratoire de psychologie ou d’une salle de test.
Les intelligences sont donc des potentiels ou des tendances qui se réalisent ou non, selon le contexte culturel dans lequel elles se trouvent.
Le développement naturel de l’intelligence chez l’enfant entendant commence par une « faculté brute de représentation », telle que la capacité à différencier les tonalités, dans l’intelligence musicale, ou à combiner les trois dimensions, dans l’intelligence spatiale (Gardner). Ces compétences pourraient apparaître également à un niveau plus élevé dans la population considérée comme « prometteuse » dans un domaine déterminé, entre autres chez la personne sourde.
La perte de l’ouïe ou de la vue peut entraîner des difficultés spatiales ou langagières. Les spécialistes se chargent de trouver des systèmes substitutifs en stimulant d’autres sens ou en ayant recours à des prothèses. La personne sourde, elle, investit dans d’autres facultés comme la vision et l’expression corporelle. Autrement dit, la grande idée d’un renouveau de la pédagogie des enfants sourds serait le concept « d’ontologie » qui se définit comme étant « la science de ce qui existe » (B. Virole, 2001). Plus précisément, une ontologie est une représentation structurée des connaissances d’un domaine. De façon remarquable, les enfants sourds construisent des ontologies privées construites sur leurs propres observations visuelles ou sur les échanges qu’ils ont avec d’autres enfants sourds. Ils sont peu influencés par les ontologies transmises par le monde adulte entendant au travers du langage oral ou écrit. Il faut concevoir cette ontologie comme une méthode d’investigation de la construction de la pensée de l’enfant sourd et non comme une méthode de rééducation pédagogique ou cognitive.
L’orientation pédagogique au sein de l’Institut du père Roberts pour jeunes sourds consiste à exploiter ces ressources cognitives originales chez les enfants, parallèlement aux programmes scolaires et aux méthodes de la pédagogie des enfants normo-entendants.
Partant du principe que tout enfant a en lui un potentiel et des capacités prêts à être exprimés, les enfants et les adolescents de cet institut ont voulu dire des choses avec leur corps, un langage aussi expressif que la langue orale, sinon plus. Ils ont préparé et répété pendant plusieurs mois des danses qui représentent des tableaux folkloriques, aussi bien orientaux qu’occidentaux. Leur spectacle a touché le cœur et a suscité l’attention des petits et des grands, favorisant un autre regard sur le monde de la surdité. Par l’expression corporelle, chacun d’entre eux a voulu donner une signification au monde qui l’entoure ainsi qu’un message aux personnes qu’il aime.
Viviane Matar TOUMA
Des élèves des classes de 9e à la 2de présentant un spectacle de danses folkloriques et populaires diversifiées, reflétant les traditions de plusieurs pays de différents continents... Le fait en lui-même est banal. Mais quand il s’agit d’élèves atteints de surdité profonde ou sévère, l’événement revêt une toute autre portée. Tel est le cas du remarquable spectacle que les...
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