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Zoom - L’orthopédiste a participé à la création de l’UL en 1951 Fouad Chémaly, un vétéran du mouvement estudiantin
Par HAJJI GEORGIO MICHEL, le 02 juillet 2004 à 00h00
Chaque semaine, dans « L’Orient-Le Jour », nous effectuerons, alternativement, un « zoom » sur une figure ayant marqué le mouvement estudiantin d’avant-guerre ou la scène estudiantine d’après-guerre. Cette semaine, notre « zoom » porte sur le Dr Fouad Chémaly, l’un des leaders des manifestations estudiantines qui, en 1951, ont abouti, sous la pression de la rue, à la création de l’Université libanaise. M. Chémaly devait ensuite participer au premier Front libanais (« Le Front de la liberté et de l’homme »), en 1975-1976, aux côtés de Charles Malek, Pierre Gemayel, Camille Chamoun, le père Charbel Kassis, Saïd Akl et Chaker Abou Sleimane, en tant que représentant du Tanzym. Il s’est complètement retiré de la vie politique en 1976, pour se consacrer à l’agriculture et à son métier, l’orthopédie. Il possède une clinique à l’hôpital Rizk.
Avant d’évoquer, dans sa clinique de l’hôpital Rizk, son passé de militant, Fouad Chémaly a pris soin de retrouver et de reclasser dans un album une série de vieilles photos en noir et blanc des manifestations de 1951. L’un de ses confrères avait retrouvé les négatifs de ces photos dans un tiroir et a eu l’excellente idée de les remettre au Dr Chémaly.
Les photos semblent appartenir à un passé qui paraît bien lointain. On peut y voir le vieux tramway de Beyrouth, des berlines, de jeunes manifestants costumés et cravatés... Pourtant les clichés représentent des situations qui sont bien connues des étudiants d’aujourd’hui : manifestations estudiantines, sit-in, mouvements de colère, de protestation, négociations avec les autorités, camions de la Défense civile et des FSI prêts à intervenir...
Parmi les leaders estudiantins qui sont sur les photos, il est possible de distinguer, entre autres, Fouad Chémaly, Assaad Germanos, Fouad Mallat, Michel Murr, Louis Cardahi (père du ministre des Télécommunications), Marcel Aboussouan, ou encore Antoine Qamouh.
Fouad Chémaly est né en juin 1931. Diplômé de La Sagesse en 1950, il s’inscrit à la Faculté française de médecine pour faire ses études.
En 1951, il est en première année d’études lorqu’il est élu président du bureau de la faculté française de médecine au sein de l’amicale estudiantine.
Cette année-là, il fonde la « Fédération des étudiants et des élèves du secondaire », organisme regroupant des institutions telles que le Collège de La Salle, par exemple. Il est également élu président de cette instance.
Selon M. Chémaly, l’objectif principal de cette fédération était de revendiquer la création d’une université libanaise, pour « les enfants des pauvres ». « Lorsque nous avons réalisé que nul n’avait prêté oreille à nos revendications, nous avons entamé un mouvement de grève, puis de manifestations », souligne-t-il. « Environ un mois et demi après le début de ce mouvement, nous avons été reçu par le président de la République, à l’époque cheikh Béchara el-Khoury, au palais de Kantari. Le président était en robe de chambre rouge, raconte-t-il. Il nous a aussitôt conseillé de voir l’émir Raïf Abillamah, à l’époque ministre de l’Éducation. Ce dernier nous a reçus, et, après concertations, nous a, entre autres, demandé combien d’enfants nous étions par famille. “Entre trois et dix enfants”, avons-nous répondu. “Pourquoi vos parents vous ont-ils conçus s’ils ne sont pas capables de payer les frais d’université ?”, nous a demandé le ministre. La réunion s’est mal terminée », poursuit Fouad Chémaly.
Sauver le ministre
Le lendemain, au cours d’une manifestation, l’émir Raïf Abillamah décide de s’exprimer devant les étudiants, pour les exhorter au calme et à la patience. Mais c’était sans compter la colère des jeunes, qui ont tenté de foncer sur le ministre pour le tabasser, malgré les appels au calme de plusieurs leaders estudiantins, dont M. Chémaly, qui est parvenu à conduire le ministre auprès de son chauffeur pour le mettre en sécurité.
Quelques jours plus tard, Mmes Alia et Lamia el-Solh invitent les étudiants à rencontrer leur père, le Premier ministre Riad el-Solh. Une réunion se déroule à son domicile, au terme de laquelle le Premier ministre affirme, après avoir écouté l’exposé des jeunes : « Vous et moi sommes les seuls à vouloir la création d’une université libanaise. »
« M. Solh nous a ensuite invités à assister à la séance de la Chambre, qui devait se tenir pour discuter de la création d’une université libanaise, indique M. Chémaly. Nous nous sommes rendus au Parlement et y avons rempli la tribune supérieure. Aucun député n’était d’accord avec Riad el-Solh. Ils ont tous refusé sa proposition, malgré son insistance à les convaincre. Aussitôt, devant le manque de réceptivité des députés, Riad el-Solh leur a dit : “Le Parlement n’a qu’une seule porte, et vous allez l’emprunter à l’instar des étudiants. Il vaut mieux pour vous d’éviter la confrontation avec eux, car elle tournera en votre défaveur” », raconte Fouad Chémaly.
Il est évident, pour lui, que l’UL est née du fait de cette révolte étudiante.
Un blâme de la FFM
Une fois le mouvement de protestation assagi, les étudiants regagnent leur campus. Fouad Chémaly se souvient très bien du blâme qu’il a reçu du chancelier de la faculté, le père Dupré-Latour. Il a été perçu comme un agitateur par les pères, qui ont décidé, selon lui, de le faire échouer. Fouad Chémaly était plutôt de tendance kataëb à l’époque. Mais ce n’était pas le point de vue des pères. L’un d’eux, le père Flamet, rentré du Vietnam, se met en tête de faire échouer le futur Dr Chémaly qu’il prend pour un communiste.
Ayant obtenu la meilleure note à l’écrit, c’est à l’examen oral que le père Flamet essaye de coincer le jeune responsable. Le jeune étudiant est incollable, et répond à toutes les questions. Mais le père finit pas poser une question qui ne figure pas au programme. Irréductible devant les protestations de l’étudiant, qui souligne, fort de l’appui de ses camarades, que la question posée ne figure pas au programme, le père Flamet fait la sourde oreille. Fouad Chémaly ne baisse pas les bras, et la scène qui suit est d’anthologie. Il menace tout bonnement le père de l’étrangler s’il ne réussit pas. Le même scénario se produit avec le chancelier Dupré-Latour, qu’il menace également de la même façon, estimant qu’« un père qui ment et qui n’est pas honnête ne mérite pas de vivre ». Finalement, l’administration le fait réussir de justesse, en lui donnant tout juste la moyenne.
Diplômé en 1957, le Dr Chémaly va poursuivre ses études à Northwestern (Chicago) et à Washington (Saint Louis), avant de rentrer au Liban en 1963. Il est désormais orthopédiste, osthéopathe et cancérologue. Mais il est aussitôt embarqué dans une nouvelle décennie, bien différente, avec l’accord du Caire, la création de l’organisation paramilitaire al-Tanzym et la guerre. Représentant du Tanzym au sein du « Front de la liberté et de l’homme », entre 1975 et 1976, il abandonne la politique en 1976, lors de l’entrée des troupes syriennes au Liban. Un événement qui signifie, pour lui, que la guerre est perdue d’avance. C’est alors qu’il décide de retourner aux sources, à la terre, pour « diffuser l’éthique de l’agriculteur et combattre le mensonge et la corruption des marchands de toutes sortes ». Il fonde, à ces fins, la coopérative Chal, et se consacre à la médecine. Mais tout cela, c’est une autre histoire.
M. H. G.
Chaque semaine, dans « L’Orient-Le Jour », nous effectuerons, alternativement, un « zoom » sur une figure ayant marqué le mouvement estudiantin d’avant-guerre ou la scène estudiantine d’après-guerre. Cette semaine, notre « zoom » porte sur le Dr Fouad Chémaly, l’un des leaders des manifestations estudiantines qui, en 1951, ont abouti, sous la pression de la rue, à la création...
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